Publicités envahissantes : Les chaînes de télévision privées dos au mur

01/04/2024 mis à jour: 03:28
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Depuis le début du Ramadhan, nous constatons une «overdose» de pub sur les chaînes privées algériennes - Photo : D. R.

Le bras de fer entre l’Anira et les télés privées a commencé au troisième jour du mois de Ramadhan. Le mois de tous les excès, y compris à la télé où l’on assiste à une «overdose» de pub.

Echorouk TV, El Hayat, El Bilad, Ennahar TV, Samira TV et El Heddaf, des chaînes de télévision privées, se font remonter les bretelles.
Un délai de 72 heures – arrivé hier à échéance – leur a été signifié jeudi par l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (Anira) pour se conformer à la réglementation régissant le volume horaire des spots publicitaires diffusés en boucle depuis le début du mois de Ramadhan.

Après deux mises en garde, contenues dans les communiqués des 14 et 27 mars dernier, l’Anira a fini par leur lancer des mises en demeure. Ultime étape avant de passer aux sanctions. «Après avoir examiné le contenu diffusé sur les chaînes de télévision, l’Anira a constaté la non-conformité du volume horaire des messages et spots publicitaires aux dispositions des cahiers des charges (…)», a indiqué jeudi l’Autorité dans un communiqué.

«Les chaînes susmentionnées ont été officiellement mises en demeure, aujourd’hui (jeudi, ndlr), à l’effet de se conformer, dans un délai de 72 heures suivant la publication de la décision de l’Autorité, aux dispositions des articles 69 à 74 du décret exécutif 16-222 portant cahier des charges générales fixant les règles imposables à tout service de diffusion télévisuelle ou de diffusion sonore», a ajouté la même source. L’article 71 du décret susmentionné stipule que les œuvres cinématographiques et audiovisuelles ne peuvent pas faire l’objet de plus de deux interruptions publicitaires.

Celles-ci doivent se limiter à une durée de six minutes au total pour les œuvres cinématographiques, selon cet article. Aussi, le temps consacré à la diffusion de messages publicitaires (Art. 79) ne peut être supérieur à six minutes par heure d’antenne en moyenne dans l’année. Alors que chaque séquence de messages publicitaires est limitée à une durée maximum de trois minutes.

Dans le même communiqué, l’Autorité a prévenu que «si elles (chaînes de télévision, ndlr) ne se conforment pas aux mises en demeure dans les délais impartis, les chaînes concernées se verront infliger des amendes», et qu’elle se réserve le droit d’«ordonner la suspension intégrale ou partielle des programmes faisant l’objet d’infraction, conformément aux articles 76 et 77 de la loi 23-20 relative à l’activité audiovisuelle».

Autrement dit, les feuilletons et sitcoms diffusés en soirée sur les chaînes récalcitrantes risquent de passer à la trappe. De peur d’en arriver là, certaines de ces chaînes télé ont réduit avant-hier le volume horaire de la publicité en prime time, a-t-on constaté.

Mais comment en est-on arrivé là ? Le bras de fer entre l’Anira et les télés privées a, rappelons-le, commencé au troisième jour du mois de Ramadhan. Le mois de tous les excès, y compris à la télé, où l’on assiste à une «overdose» de pub.

Télévision «réfractaires»

Le 26 mars dernier, l’Anira a, dans un précédent communiqué, annoncé avoir convoqué «urgemment» tous les représentants des chaînes de télévision «réfractaires» aux dispositions juridiques et réglementaires liées à la diffusion publicitaire.

«Après avoir fait le constat des coupures publicitaires prolongées auxquelles se livrent la plupart des chaînes, ce qui porte préjudice à l’intérêt du téléspectateur, et constitue un dépassement du temps consacré à la diffusion de spots publicitaires, l’Anira avait appelé, dans un communiqué rendu public le 14 mars dernier, au strict respect des dispositions juridiques et réglementaires relatives à la publicité audiovisuelle», a-t-elle souligné.

Et de constater que «la plupart des chaînes de télévision continuent d’enfreindre les dispositions et l’avis précité» au moment où elle s’attendait à une «réponse volontaire», d’autant qu’elle a, selon ses propos, laissé à ces chaînes «un délai suffisamment long pour prendre les dispositions commerciales et techniques nécessaires pour remédier à la situation».

Pour l’Autorité, ces mêmes chaînes ont «privilégié leurs intérêts commerciaux au détriment de l’intérêt du téléspectateur, de l’intégrité des œuvres artistiques et de la préservation de leur autonomie dans l’élaboration des grilles de programmes».

