Rencontre sur le site punique d’El Hofra : «Il est temps de décoloniser notre histoire»

04/05/2023 mis à jour: 18:02
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Photo : D. R.

Ne pas se contenter des études des Français sur nos sites archéologiques et notre histoire, et qui peuvent être incomplètes ou subjectives, a été le plaidoyer des intervenants, lors d’une conférence sur le Sanctuaire punique d’El Hofra, dans la ville de Constantine, animée récemment au musée national Cirta par le Dr Zineb Belabed, spécialiste de l’histoire ancienne à l’université Abdelhamid Mehri.

La conférencière estime que les stèles découvertes sur ce site et préservées au musée Cirta peuvent faire l’objet de nouvelles études de la part d’experts algériens, dont les résultats peuvent être surprenants.

«Certes, il y avait des études locales établies par des spécialistes algériens, mais elles sont toujours fondées sur ce qui a été dit par des experts étrangers, surtout des Français. Nous demandons aujourd’hui une relecture des stèles que nous possédons à notre niveau, particulièrement les gravures ; vu qu’il est impossible de faire des fouilles actuellement sur place», a déclaré le Dr Belabed.

Ces nouvelles études archéologiques recommandées par la conférencière et les présents à cette conférence pourront-elles remettre en cause ce qui a déjà été fourni par les Français ? Notre interlocutrice répond par l’affirmative, surtout que les techniques et les outils utilisés ont bien évolué.

«On peut aussi découvrir des vérités cachées intentionnellement sur notre histoire. Je souligne, à titre d’exemple, qu’une civilisation locale existait au IIe et IIIe siècle qui se dévoile à travers les langues utilisées. Il y avait la langue punique utilisée dans l’écriture officielle et il y avait également la langue et l’écriture libyques utilisées par les habitants locaux.

Ces derniers se sont installés dans les zones rurales ou limitrophes de la ville du Centre. Cela n’est qu’un exemple. C’est pourquoi ces stèles peuvent nous permettre d’aborder des volets historiques qui n’ont pas été étudiés auparavant», a expliqué à El Watan le Dr Belabed. 

Un civilisation bien ancienne

Dans la même perspective, des intervenants, dont l’ex-directrice du musée Cirta, Keltoum Daho-Kitouni, ont appelé à «la décolonisation de notre histoire» et sortir du moule de «la sous-civilisation du Sud», qui nous a été étiqueté par l’Occident. Il est temps, selon eux, d’avoir notre propre interprétation et explication de notre histoire.

Mme Daho indique que la langue punique n’était qu’un moyen de communication officielle utilisée à cette époque. «La civilisation cirtéenne avait toujours existé en parallèle des autres civilisations», a-t-elle souligné.

Par ailleurs et lors de sa conférence, le Dr Zineb Belabed a exposé des photos d’un ensemble de stèles exprimant d’importantes vérités sur la cité cirtéenne durant les IIe et IIIe siècles av. J.-C., une époque caractérisée par la prospérité du royaume numide uni sous le règne de Massinissa, puis ses enfants.

Ce sanctuaire fait partie des monuments religieux, caractérisé par des traditions carthaginoises, transcrites sur les stèles, à l’instar des rituels et des noms des dieux auxquels on fait des vœux et des offrandes. L’activité et les rituels puniques dans le Nord africain au sein de ce sanctuaire a continué, même après la chute de Carthage en 146 avant J.-C. et sa destruction par les Romains.

Le site d’El Hofra se trouvait sur une colline au nord-ouest de l’antique Cirta (centre-ville de Constantine) à 150 mètres de l’ancien hôtel Transatlantique, actuellement une agence du CPA. Les fouilles du XIXe siècle ont permis la découverte de nombreuses stèles sur la ville de KRTN, capitale numide, dans six endroits, notamment Coudiat Ati, El Mansourah, le cimetière chrétien, Bellevue et El Hofra. 

En 1875, une autre fouille a permis la récupération de 130 monuments, avant la plus grande découverte de 700 Nusb (stèles) en 1950 par André Berthier. A ce moment, Cirta occupera la deuxième place après Carthage, avec 850 stèles et une partie des stèles abritées au musée national Cirta à Constantine et au Louvre en France.

Ce qui révèle l’existence d’une société caractérisée par le civisme, la tolérance et la coexistence entre le peuple de la région et les étrangers. Les stèles dévoilent d’importantes données sur le plan politique, dont le règne de Massinissa, historique, culturel, sociétal, notamment les métiers et même militaire et les armes utilisées. 
 

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