Règlement de la crise libyenne : Les dessous de la réunion de Misrata

11/06/2024 mis à jour: 03:37
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Une grande partie des décideurs libyens perçoivent Abdelhamid Dbeiba comme un obstacle à l’organisation d’un scrutin présidentiel

Reconduction. Jeudi 6 juin 2024, à Misrata, de l’accord conclu en février dernier à Tunis entre les deux Chambres libyennes, pour tenir des élections sous la houlette d’un nouveau gouvernement de technocrates à former : les Etats-Unis prêtent l’oreille, Washington ne veut surtout pas perdre complètement pied dans l’Est libyen qui veut tourner la page Dbeiba et s’approche de la Russie. 

 

Les Américains semblent avoir lâché l’option de maintenir Abdelhamid Dbeiba à la tête du gouvernement de l’Union nationale en Libye. Leur principal objectif étant en ce moment de contrer la percée des Russes dans le Sahel via la portière libyenne avec le soutien de Khalifa Haftar. Et comme le vieux maréchal souhaite, à l’image de la majorité des acteurs libyens, le départ de Dbeiba, et que ce dernier n’a pas avancé d’un iota sur la voie des élections, la principale tâche pour laquelle il a été désigné en février 2021 à Genève, «il serait alors plus judicieux, côté américain, de jouer la carte d’un nouveau gouvernement pour les élections en Libye, afin de neutraliser Haftar et les gens de l’Est, et freiner d’autres étapes de leur alliance avec les Russes», pense le politologue Ezzeddine Aguil. Par ailleurs, hormis les élections, renvoyées aux calendes grecques, Abdelhamid Dbeiba est resté prisonnier du pouvoir des milices, comme tous ses prédécesseurs, chefs de gouvernement passagers à Tripoli après la chute de Gueddafi. 

L’Américaine Stéphanie Khoury, envoyée intérimaire du secrétaire général de l’ONU, après la récente démission de Abdoulaye Bathily, tâtonne encore sur la démarche à suivre. Le différend autour du gouvernement lors de la tenue des élections ne représente que le sommet apparent de l’iceberg libyen. D’autres différends portent sur toutes les institutions libyennes, comme la Banque centrale ou l’Entreprise nationale du pétrole dans cette Libye, qui vit une crise généralisée depuis les élections controversées de juin 2014. Et c’est d’ailleurs pour trouver une feuille de route à ladite crise que s’est tenue, jeudi dernier, une réunion à Misrata entre des membres du Parlement de Benghazi, du Conseil supérieur de l’Etat de Tripoli, ainsi que des représentants de partis politiques. 

Il s’agit de la 2e mi-temps de la rencontre de Tunis de février dernier entre ces mêmes composantes et pour les mêmes objectifs. Et tout comme à Tunis, il y a quatre mois, la rencontre de Misrata a confirmé la validité des lois électorales convenues entre les deux Chambres et assuré de la possibilité de tenir des élections sur leur base. La réunion a également appelé à approfondir les efforts pour la tenue d’un Forum élargi entre le Parlement et le Conseil supérieur de l’Etat pour accélérer le lancement d’une feuille de route traçant les contours d’une sortie de crise en Libye. 

Il y a eu enfin un appel pour lancer une action politique, associant la mission de l’ONU, pour unifier les institutions de l’Etat en Libye ainsi que le pouvoir exécutif, comme conditions favorisant la tenue des élections attendues depuis décembre 2015 et l’accord de Sekhirat. Entre-temps, les membres des deux Chambres, élues respectivement en 2012 et 2014, continuent à percevoir des dus de la part du contribuable libyen. 
 

Les Libyens ignorés


Puissances étrangères, politiques locaux de tous bords et diverses milices s’accaparent les gros lots dans les revenus des richesses libyennes durant la dernière décennie. Leurs intérêts respectifs ne convergent pas de toute évidence avec la tenue des élections pouvant stopper cette manne. 


Par contre, le peuple libyen est le grand perdant de cette situation, née de la chute d’El Gueddafi. Son niveau de vie a dégringolé depuis 2014, à l’image du dinar libyen, passé au cinquième de sa valeur d’alors. Le juge libyen Jamel Bennour, l’un des révolutionnaires de la première heure en février 2011 à Benghazi, explique à El Watan que «les puissances étrangères continuent à pomper le pétrole libyen ; leurs sociétés se répartissent les marchés juteux de l’ancienne Jamahirya, seul le Libyen lamda n’a rien gagné de ces transformations». 


M. Bennour attire l’attention sur le fait que «certains marchés, accordés aux grandes entreprises occidentales, comme l’élargissement du champ gazier Al Hamada, au sud de Tripoli, a été accordé avec des faveurs doubles de la normale à un consortium réunissant Italiens, Français et Emiratis, soulevant une grande polémique et prouvant le manque flagrant de transparence dans pareils marchés, aussi bien à l’ouest comme pour ce cas, qu’à l’est, dans l’octroi par le fils de Haftar de marchés de reconstruction de Derna». Il est clair que le Libyen lamda continue à être l’unique dindon de la farce de cette tragédie libyenne. 


Les positions du juge Jamel Bennour et du politologue Ezzeddine Aguil convergent sur l’impossibilité de tenir des élections avec la situation prévalant actuellement sur la scène libyenne qui ne saurait, selon eux, encourager à la tenue d’un scrutin fiable et sérieux. «Des élections crédibles ne sauraient être contestées. Mais, comment pourrait-on garantir cette indépendance de l’opération électorale alors que le pouvoir exécutif n’est pas centralisé ?» s’interroge le juge Bennour. 

Même son de cloche de la part du politologue Aguil, qui constate que «l’envoyée intérimaire de l’ONU, Stéphanie Khoury, fait du surplace et ne dispose pas de moyens pour pousser à la tenue d’élections, sans oublier le fait que les principaux belligérants libyens, Haftar et Dbeiba, continuent à s’armer avec le soutien des Russes, des Turcs et des Américains». Bennour craint même, et plus que jamais, une fracture en Libye «avec les Russes qui encouragent Haftar à renforcer son armée et son infrastructure, tout comme les Américains qui assistent Dbeiba dans la reprise en main des milices». 
 

Tunis
De notre  correspondant  Mourad Sellami  
 

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