Au sein de l’enseignement supérieur et des organismes de recherche publics, les activités de recherche dans les domaines des sciences naturelles, des sciences physiques et mathématiques, de la technologie, de l’agriculture et l’agroalimentaire, etc. sont liés aux processus d’innovation et au progrès technologique.
En effet, la formation au sein des universités permet le développement des compétences humaines pour la production, l’utilisation et l’absorption des connaissances, soutenant ainsi les activités d’innovation dans les entreprises économiques, notamment dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. En conséquence, l’enseignement supérieur a un rôle de levier fondamental pour promouvoir le développement des capacités d’apprentissage.
De ce fait, il est étroitement lié à la construction d’une économie basée sur la connaissance (Foray, 2009) caractérisée par l’allocation des ressources existantes pour augmenter le stock de connaissances ou une économie d’apprentissage (Lundvall et Johnson, 1994) caractérisée par la formation de nouvelles ressources pour les activités d’innovation. En somme, «la mission (traditionnelle) des pouvoirs publics dans la recherche et dans son financement consiste à élargir le champ des connaissances pour le bénéfice de la société tout entière et soutenir les activités de recherche et développement (R&D) dans les domaines où les mécanismes du marché sont défaillants ou ne suffisent pas à répondre aux besoins de la société ou à des objectifs particuliers du gouvernement (OCDE, 2004)».
Les produits de la recherche tels que les brevets d’invention (propriétés intellectuelles) au sein des établissements de recherche publics sont le résultat de la recherche fondamentale. Les établissements universitaires, les laboratoires de recherche et surtout les centres publics de recherche ne sont plus uniquement considérés comme des contributeurs nets au stock de connaissances fondamentales, mais également comme des contributeurs directs au flux d’inventions (Carayol, 2006).
En effet, ces quatre dernières décennies, le nombre de dépôts de brevets d’invention par les universités et institutions de recherche a augmenté significativement partout dans le monde. Et pour cause, les brevets d’invention issus de la recherche académique sont considérés comme un facteur favorisant le transfert des connaissances et de technologie vers le secteur économique. Par exemple, l’instauration aux Etats-Unis en 1980 de la législation «Bayh-Dole Act» (Patent and Trademark Law AmendmentAct) a stimulé la croissance du fait de l’aptitude des établissements universitaires et organismes de recherche publics à produire des connaissances et obtenir des brevets pour ensuite faire la valorisation de la recherche, en transférant les savoirs fondamentaux vers le secteur industriel. En effet, aux Etats-Unis, la loi «Bayh-Dole» a aussitôt permis aux universités et institutions publiques de recherche de contrôler le brevet d’invention pour le commercialiser sur le marché. Résultat : cette législation a permis de promouvoir l’innovation, au sein de centaines de milliers de jeunes entreprises américaines et la production d’une quantité assez conséquente de nouveaux produits médicamenteux.
En somme, dans les pays développés, les pouvoirs publics encouragent l’interface monde de la recherche/secteur industriel pour le développement de l’innovation. Le rapprochement entre le monde de la recherche et le secteur industriel est aujourd’hui d’une grande importance, car il permet de créer de la valeur et de la richesse à travers la promotion de l’innovation, porteuse de croissance et de développement économique et durable. Au total, la valorisation de la recherche académique à travers le transfert technologique, l’exploitation de brevets, l’entrepreneuriat et l’essaimage universitaire (création d’une entreprise à partir du transfert des résultats des recherches par des chercheurs - inventor-led spin-off, des investisseur - investor-led-spin-offs, etc.) favorisent l’innovation et la création de start-ups.
Depuis près de trois décennies, les pouvoirs publics algériens ont instauré des politiques scientifiques et techniques afin de construire une économie de la connaissance et de l’innovation dans le but de s’insérer dans l’économie mondiale. Dans cette perspective, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) a déployé une stratégie de recherche et d’innovation à travers des politiques volontaristes en matière de développement de compétences humaines, de promotion de la production de connaissances scientifiques et technologiques dans les établissements universitaires et institutions de recherche et leur valorisation économique.
En conséquence, la production des connaissances à travers la production de brevets d’invention a connu ces dernières années une dynamique avérée, s’inscrivant dans une volonté croissante d’assumer un plus grand leadership et de participer davantage au développement économique et social du pays.
Conformément à l’arrêté ministériel n°1275 du 27 septembre 2022 qui porte sur le mécanisme «Un diplôme... une start-up» ou «Un diplôme... un brevet», le MESRS a décidé l’orientation des étudiants et chercheurs porteurs de projets innovants vers des incubateurs qui ont été créés à cet effet au sein des établissements universitaires et centres de recherche publics.
Ainsi, chaque étudiant ou chercheur porteur d’un projet innovant peut bénéficier des services offerts par l’incubateur en matière de coaching et d’accompagnement personnalisé, recevoir une aide à la formalisation du business model et business plan. Aussi, un Centre d’appui à la technologie et à l’innovation (CATI) a été mis en place au sein de chaque incubateur afin de permettre d’accéder à des services d’information technologique et préparer la demande de brevet d’invention.
Cette politique s’inscrit dans la stratégie du secteur de l’enseignement supérieur à rendre l’université une locomotive de la croissance et du développement économique à travers la formation de diplômés innovants et porteurs de projets créateurs d’emplois et de richesse comme cela a été affirmé en novembre 2022 par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
A la faveur de cette politique, le ministre chargé du MESRS a procédé, en juillet dernier, avec le ministre de l’Economie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, au lancement de 84 maisons de l’entrepreneuriat au sein de différentes universités à travers le pays.
