La catastrophe de Derna a dévoilé les maux de la société et, surtout, de l’infrastructure en Libye. Lassitude et exaspération chez le citoyen Lamda. Nécessité d’avancer vers une meilleure exploitation des ressources du pétrole. Pressant besoin de changer les visages au pouvoir sur toutes les institutions.
Il y a, certes, la tempête Daniel sur l’Est libyen, la nuit du 10 au 11 octobre, avec ses fortes précipitations culminant à 400 mm. Mais il y a surtout l’affaissement des barrages Boumansour et celui d’El Bled et leurs 25 millions de mètres-cubes d’eau, situés respectivement à 14 et un kilomètre de la ville de Derna.
Les coulées de boue dues à l’effondrement des deux barrages ont emporté des quartiers entiers et causé plusieurs milliers de morts. Tous les observateurs pointent du doigt le manque d’entretien des barrages depuis 2001.
Viennent donc aux esprits les différents gouvernements qui se sont succédé en Libye durant les deux dernières décennies et l’absence de tout sens d’entretien. Suivent aussi des interrogations sur la gestion des dizaines de milliards de dollars annuels provenant du pétrole et comment un pays de sept millions d’habitants n’arrive-t-il pas à protéger les vies de ses citoyens par un minimum décent d’infrastructures.
D’autres interrogations portent également sur les leçons à tirer pour éviter, à l’avenir, pareilles catastrophes humaines puisque toute l’infrastructure est vétuste en Libye. Qui va porter les réformes en Libye ?
Il suffit, par ailleurs, de passer en revue les 16 réclamations des centaines de citoyens de Derna, réunis lundi dernier, 18 septembre 2023 dans leur ville, pour comprendre l’essence des vœux populaires en Libye.
D’une part, la requête a été adressée à toutes les autorités, commandement général de l’armée, Conseil présidentiel, les deux gouvernements, les deux chambres représentatives, la Ligue des Etats arabes, l’ONU, ainsi qu’à l’organisation du monde islamique. C’est donc clair que les Libyens sollicitent l’aide de tout le monde, tous bords compris, sans une quelconque spécification d’obédience politique.
«Le citoyen lamda libyen en a marre des divisions politiques ; elles ne lui ont servi en rien durant la dernière décennie concernant son quotidien qui ne cesse de se détériorer», explique le politologue libyen Faraj Zeydan, à El Watan. D’autre part, les Libyens exigent un contrôle international sur les dotations accordées pour la reconstruction.
Les points de quatre à sept de la requête des citoyens de Derna parlent respectivement de la nécessité d’un congrès international pour la reconstruction de Derna, d’un contrôle de l’ONU et de l’UE sur les travaux, d’un bureau de conseil international pour les études techniques et financières, ainsi que des firmes internationales pour la réalisation.
«Il est clair que les Libyens doutent de l’intégrité des locaux qui sont aux commandes puisqu’ils demandent la reddition des comptes concernant les anciens budgets de la municipalité de Derna et ce n’est qu’un exemple reflétant la suspicion générale en Libye concernant les responsables locaux», ajoute Faraj Zeydan. «Les Libyens s’interrogent sur la gestion des dizaines de milliards de dollars annuels provenant du pétrole, alors que leur quotidien ne cesse de sombrer», explique-t-il.
Priorités
Il est clair que les conséquences du passage de la tempête Daniel ont secoué la majorité des Libyens et pas uniquement les gens de Derna ou des côtes de l’Est. Chacun s’est senti dans l’obligation de réagir afin de sortir de l’impasse dans lequel s’est retrouvé son pays. Ainsi, Hanène Cherif, la présidente de la commission libyenne des Droits de l’Homme, a parlé de l’opportunité de centraliser les institutions libyennes pour plus d’efficacité dans l’action.
«Les secours existent à Derna et dans toutes les zones touchées mais la multiplication des centres de décision est un vrai handicap, notamment pour la coordination dans l’assistance psychologique et la prise en charge ciblée des sans-abri», constate-t-elle.
Pour sa part, le porte-parole du haut comité des secours, Mohamed El Jareh, s’est montré positif en assurant que «c’est déjà bien que l’électricité et les communications soient rétablies dans plusieurs zones, que la majorité des sources d’eau soient déjà désinfectée, que la zone à hauts-risques à Derna soit déjà cernée par des barrières et ce, grâce à l’apport d’équipes de tous les coins de la Libye, Est, Ouest et Sud, appuyées par des équipes d’une vingtaine de pays». Al Jareh a, néanmoins, reconnu que «des cadavres sont encore retirés en grands nombres des décombres, des oueds et de la mer, puisque des quartiers entiers ont été rasés… La situation reste très difficile, il faut des décisions salutaires pour lui faire face».
Par ailleurs, la question politique se pose avec pertinence ces derniers temps surtout que tous les acteurs, notamment les deux gouvernements et les deux Chambres, essaient de se faire associer aux œuvres humanitaires, afin d’obtenir un quelconque satisfecit citoyen. Mais la réaction populaire demeure jusque-là hostile aux institutions existantes, vu le bilan médiocre des dernières années. Le désaveu public des gouvernants n’a pas encore offert de solutions immédiates à l’équation politique, faute d’acteurs dynamiques sur le terrain, comme l’explique Dr Youssef El Fersi, chef du département des sciences politiques de l’Université de Derna.
«Il est très probable qu’une pression populaire suive cette entente populaire constatée sur toute la Libye. Normalement, le peuple ne va plus se taire puisqu’aucun responsable politique n’a daigné démissionner», avance-t-il en constatant, toutefois, que la solution en Libye passe par l’appui des forces régionales, non des superpuissances, à des mouvements populaires sur le terrain.
«C’est un peu comme le cas au Niger. Il a suffi que les manifestations de rue se soient multipliées à Niamey et que l’Algérie ait dit non à l’intervention française via les pays de la Cedeao, qui voulaient rétablir le président Bazoum, pour que l’équation nigérienne change de mode», pense El Fersi, incliné à l’idée de la «nécessité d’impliquer de nouveaux visages dans la solution de la crise politique».
Mourad Sellami
L’Algérie envoie une nouvelle équipe de 77 sauveteurs en Libye
L’Algérie est présente en Libye dès le lendemain de la catastrophe avec une délégation interministérielle, un pont aérien d’aides humanitaires et une équipe d’urgentistes spécialisés dans pareilles interventions. La première équipe de la Protection civile algérienne a travaillé d’arrache-pied à Derna pendant une dizaine de jours dans les opérations de sauvetage, avant de céder sa place, avant-hier, à la relève. Elle est parvenue, jusqu’au mardi 19 septembre, à retirer 96 cadavres des décombres de Derna. La nouvelle équipe est composée des mêmes spécialités. Elle compte 77 membres tous grades confondus. Elle s’est envolée, avant-hier, de l’aéroport militaire de Boufarik.
Le village égyptien Nazlat : El Sherif déplore la perte de 75 de ses enfants à Derna
Le village d’agriculteurs de la vallée du Nil en Egypte, Nazlat El Sherif, a été particulièrement touché par la catastrophe de Derna. Sur le millier d’habitants qu’il compte, une centaine de jeunes hommes avaient émigré pour travailler dans des entreprises de bâtiment à Derna. Malheureusement, 75 d'entre eux ont été recensés parmi les morts de la dernière catastrophe. D'autres sont toujours portés disparus. La douleur est immense au village. A souligner que parmi les victimes des inondations en Libye, figurent 145 ressortissants égyptiens.