«Un beau jour, j’ai décidé de travailler sérieusement l’histoire d’un ami qui m’a raconté ses années d’enfer dans les prisons», nous confie Rabah Bedaouche, ce jeune romancier, poète et musicien.
- Vous venez de publier un roman intitulé Un prisonnier en permission . Pouvez-vous nous parler un peu de ce livre ?
C’est une histoire véridique qui a travaillé mon esprit depuis une décennie, voire plus. Alors, j’étais étudiant à l’université de Béjaïa, à cette époque-là, très occupé par mes poèmes d’amour, de liberté,… D’ailleurs, j’ai déposé mon tout premier recueil de poésie intitulé Le sentier des plaies chez les éditions Tafat quand j’étais en master et sa parution fut quelques mois après, en mai 2018. Un beau jour, j’ai décidé de travailler sérieusement l’histoire d’un ami, qui m’a raconté ses années d’enfer dans les prisons de l’ensemble du territoire national ! Cet ami-là, lui aussi, était étudiant, mais il ne pouvait pas continuer ses études à cause de cette tragédie qui vient de frapper fort dans son âme, hélas ! Il était obligé de quitter tout de suite les études pour comparaître devant le tribunal !… Cinq ans de prison ferme ! Après deux ou trois ans plus tard de son emprisonnement, il y a eu le décès de son père qui était gravement malade ! Ainsi donc, c’est à partir de là, que j’ai commencé à épouser cette dure épreuve avec mon imagination, pour enfin donner la naissance à un enfant de papier prénommé : «Un prisonnier en permission.»
- Un prisonnier en permission. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé justement à choisir ce titre ?
A dire vrai, le titre, je ne l’avais pas au début ; c’était en écrivant que l’idée m’est venue à titrer mon roman ainsi. Evidemment, le choix du titre est doté d’une foultitude de raisons. L’une des raisons qui m’a donné l’idée de l’intitulé Un prisonnier en permission est mon quotidien assoiffé de voir d’autres couleurs de la vie, mais malheureusement chez nous, nous n’avons aucune couleur, une vraie monotonie ! La deuxième raison, ce sont les café-rencontres avec ce bonhomme qui ne cesse de souffrir au jour le jour de plusieurs maladies, d’où leurs racines proviennent de la prison ! «Ce qui restera gravé dans ma mémoire pour toujours et à jamais, c’est le fait d’être dans un univers de savoir, et tout d’un coup, se retrouver dans un centre pénitentiaire», m’avait-il dit d’un air abattu et d’un ton contrit ! C’est aussi le fait de voir notre jeunesse, dont je fais partie, sur le visage, mille et un rêves qui ne sont ni en chantier ni en stand-by ! Une jeunesse truffée de talents, une jeunesse ni entendue, ni écoutée ; elle est méprisée, marginalisée, oubliée… Et, comme je disais sur la citation en quatrième de couverture : «La jeunesse est le meilleur miroir où la vie aime se faire belle.» Voici à peu près les raisons qui m’ont poussé à opter pour ce choix. Un prisonnier en permission est une histoire puisée à la source du vécu. On peut même dire que le côté imaginaire de cette histoire-là est aussi un fait réel. Elle est alimentée de scènes quotidiennes, de mal de vivre de la patrie, de revendication identitaire notamment ! Un prisonnier en permission met en scène des personnages inventés, dont Daâ, Fak... Un roman arrosé de poésie et de propos populaires, qui ont donné une symphonie de fluidité tout au long des paragraphes qui sont parfumés de faits réels. Un prisonnier en permission raconte l’histoire d’un jeune innocent, incarcéré arbitrairement dans sa ville qui s’appelle «Sufane» ! Il relate tristement la vie de ce jeune qui est sorti de sa puberté et qui court après la réalisation de ses rêves, enfin de quelques-uns – vivre dignement sa modeste vie. Un jeune qui, tout au long du récit, porte un double rôle, mais sans nom, il est à la fois l’auteur et l’ami. C’est un roman d’amitié.
- Vous dites un roman d’amitié. Pouvez-vous nous en expliquer davantage ?
Tout à fait, car cet ami-là est revenu à l’université pour continuer ses études, alors on se voyait souvent, et on partageait tout ensemble. Des fois, il ouvrait ce malheureux chapitre de sa vie, en me relatant le climat qui n’augurait rien de bon dans l’enceinte de ces centres pénitentiaires de l’ensemble du territoire !
Il était l’un des plus jeunes qui se trouvaient en prison. Il m’a beau parler de cet espoir qu’il avait dans les livres, il lisait des romans, «je les voyais comme des fenêtres et des portes ces romans-là ! », me disait-il toujours avec un grand sourire. A vrai dire, j’ai beaucoup appris de lui, car «l’école de la vie» l’a très bien forgé et, de tout temps je lui disais : «Pourquoi avoir revenu à ce lieu, hein ? La prison t’a appris ce que l’université ne pourra jamais t’enseigner !»
Évidemment, l’amitié-là tissée entre nous, fut un support d’échanges sur des sujets divers. J’étais en quelque sorte dans «l’obligation» d’écrire un roman sur sa formidable histoire, je savais pertinemment dès le départ que cette histoire-là serait super belle sur papier. Sa détermination et sa volonté inébranlable m’ont vraiment travaillé sur le plan psychologique, vraiment ! Et c’est ce qui a enfanté ce volontarisme et ce courage dans mon for intérieur de me mettre au travail.
