On ne présente plus Mohamed Dib. On le lit pour apprécier son style inimitable.
Plonger dans ses œuvres, c’est découvrir ou redécouvrir leur portée universelle et humaniste. Grand romancier, il est plus connu par sa célèbre trilogie Algérie (La Grande maison en 1952, L’incendie en 1954 et Le métier à tisser en 1957), merveilleusement adaptée en 1972 à la télévision algérienne par Arezki Berkouk, alias Mustapha Badie, réalisateur du fameux feuilleton El Hariq.
Durant une très longue carrière, s’étalant de 1946 jusqu’à sa mort en 2003, jalonnée d’une œuvre abondante et variée, Dib avait produit des poèmes, des romans, du théâtre, des nouvelles, mais aussi des contes pour enfants. Oui des contes. Une œuvre qui vient d’être revisitée au détour d’une réflexion sérieuse et un débat passionnant entre la fille de Dib, Assia, documentaliste installée à Grenoble, et sa nièce, petite-fille de l’écrivain, Louise, une graphiste et typographe douée, ayant beaucoup roulé sa bosse dans ce domaine grâce à son esprit créatif et foisonnant d’idées.
Le projet inédit, qui a pris cinq ans pour voir le jour, a donné lieu à un coffret de six contes pour enfants écrits par Mohamed Dib à différentes étapes de sa vie.
Un produit édité chez Barzakh et présenté dans l’après-midi du 30 septembre à l’occasion d’une sympathique table ronde animée à l’Institut français de Constantine par Assia et Louise Dib. Une rencontre ayant drainé aussi un public intéressé, qui a eu tout le plaisir de découvrir les talents avérés de deux charmantes dames excellant dans la lecture passionnante et passionnée des contes de Dib, en français par Taos Azzam, coach de théâtre, et en arabe dialectal par Leïla Touchi, comédienne.
Une aventure éditoriale
«Cette première édition algérienne du coffret intitulé Baba Fekrane et autres contes a été une véritable aventure éditoriale, au vu des conditions de sa préparation, sa conception, les aspects techniques qui ont marqué sa préparation. Nous avons réuni six contes écrits par Mohamed Dib sur du beau papier, un projet qui a été réalisé grâce au soutien financier de l’Institut français et l’aide des éditions Barzach qui ont une vieille tradition éditoriale avec l’écrivain. C’est un coffret dont la publication nous tenait vraiment à cœur», a confié Louise.
Ce coffret rappelle les débuts de Mohamed Dib dans l’écriture des contes pour enfants. Il avait publié en 1958 aux éditions La Farandole, son premier album de contes portant le même titre, Baba Fekrane. «Mon père avait un rapport particulier à l’enfance et un attachement au personnage enfantin ; on cite l’exemple d’Omar dans la trilogie ; ça vient du fait qu’il avait été orphelin de père alors qu’il avait à peine 11 ans. Il avait quitté brusquement le monde de l’enfance ; il était l’aîné ; il avait dû prendre la responsabilité de la famille», a expliqué sa fille Assia. Cette dernière rappelle une expression de son père : «L’enfance devient du coup ce paradis perdu.»
Plusieurs personnages de l’enfance sont présents dans certaines œuvres de Dib, à l’exemple d’Omar dans la trilogie, Lily Bell dans L’infante maure, et d’autres dans ses romans nordiques écrits à partir de 1989, et dans son recueil de poèmes L’enfant jazz. Dib s’est beaucoup inspiré dans ses contes des lieux de son enfance qui ne l’ont jamais quitté.
Dans une photo prise de l’écrivain alors qu’il était enfant, on pourrait facilement imaginer le petit Omar dans l’allure de ce garçon qu’était Mohamed Dib. «Mon père avait commencé à écrire des contes pour enfants à l’âge de 35 ans ; il y a une partie de ces contes un peu moins connus ; on connaît les contes apparus en album, mais il y a aussi des contes insérés dans les romans et d’autres publiés dans les revues.
Ses trois premiers contes sont parus dans la revue Horizons en 1958, dont Le petit oiseau qui a trouvé un grain de blé et L’histoire du chat qui boude, alors que son conte Baba Fekrane est paru aux éditions La Farandole», révèle Assia Dib. En fait, Mohamed Dib avait connu deux périodes d’écriture de contes. La première qui s’étale entre 1950 et 1960 a vu la parution de contes inspirés de la tradition orale algérienne. Dans une seconde période, il écrira des contes qu’il a inventés et qui étaient destinés à être insérés dans ses romans à l’exemple de ceux de la phase nordique de ses œuvres.
Baba Fekrane et autres contes
À propos de ces contes, Assia Dib lit des notes de son père. «Je les avais beaucoup travaillés pour atteindre ce côté abouti de la poésie populaire qui rend le texte invisible», écrivait-il. Mais il y a toujours ce côté particulier dans les contes de Mohamed Dib. Il les raconte dans un style inimitable, avec un sentiment de renouvellement. On n’oublie pas de noter que des contes comme Seigneur, Warda marchera-t-elle ?, Barbe de plumes, Salem et le méchant sorcier, Baba Fekrane,
L’histoire du chat qui boude, et L’hippopotame qui se trouvait vilain réunis dans le coffret présenté au public, sont autant de merveilles populaires, qui ont ce côté enchanteur chargé d’humour et qui portent une morale et un aspect éducatif, rappelant cette belle enfance et ces soirées passées à écouter avec attention la grand-mère raconter ces pans du patrimoine qui se perd avec l’avènement de l’internet et des antennes paraboliques.
Mohamed Dib avait bien raison de dire : «Il est une contrée de cette culture qui est particulièrement passionnante pour un écrivain, c’est le conte. La transmission est purement orale. La mémoire du peuple est la bibliothèque nationale de l’Algérie.»
Des paroles si simples, mais qui ont pris des siècles pour être parachevées, comme les perles qui terminent les contes de Mohamed Dib : «Nous sommes allés tout au long de la route et nous avons trouvé un sac de perles, les grosses pour moi et les petites pour toi.»