Réconciliation Entre l’Arabie Saoudite et l’Iran : Bouleversement tranquille au Moyen-Orient

13/04/2023 mis à jour: 01:20
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L’Arabie Saoudite et l’Iran se sont réconciliés après plusieurs années de brouille - Photo : D. R.

Après sept longues années de rupture diplomatique radicale, les deux puissances moyen-orientales ont pu sceller, il y a exactement un mois dans la capitale chinoise, le rétablissement des relations entre les deux pays.

Véritable bouleversement régional, le récent rapprochement entre les grands rivaux moyen-orientaux, que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran, dessine de nouveaux contours à la configuration géopolitique dans cette partie sensible du monde.

Effet d’un recentrage diplomatique stratégique du parrain traditionnel, les Etats-Unis, émergence irrésistible de la Chine comme nouvel arbitre global ou souveraineté retrouvée de la part des Etats de la région ? Sans doute un peu de tout cela, estiment les spécialistes.

Après sept longues années de rupture diplomatique radicale, les deux puissances moyen-orientales ont pu sceller, il y a exactement un mois dans la capitale chinoise, le rétablissement des relations entre les deux pays.

Le processus, entamé près de deux années auparavant par le truchement de l’Irak et d’Oman, s’est concrétisé sous le parrainage décisif de la Chine, consignatrice de l’accord tripartite. Pékin rentabilise l’initiative comme une pièce à conviction de ses nouvelles ambitions d’acteur faiseur de paix et promoteur de cordialité dans les relations internationales.

L’accord se donne les moyens d’aller rapidement à la normalisation des relations et à se transformer en dynamique de développement. Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cerman) de Genève, et auteur notamment du livre  le Moyen-Orient selon Joe Biden, s’impressionne dans des posts publiés hier sur ses réseaux sociaux, de la cadence avec laquelle l’accord est mis en œuvre.

«En moins de 24 heures, reprises des vols commerciaux, une délégation saoudienne à Téhéran pour rouvrir l’ambassade, les deux Chambres de commerce s’activent, une délégation saoudienne chez les Houthis à Sanaa pour négocier un plan de paix et enfin Riyad se prépare à recevoir le président iranien», note-t-il.

Les choses bougent et vite et la visite de Ebrahim Raissi, le président iranien, sur invitation du roi Salman Ben Abdelaziz Al Saoud, doit consacrer au plus haut niveau le nouveau pacte d’entente entre les deux frères ennemis sunnites et chiites.

Une paix au pas de charge

Les paris, cela dit, sont ouverts, sur la viabilité de l’accord et sa capacité à tenir devant la complexité de l’écheveau des allégeances et alliances régionales et des conflits par procuration à solder.

La profonde ligne de fracture religieuse, avec ses pendants idéologiques et géopolitiques, a fait que les deux entités engagées existentiellement dans une lutte d’influence ouverte depuis au moins la fin des années 1970, se soient historiquement investies dans des enjeux de pouvoirs en Syrie, Yémen, Liban et Irak.

Autant de pays que l’accord concerne directement et dans lesquels va se jouer, en grande partie, l’avenir de ces perspectives que se promettent Riyad et Téhéran. Selon Hasni Abidi, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) vient déjà de convoquer une réunion à Djeddah pour discuter de la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe.

Mais c’est surtout du terrain yéménite que sont attendus les gages concrets de solvabilité de la nouvelle entente. Le gouvernement de Sanaa, soutenu par l’Arabie Saoudite d’une part, et les rebelles houthis soutenus par Téhéran d’autre part, épuisés par 7 longues années de guerre, s’accordent à saluer l’accord de Pékin et à en attendre un impact positif sur l’impasse sanglante que connaît le conflit.

Les prémices sont là, puisque au lendemain du dégel acté des relations entre les deux parrains rivaux à Pékin, des pourparlers sont engagés entre Houthis et gouvernement yéménite, concernant des échanges de prisonniers pour commencer.

Des informations font par ailleurs état de la décision du régime iranien de stopper toute livraison d’armes aux rebelles chiites, en guise de geste de bonne volonté. Et des gestes il en faudra tout au long de ces deux mois de «probation» que ce sont fixés les deux parties afin de s’observer et jauger les bonnes dispositions respectives.

Les analystes estiment qu’aujourd’hui, personne ne veut voir perdurer la guerre civile pour ses coûts économique et humain exorbitants (plusieurs centaines de milliers de morts) et l’impossibilité de voir les rapports de forces suffisamment basculer pour en connaître un vainqueur.

La sécurité des installations pétrolières saoudiennes, régulièrement ciblées par des attaques houthies, et la sécurité du transport des hydrocarbures dans la région en général, sont par ailleurs des paramètres qui pèsent de tout leur poids stratégique dans la balance.

La République Islamique d’Iran, usée par de longues années d’isolement international et de sévères sanctions économiques, de plus agitée en interne par un récurrent mécontentement social et politique, se dit prête aujourd’hui à envisager des accords avec les autres pays de la région.

Mais l’implication directe de la Chine dans la réussite du processus de réconciliation est peut-être la plus grande garantie de viabilité. «La Chine soutient les pays du Moyen Orient pour qu’ils adhèrent à l’autonomie stratégique (…) se débarrassent de l’ingérence étrangère et prennent véritablement en main l’avenir et le destin de la région.»

Les propos sont de Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois, à la signature de l’accord, il y a un mois. Ils révèlent largement la pensée du parrain des négociations et ses ambitions.

