Le libéralisme démocratique est-il arrivé à ses limites, qui a sévèrement ébranlé, en France, les principes même qui le fondent ? Participe-t-il à sa propre mort, dans une autodestruction, donnant de lui une piètre image, qui a choqué pratiquement la classe politique dans toute sa diversité. Spectacle désolant à l’Assemblée française, qui ressemble à un chahut de cour d’école.
Encore davantage dans la rue, gagnée par la colère suite au passage en force opéré par l’Exécutif, faisant fi du désaveu des parlementaires peu emballés par cette loi relative à la retraite. Sans doute, la démocratie, dans sa noble acception, n’était pas vouée à un tel sort. Mais parce que celle-ci, disait déjà Platon, «est insatiable,dans la liberté, et s’y trouve indifférente à toute autre chose, elle se transforme, et mène, nécessairement à la dictature».
Depuis plus d’un siècle, que d'extrapolations sur les démocraties et leur rôle au sein des sociétés développées. Au XIXe siècle déjà, fait remarquer François Furet, historien, spécialiste de la Révolution française, «les hommes du XIXe siècle ont beaucoup cru que la démocratie, libérale, moderne, mettait la société dans un péril constant de dissolution, par suite de l’atomisation des individus, de leur indifférence à l’intérêt public, de l’affaiblissement de l’autorité et de la haine de classe».
Ce dernier point est important, puisque, depuis plusieurs décennies, la consolidation du capitalisme, devenu débridé, a nourri l’affrontement entre de puissants lobbys, émargeant en politique, et les oppositions déconsidérées, dès lors que les voix de leurs représentants démocratiquement élus ne sont plus audibles dans les enceintes parlementaires. Entraînant une aggravation de l’injustice du partage, déjà largement dénoncée par le pays réel.
On voit très bien que les mécanismes démocratiques sont mis à mal, balançant entre le sens de l’Etat, prôné par l’Executif, et l’intérêt général, dont l’une et l’autre partie se disputent la paternité. Le capitalisme, libéral, très élastique, guidé par sa cupidité et sa voracité, s’est-il trop éloigné des mœurs traditionnelles, qui cimentaient autrefois la collectivité, et constituaient le lien social, rompu depuis ? S’est-il trop impliqué avec la politique spectacle à travers des médias, qui ont outre passé leurs missions originelles ?
La modernité démocratique s’est-elle laissée aller à des excès et à des dépassements, du moment qu’on a délaissé le vote parlementaire, qui incarne la vox populi, pour recourir à un article «verrou», au demeurant constitutionnel ! Sans doute dans cette affaire, l’harmonie sociale, le consensus, la morale collective et l’éthique ont reçu un rude coup. L’incapacité de dégager une majorité favorable dans l’hémicycle, pour faire passer démocratiquement le projet de réforme des retraites, envisagé par l’Executif français, a donné lieu à un spectacle indigne de la patrie des Droits de l’homme, quand il a fallu, sans gloire, s’aider de l’article miracle.
La démocratie d’opinion serait-elle en train de supplanter la démocratie représentative ? La question mérite d’être posée, au moment où le président français recourt à cette arme secrète, qu’est cet article, comme ultime alternative face aux positions résolues de ses contempteurs.
En agissant de la sorte, l’Exécutif a bousculé les habitudes et les formes de la fonction politique, en cours depuis des lustres. A moins que celle-ci soit devenue inadaptée aux temps nouveaux, et que la société est en train de déborder le politique. L’un et l’autre ne parlent plus le même langage.
Pour résumer, référons-nous à Tocqueville, qui a défini la démocratie d’opinion comme étant «une immense pression de l'esprit de tous sur l'intelligence de chacun. Si elle dégénère, elle fera rouler vers la démocratie directe, où les élus ne peuvent plus définir et défendre dans la sécurité d’un mandat, les intérêts à moyen ou long terme de la collectivité nationale».