Relecture de l’inflation mondiale en Algérie et nouveaux outils de gestion macroéconomique

19/02/2023 mis à jour: 04:04
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Les déterminants de l’inflation mondiale post-pandémie ont évolué et les outils macroéconomiques pour la maîtriser doivent être redéfinis. Dans le sillage de la pandémie, une forte impulsion inflationniste a été déclenchée qui a, depuis, été stimulée davantage par les chocs énergétique et alimentaire liés à la guerre en Ukraine. Confrontées à un grave problème d’inflation, désormais considérée comme structurelle, les grandes banques centrales (FED, BCE et BA) ainsi que 33 autres institutions dans le reste du monde ont déjà relevé en 2022 leurs taux directeurs de façon marquée et imprimé une dynamique de désinflation.

Nonobstant ces progrès, toutes les autorités monétaires ont renouvelé leur détermination à continuer à resserrer les conditions monétaires pour maîtriser l’inflation et la ramener à 2%. Si la reprise du contrôle de l’inflation (et de la maîtrise du coût de la vie) est donc un objectif incontournable pour tous les gouvernements à travers le monde, il n’en demeure pas moins plus complexe à atteindre que par le passé en raison non seulement des particularités de l’inflation post-pandémie, de l’inefficience de l’ancien modèle de stabilisation et du besoin pour tous les pays du monde à investir massivement pour relever les grands défis de l’heure.

Pour ce qui est de l’Algérie, comme pour le reste du monde et la région du Moyen-Orient, l’inflation et la crise du coût de la vie sont une préoccupation centrale de politique publique, d’autant plus que : (1) les pressions sur les prix domestiques résultent à la fois de chocs de la demande et de l’offre (avec une interaction de facteurs internes et externes) ; et (2) une nouvelle stratégie de lutte doit être conçue ce qui implique une adaptation des outils actuels de gestion macroéconomique. Discutons de tous ces points importants.

Désinflation en 2022 mais persistance de l’inflation en 2023 et sur le moyen terme en raison de diverses contraintes structurelles. Nonobstant un resserrement monétaire au cours de 2022, et à l’exception de la Chine dont les prix n’ont varié que de 1,8% en 2022 (grâce à la fermeture du pays et au confinement général des populations jusqu’au 7 janvier 2023, qui ont étouffé la demande), les autres pôles de croissance continuent de faire face à des taux d’inflation encore élevés. Ainsi, l’inflation est de 6,5% aux Etats-Unis (3,5% de taux de chômage), 8,5% dans la zone euro (6,6% de chômage), 10,5% au Royaume Uni (3,7% de chômage), 11,9% en Russie (3,2% de chômage), 64,3% en Turquie (9,9% de chômage) et 94,8% en Argentine (7,1% de chômage). Pour 2023 et le moyen terme, l’inflation mondiale persistera dans la mesure où la résolution des contraintes d’offre devra être étalée dans le temps. Elle devrait passer de 8,8% en 2022 à 6,6% en 2023 et 4,3% en 2024, toujours au-dessus du niveau prédatant la pandémie (3,5% entre 2017-2019) en raison de la rigidité du marché du travail aux Etats-Unis, de la guerre en Ukraine, du retour de la Chine sur la scène économique mondiale (avec de sévères contraintes structurelles), de la poursuite des politiques de transition écologique et des effets négatifs de la fragmentation géopolitique sur l’activité économique.

Les caractéristiques. En cette période postpandémique, la maîtrise de la crise du coût de la vie est l’objectif premier des autorités vu ses implications sociales et politiques et l’impossibilité d’avoir une visibilité économique favorable à la consommation et l’investissement. L’inflation mondiale reflète : (1) d’abord une forte pression de la demande appuyée par la réouverture progressive de l’économie mondiale depuis la mi-2021, des épargnes encore substantielles accumulées pendant le confinement ($1200 milliards aux Etats-Unis et €500 milliards dans la zone Euro à ce jour) et des dispositifs importants d’appui budgétaire et monétaire mis en place pour se prémunir contre les effets négatifs de la pandémie (8% du PIB en appuis budgétaires et 5% du PIB en appuis monétaires au niveau des pays avancés) ; et (2) des contraintes structurelles, notamment : (i) un marché du travail robuste qui a déclenché une seconde vague inflationniste ; (ii) des marges de profits excessifs ; (iii) des prix alimentaires et énergétiques plus élevés du fait de la guerre en Ukraine et de tensions géostratégiques ; et (iv) des dysfonctionnements continus des chaînes de valeurs mondiales.