- Vous êtes à votre 4e ouvrage, et ce, après avoir déjà publié trois recueils de poèmes. Comment ressentez-vous ce passage de la poésie à l’écriture romanesque ?
Le passage de la poésie et à la prose, c’était très très difficile pour moi de me détacher de la poésie pour me mettre dans le bain de la prose ! Dès que j’ai commencé à travailler les premiers paragraphes de mon roman, il y avait quelque chose en moi qui me manquait, c’était bel et bien ces sentiments et émotions sublimissimes ! Alors que, dans la prose, on se contente généralement d’utiliser la communication la plus courante, celle avec laquelle on collabore dans des institutions et dans la presse, à titre d’exemple ; dans des bureaux, des magazines, des journaux, des écoles, des tribunaux, etc., il n’empêche que j’ai utilisé des poèmes comme. «Le prisonnier le plus fier des malheureux», des distiques tels : «Vous, vos barreaux, Nous, nos barres hautes», des propos populaires qui s’entrecroisent et qui ont fini par donner une alchimie remarquables aux paragraphes de mon roman. Sinon, ma plume que ce soit de prose ou de poésie, elle est la plume de la pensée, du questionnement, l’amour, de revendication…, la plume d’humour et d’espoir. Et comme je disais dans mon second recueil de poésie intitulé Un arc-en-ciel en pleine : j’ai la poésie dans la peau.
- Que conseillez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans l’écriture ?
Le conseil que je peux donner aux jeunes qui voudraient se lancer dans l’écriture, c’est qu’il faut se mettre au travail, travailler sa «touche personnelle», ne jamais imiter qui que ce soit, car imiter, c’est décider de limiter sa pensée. Friedrich Nietzsche disait dans l’une de ses citations extraordinaires : «Tu dois devenir l’homme que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le mettre et le sculpteur de toi-même.» Vous savez dans la vie, on ne peut pas vivre comme on le veut, mais par le biais de l’écriture, on peut vivre tel qu’on le souhaite. Et pour paraphraser la grande écrivaine Assia Djebar qui disait si bien : «Écrire, c’est vivre doublement», elle a entièrement raison, la plume nous donne une chance remarquable, elle nous permet de vivre l’éternité, de planter notre âme à tout jamais sur ce passage terrestre. Le pouvoir des mots peut défier la mort, l’oubli, l’obscurité...
- Avez-vous d’autres romans en projet ?
Je viens de mettre deux œuvres sur le marché en cette année 2021 ; ma dernière œuvre poétique L’aube illuminée et mon premier roman Un prisonnier en permission, donc il me faut un répit pour reprendre du poil de la bête. S’il y a un roman à travailler dans les mois à venir, ça sera la suite du premier roman, car sa chute porte trois points de suspension, ce qui veut dire, Un prisonnier en permission n’a pas encore dit son dernier mot. J’ai bien pensé dès le départ. Donc, j’ai pris cette décision de le faire en deux parties pour savourer l’histoire, et pour aussi recharger mes batteries d’inspirations de plus belle. En somme, j’ai plusieurs titres en chantier, l’un d’eux est une histoire d’amour, un autre sur la patrie... mais je préfère finir d’abord avec Un prisonnier en permission, c’est ce qui m’importe plus en ce moment.
- Par quoi voulez-vous conclure cet entretien ?
Avant mes remerciements, je voudrais dédier ce roman à tous les détenus d’opinions qui croupissent en prison en ces moments difficiles ! Un prisonnier en permission est un hommage à toute personne qui refuse l’injustice, qui est prête à tout, mais jamais à s’abdiquer, à toute personne qui veut vivre dignement sa life, et à tous les militants sincères qui aspirent au changement. En guise de conclusion, je réitère encore une fois mes plus chaleureux remerciements à toutes les personnes qui m’ont aidé ne serait-ce qu’avec un mot d’espoir et/ou de courage, dont mes parents sur le plan financier, Mahrez Bouich, qui était mon enseignant de philosophie lorsque j’étais étudiant à l’université, à qui j’ai attribué le nom «Le père blanc», c’était vraiment la personne qui m’a ouvert les yeux et qui n’a jamais cessé de m’encourager à surmonter mes «échecs» et aller de l’avant. Au second lieu, je remercie infiniment monsieur Hafid Zaouche qui m’a beaucoup aidé lors de la parution de ma première œuvre poétique Le sentier des plaies, surtout. L’écrivain, photographe Armand Vial, auteur de La belle de la source, qui m’a donné de son temps pour terminer mon roman, un grand merci et mes respects à lui. Aussi, Khaled Lemnouar qui a été toujours à mes côtés en apportant tant de correctifs à toutes mes œuvres sans exception aucune. Puis, il y a monsieur Mabrouk Senoune, un enseignant qui donne des cours au lycée à Aokas, qui m’a aidé aussi dans la correction de mes manuscrits. Cela sans oublier aussi un éminent poète d’Aokas à qui je souhaite du fond du cœur un prompt rétablissement. Il s’agit bel et bien de Chaabane Mohamed, un sage à qui vont mes salutations sincères. Sinon la liste est encore longue...
Entretien réalisé par
Hafid Azzouzi