La Chine promoteur de «l’autonomie stratégique»

«La Chine est une puissance pacifique et responsable», avait poursuivi le diplomate. Difficile de ne pas y lire la subtile volonté de souligner le contraste avec la méthode américaine et son passé guerrier dans la région. L’accord irano-saoudien est «vendu» par Pékin comme exemple abouti de ce que peut préconiser son «initiative globale de sécurité».

La vision développée une première fois par Xi Jinping, le président chinois, le 21 avril 2022, soit deux mois après le déclenchement de la guerre en Ukraine, est censée renforcer le statut déjà écrasant du géant asiatique comme puissance économique mondiale, de cette vocation d’arbitre bienveillant de la paix à l’international pour plus d’influence géopolitique.

L’Empire du Milieu a l’économie vorace et formulant un besoin constant de nouveaux territoires, de nouveaux marchés et de nouvelles zones d’influences. Les conflits n’étant pas bons pour les investissements, surtout pas après les années de dèche causées par la Covid-19, la Chine a tout intérêt à s’engager donc la défense de la stabilité régionale pour sécuriser son potentiel de croissance, analysent des spécialistes.

Les deux géants pétroliers, l’Arabie Saoudite et l’Iran, fournissent l’essentiel des hydrocarbures qui font tourner la Chine, un argument qui pèse beaucoup plus aujourd’hui avec les bouleversements subis, sur l’ensemble du marché de l’énergie, depuis la guerre en Ukraine.

La nouvelle «route de la soie», grand projet du parti communiste chinois, bien mieux incarné depuis l’arrivée de Xi Jinping aux commandes, a d’autre part besoin des deux puissances régionales, de leurs territoires et potentiel d’infrastructures à développer, pour géographiquement se déployer ; l’Iran pour son potentiel de voies terrestres à développer vers l’Europe, l’Arabie Saoudite pour les voies maritimes . Un avant-goût du partenariat envisagé est déjà donné.

Quelques mois avant l’accord de Pékin, des contrats d’envergure, entre la Chine et le Royaume wahhabite, dans le domaine de l’hydrogène vert et le développement de la 5G, ont été signés, suivis de l’annonce d’une vente «record» d’équipements militaires chinois à l’armée saoudienne.

L’ambition BMS

Le fort ambitieux prince saoudien pour sa part, Mohamed Ben Salman (MBS) habité manifestement par un rêve de grandeur pour sa personne et pour le royaume, a besoin de stabilité et de sécurité pour mener à bien des projets de modernisation tous azimuts, et préparer l’après-pétrole. «Vision 2030» est le générique d’un ensemble de projections que parraine l’entreprenant prince héritier. Aussi hardies les unes que les autres, elles sont articulées autour de villes futuristes, des infrastructures pharaoniques, des hubs technologiques...

MBS, qui semble avoir du succès auprès de la jeunesse saoudienne, a déjà osé  quelques avancées en s’attaquant notamment au dogme wahhabite, et en levant quelques aberrations spécifiques qui attentaient aux droits des femmes saoudiennes. Dans l’élan, il est cohérent de le voir contribuer grandement à mener un travail de rupture avec les dogmes diplomatiques fondateurs, dont celui de soustraire le royaume de l’influence exclusive des Etats-Unis.

L’hégémonisme américain au Moyen-Orient, et son «bras armé» l’interventionnisme font vraisemblablement partie du passé. La tendance amorcée par Obama, après le champ de ruines diplomatiques et économiques légués par les deux guerres du Golfe, s’est poursuivie sur les deux décennies, marquant un remodelage doctrinal du leadership US.

Il était une fois, le pacte du Quincy

Donald Trump, lui, a donné au désengagement des formes plus abruptes en exigeant des alliés moyen-orientaux de faire le ménage chez eux par leur propre moyen et de ne plus compter sur les Etats-Unis, le tout sur fond d’islamophobie pratiquement assumée.

Mais l’on s’accorde à souligner que les expériences calamiteuses des deux guerres du Golfe, avec le surinvestissement militaire et l’enlisement diplomatiques en Irak notamment, ne sont pas les seuls motifs du changement de cap US. La découverte de larges réserves de pétrole et de gaz hors du Golfe, ainsi que le développement d’hydrocarbures non conventionnels aux Etats-Unis, a fait perdre son attrait à ce bon vieux Moyen-Orient.

85% des exportations de pétrole provenant du Golfe vont, selon des estimations mondiales, à la Chine, à l’Inde, au Japon et à la Corée du Sud. Le fameux accord de Quincy en 1945, du nom du croiseur américain qui a vu pactiser le roi Ibn Saoud et le président américain Franklin Roosevelt, autour du principe de la «sécurité contre le pétrole» a donc vécu.

L’establishment américain, ses think tanks, ses experts concluent tous en tout cas à considérer que le leadership mondial passe désormais par un glissement de l’intérêt et de l’investissement, en Europe et dans le Pacifique et un renforcement des partenariats avec les autres membres de l’Otan, ainsi que le Japon et la Corée du Sud. Un œil plus alerte sur l’Indopacifique, avec sa géopolitique de plus en plus favorable à la Chine, est préconisé également.

Les réactions américaines à l’accord de Pékin se sont contentées des formules diplomatiques d’usage saluant dans l’absolu toute réconciliation entre des parties en conflit. «Il reste à voir si l’Iran remplirait ses obligations», a quand même nuancé la Maison-Blanche. Et si la Chine est un bon interlocuteur de paix, aurait-on pu ajouter.
 

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