Les caractéristiques de l’inflation mondiale post-pandémie

De ce fait, l’inflation mondiale devrait persister sur le moyen terme en raison d’un faisceau de facteurs, y compris : (1) des taux de participation affaiblis par des départs en retraite anticipés ; (2) une faible croissance démographique due à des flux migratoires en baisse causés par la  pandémie et des facteurs politiques ;  (3) une baisse de la productivité résultant d’un manque de motivation des travailleurs et d’un refus de travailler plus d’heures que nécessaires ; (4) le retour de la Chine, deuxième puissance économique mondiale dont les contraintes démographiques et un recentrage de la croissance sur la consommation domestique vont devenir des vecteurs d’une exportation d’une inflation structurelle ; et (5) les politiques publiques à travers le monde en faveur d’une transition énergétique.

Les limites de l’actuel modèle de stabilisation. Ce dernier a pris ses racines en 1936 et a évolué progressivement pour être jusqu’à récemment une synthèse du keynésianisme et du monétarisme en s’appuyant sur quatre canons :  (1) un régime de ciblage flexible de l’inflation destiné à maintenir une inflation faible et stable au détriment de l’emploi ; (2) un outil de base, à savoir les taux d’intérêt à court terme qu’il fallait actionner à la hausse et à la baisse en fonction du cycle économique (au détriment de la masse monétaire) pour influencer la consommation et l’investissement ; (3) l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des gouvernements afin de ne pas tomber dans les pièges inflationnistes (redoutés par Milton Friedman) ; et (4) un rôle mineur de levier de gestion du cycle économique, de contrôle de la dette publique et de redistribution) assigné à la politique budgétaire (jugée trop soumise à l’influence des hommes politiques). Mis en difficulté déjà lors de la crise financière de 2008, ce modèle est désormais rendu caduc en raison des dommages structurels causés par la pandémie, des nouveaux défis de l’heure (contraintes sur l’offre), des limites du taux d’intérêt à court terme du fait du taux plancher zéro et surtout de l’incapacité de la politique monétaire à gérer les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, les pénuries de main-d’œuvre, les chocs sur les prix de l’énergie et la baisse de la productivité.

Nouveaux défis et nouveaux outils

Une politique budgétaire élargie. A côté de la politique monétaire, la politique budgétaire doit continuer de jouer un rôle de stabilisation et en même temps aller au-delà pour prendre en charge les externalités macroéconomiques omniprésentes qui génèrent des inefficacités économiques et empêchent l’économie d’atteindre son plein potentiel. En d’autres mots, pour les prochaines années, les politiques budgétaires devraient viser à atténuer les pénuries de main-d’œuvre, les contraintes d’offre et les effets distributifs négatifs de l’inflation ainsi qu’un éventuel ralentissement économique qui pourrait en résulter.

Pour le financement de ces dépenses additionnelles, il faudra explorer les marges de manœuvre en termes de recettes et de rationalisation des dépenses.

Un retour de l’état comme acteur principal dans la gestion macroéconomique. Dans ce contexte de chocs multiples est en train d’émerger un nouvel interventionnisme qui illustre d’abord la faillite des marchés à saisir les nouvelles opportunités de ce monde en plein changement et le besoin de l’état de prendre en charge des préoccupations nouvelles en termes de sécurisation des chaînes d’approvisionnement, de réindustrialisation, de transformation écologique et de protection contre les menaces de la Chine sur les plans technologiques, économique et militaire. D’ores été déjà, cet interventionnisme est en place aux Etats-Unis et en zone euro sous la forme de nouvelles politiques commerciales et industrielles.

Il va se traduire par une hausse de dépenses structurelles dans les secteurs de la santé (vieillissement des populations), de la défense (pour contrer les menaces de la Russie et de la Chine), du changement climatique, de l’énergie (infrastructures, renouvelables et terminaux gaziers) et de la politique industrielle (née de la fragmentation géoéconomique en réponse à des tensions géopolitiques). Contrairement aux décennies précédentes, ce nouveau monde devra faire cohabiter sur le plan économique des dépenses publiques en hausse avec une inflation persistante, ce qui nécessitera la recherche d’un mix macroéconomique difficile (entre politique monétaire restrictive et politique budgétaire) et la mobilisation de financements non inflationnistes.    