Les mesures déployées par le MESRS ont été concrétisées jusqu’à aujourd’hui par la création de 94 incubateurs (dont 42 incubateurs ont déjà été agréés et 19 labélisés), 17 maisons d’intelligence artificielle et 3 technopôles.
En ce qui concerne le nombre de demandes de brevets d’invention au sein des établissements universitaires et institution de recherche, il a sensiblement augmenté ces dernières années passant de 358 à plus de 860 entre 2020 et le 31 juillet 2023, selon les statistiques de l’Institut national algérien de la propriété industrielle (INAPI). Le cumul de dépôt de brevets a ainsi été multiplié par quatre et demi au cours de cette période en totalisant 1617 brevets déposés à l’INAPI par les étudiants porteurs de projets innovants et chercheurs des centres publics de recherche.
En définitive, il y a aujourd’hui un intérêt croissant, à différents stades, des étudiants universitaires créatifs et des chercheurs dans le processus de la production de connaissances fondamentales et leurs valorisations par les dépôts de brevets. L’activité de production de brevets académiques est devenue désormais importante, un phénomène inéluctable qui s’inscrit dans la volonté de l’université et autres institutions de recherche publique afin de répondre aux besoins et à la demande du secteur économique en matière de connaissances scientifiques et technologiques pour leur concrétisation marchande.
L’effectif du personnel de la recherche permanent a sensiblement augmenté ces dernières années. Aujourd’hui, il totalise 2272 chercheurs au niveau des centres de recherche et 40 426 enseignants/chercheurs (DGRSDT, MESRS, 2023). Il n’en reste que la demande des entreprises en matière de science et technologie pour promouvoir les processus d’innovation reste moyenne.
En effet, les études empiriques sur l’innovation confirment la modeste circulation des flux d’informations et de connaissances entre le monde de la recherche et les acteurs du système d’innovation représenté par les entreprises (Casadella et Younes Bouacida, 2019 ; Ben Slimane et Ramadan, 2017 ; Amdaoud, 2017 ; Djeflat, 2009).
On peut expliquer le manque d’intégration entre les institutions de recherche et le secteur industriel par plusieurs facteurs, dont particulièrement la demande moyenne des entreprises en matière de connaissances scientifiques et technologiques. Pourtant, les universités et notamment les centres de recherche publics disposent aujourd’hui d’un stock de connaissances et de brevets d’invention qui peuvent être potentiellement valorisés dans le secteur économique.
Le problème est que les entreprises algériennes (publiques et privées) sollicitent assez modestement les acteurs de la recherche publique pour exploiter les brevets d’invention et les technologies produites afin de promouvoir l’innovation et améliorer ainsi leur compétitivité et notamment leur intégration dans les chaînes de valeur mondiale.
Les entreprises économiques algériennes sont aujourd’hui plus que jamais appelées à collaborer avec le secteur public de la recherche dans le but de promouvoir l’innovation et le progrès technologique. Il y a des connaissances, des brevets d’invention et des prototypes qui pourraient être potentiellement valorisable dans les entreprises afin de résoudre des problématiques particulières, répondre aux besoins du marché local, ou bien limiter tout simplement l’importation de certains produits manufacturés.
Ainsi, les entreprises économiques doivent tisser des liens informels et surtout formels avec les institutions de recherche publique afin d’acquérir des connaissances et des technologies pour les activités de R&D et d’innovation. A ce titre, les entreprises peuvent solliciter l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et du développement technologique (Anvredet) qui assure l’interface entre la science et l’industrie pour promouvoir l’innovation dans les entreprises.
En effet, l’Anvred et sous la tutelle de la DGRSDT-MESRS dispose de valorisateurs que sont des professionnels dont la mission essentielle est d’identifier les opportunités de la valorisation de la recherche publique, et de rendre utilisables et commercialisables les technologies, les produits de la recherche publics, les prototypes, les connaissances, les compétences et les savoir-faire des chercheurs. En somme, la coopération des entreprises avec les institutions publiques de la recherche va permettre la valorisation économique du stock de connaissances et technologies des acteurs publics de la recherche. Cela va permettre le transfert de technologies, promouvoir l’innovation, la création d’entreprises technologiques, et réaliser des avancées technologiques dans de nombreux domaines tels que la santé publique, les énergies renouvelables, la sécurité alimentaire, l’industrie électronique, l’environnement, etc. au service de l’amélioration du bien-être des populations.
Par le Pr Rédha Younes Bouacida
Docteur en sciences économiques d’Aix-Marseille Université, France
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Bibliographie
Arrêté ministériel n° 1275 du 27 septembre 2022 portant sur le mécanisme « Un diplôme… une start-up», Algérie.
Clark, B.R. The entrepreneurial university: Demand and response. Tert Educ Manag 4, 5–16.
Carayol N. 2006. «La production de brevets par les chercheurs et enseignants-chercheurs. Le cas de l’université Louis Pasteur», Economie & prévision, vol. 175-176, no. 4-5, 117-134.
DGRSDT, MESRS, «Statistiques des grands agrégats», 2023
Foray D. 2009. L’économie de la connaissance. La Découverte.
Laperche B. et Uzunidis U. 2011. «Contractualisation et valorisation de la recherche universitaire. Les défis à relever par les universités françaises, Marché et organisations», vol. 13, no. 1, 107-136.
Lundvall B.A. Johnson B. 1994.The «Learning Economy», Journal of Industry Studies 1(2),23-42.
OMPI. 2023. CATI, https://www.wipo.int/tisc/fr/.
INAPI, Statistiques brevets. https://e-services.inapi.org/.
OCDE, 2004, «Politiques de la science et de l’innovation, principaux défis et opportunités». Réunion du Comité de la politique scientifique et technologique de l’OCDE au niveau ministériel.