L’inflation en Algérie : Une remise à plat de cette question centrale depuis sa mesure jusqu’à sa maîtrise.  A l’instar du reste du monde, l’Algérie fait face à une crise du coût de la vie du fait de facteurs endogènes (macroéconomiques, structurels et naturels) et de facteurs exogènes (inflation mondiale et chocs externes énergétiques et alimentaires). Pour saisir cette question, examinons les données, passons en revue les déterminants et discutons des grands axes de réformes pour maîtriser l’inflation.

Les données statistiques : (1) Entre 2000 et 2011, l’inflation moyenne était contenue aux environs de 4 % (malgré quelques flambées des prix en 2004 et 2009 dues à une hausse des prix internationaux des denrées alimentaires) grâce aux mesures prises par la banque centrale pour absorber l’excès de liquidités dans le secteur bancaire ; (2) En 2012, l’inflation remontait fortement pour atteindre 9%  sous l’effet: (i) d’une hausse des produits alimentaires (principalement les produits frais) ; (ii) d’une demande plus élevée favorisée par  de fortes augmentations des salaires réels et d’autres transferts ; et (iii) d’une hausse de plus de 20 % du crédit à l’Etat ; (3)

En 2013, l’inflation reculait à 3,3% du fait d’une hausse du taux des réserves obligatoires sur les dépôts dans le système bancaire de 9% à 11% et un accroissement de l’absorption de liquidités de 250 milliards de dinars (+23%) ; (4) Entre 2014-2016, l’inflation repartait à la hausse pour passer de 2,9% à 8,4% dans un contexte de financement monétaire direct du déficit, d’une forte dépréciation du dinar en 2016, d’une hausse du taux de TVA et d’augmentations des prix réglementés de l’essence ; (4) Pendant la période 2017-2019, l’inflation est en décélération passant de 5,6% à 2% en raison d’un assèchement de la liquidité bancaire liée à la chute des prix du pétrole ; et (5) Entre 2020-2022, l’inflation globale a connu une accélération entre 2020 et 2022, passant de 2,4% à 9,3%, son niveau le plus élevé depuis deux décennies en raison : (i) d’une hausse des produits alimentaires, y compris ceux qui sont réglementés et malgré l’absence de hausses de prix officielles ; (ii) l’adoption de mesures visant à élargir la portée des subventions alimentaires à la suite du choc des prix des produits de base de 2022 ;  (iii) l’augmentation des salaires et des pensions du secteur public ; et (iv) des perturbations de l’approvisionnement domestique.

La dynamique de l’inflation en Algérie. Les données ci-dessus ainsi qu’une récente étude du FMI font apparaître que les déterminants de l’inflation en Algérie ont évolué en partie. Ils incluent :   

1. Des facteurs internes : dont : (i) des chocs d’offre (sécheresse) ; (ii) un output gap) ; (iii) des politiques monétaire et budgétaire inadéquates qui, dans le cas d’un pays pétrolier comme l’Algérie, créent de l’inflation à court terme par le biais de la masse monétaire, des prix des biens importés et des prix du pétrole et à long terme à travers la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier ; et (iv) des facteurs structurels (thésaurisation, spéculation, circuits de distribution déséquilibrés, pratiques commerciales illicites et déloyales et concentration). Ces facteurs pèsent lourdement et expliquent les 2/3 de la variation des prix.

2. Des facteurs externes : dont l’influence est plus marquée depuis 2020 (chocs d’approvisionnement mondiaux perturbés depuis la pandémie et récemment la guerre en Ukraine). L’Algérie devra s’attendre à ce que ces chocs externes soient plus fréquents fragilisant un éventuel ancrage des anticipations d’inflation. Ces derniers contribuent à concurrence de 1/3 à l’inflation globale du pays.

Comment combattre l’inflation en Algérie ? Cinq axes d’intervention à cet effet : (1) un mix macroéconomique (y compris une politique budgétaire renforcée) devant agir sur les agrégats qui pèsent sur la demande et in fine l’inflation ; (2) des mesures structurelles visant à agir sur l’offre globale dont l’écart avec la demande globale entraîne des pressions inflationnistes permanentes ; (3) des actions structurelles pour renforcer l’efficacité des réseaux de distribution dont les dysfonctionnements entretiennent des tensions sur les prix et des pénuries ; (4) des actions devant renforcer l’efficience du canal de transmission de la politique monétaire pour assurer une stabilité des prix ; et (5) des actions pour améliorer la mesure de l’inflation, notamment une révision drastique du panier et de la méthode de calcul de l’IPC (éliminer la dualité d’indices, revoir la pondération pour éliminer le biais en faveur des produits alimentaires, actualiser la période de référence et renforcer la publication).

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