Et d’ajouter : «L’Autorité a ainsi adressé des convocations urgentes à tous les représentants des chaînes réfractaires pour présenter leurs arguments oraux et/ou écrits lors des séances d’interrogatoire spéciales (…) avant de se prononcer au sujet de chaque cas, conformément aux dispositions juridiques et réglementaires.»

Les premières auditions ont débuté mercredi, ont confié à El Watan des responsables des chaînes TV. Echorouk et El Haddaf TV ont été les premières à avoir été entendues par l’Anira. Le lendemain, El Hayat, El Bilad, Ennahar TV ont été auditionnées. El Watan a pris attache, jeudi, avec des responsables de chaînes TV pour connaître leur avis sur les faits qui leur sont reprochés et le ton musclé des premiers communiqués.

La plupart d’entre eux n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet, alors que d’autres ont préféré apporter des appréciations en «off». Contacté par téléphone, le directeur de la publication d’Ennahar TV, Osmani Mohamed, n’a pas voulu commenter les communiqués de l’Anira. Il a toutefois expliqué que les griefs soulevés méritent de s’y attarder.

Pour lui, le volume horaire des spots publicitaires, jugé excessif, est la conséquence d’une situation de précarité que vit l’ensemble des médias audiovisuels en Algérie. «Cela doit nous amener à ouvrir le débat sur le marché de la publicité et les sources de financement des télés», a-t-il déclaré. «Les chaînes de télé n’ont pas la possibilité de mobiliser les fonds nécessaires pour financer leur production.

Nous nous retrouvons avec des modes de financement basés à 100% sur la pub commerciale. Il n’y a pas de fonds d’aide pour l’audiovisuel en Algérie comme cela existe sous d’autres cieux», explique-t-il. La situation s’est encore aggravée avec le tarissement du marché de la pub constaté ces dernières années.

La manne de l’ANEP permettait, par le passé, aux journaux disposant de chaînes de télé d’équilibrer leurs budgets. Présentement, selon lui, la pub étatique ne représente que 5 à 10% des ressources financières captées par les chaînes de télé. M. Osmani fait savoir aussi que les grilles tarifaires pour la pub à la télé n’obéissent pas à une logique purement commerciale.

«Les annonceurs sont souvent déconcertés lorsqu’il s’agit de lancer une campagne publicitaire, car ne disposant pas, en majorité, de conseillers en communication», poursuit-il. «Personnellement, j’ai déjà exposé la problématique de la publicité et du financement des chaînes télés lors de rencontres avec des députés et des responsables du secteur.

A mon avis, il faut s’attaquer sans tarder à la question centrale de la publicité dans les médias», a-t-il soutenu. Un professionnel de l’audiovisuel, exerçant pour le compte d’une télé privée et qui a requis l’anonymat, estime que l’Anira a choisi le «mauvais timing» pour interpeller les chaînes de télévision.

«L’Autorité a réagi certainement sur la base de données qui lui sont propres sans prendre en considération les engagements et les contrats de partenariat entre les chaînes privées, les producteurs et les annonceurs.

Ceci dit, son intervention aurait pu être plus compréhensible et plus juste, si elle avait été annoncée aux chaînes de télé quelques mois avant le début de Ramadhan, c’est-à-dire avant les signatures des contrats entre les acteurs concernés», souligne-t-il.

Notre interlocuteur, qui reconnaît que l’Autorité est dans son droit d’intervenir et d’interpeller, estime toutefois qu’«il n’est dans l’intérêt de personne de prendre des décisions précipitées et surtout à la dernière minute».

Médiamétrie

L’idéal aujourd’hui, d’après lui, est de publier le nouveau cahier des charges régissant la publicité dans le secteur de l’audiovisuel. «Il a été validé, mais pas encore publié», révèle-t-il. Dans son dernier communiqué, l’Anira se base sur le cahier des charges de 2016, antérieur à la nouvelle loi sur l’audiovisuel, mais qui, légalement, demeure en vigueur tant qu’il n’a pas été remplacé par un nouveau.

Pour Kader Djeriou, comédien et metteur en scène, une boucle de pub de 30 minutes est «hors norme». «C’est en fait un peu de contenu au milieu de la pub. Je peux comprendre les chaînes de télé, mais la situation doit changer, dit-il. Pour rentabiliser leurs budgets production, ces chaînes augmentent les temps de passage.

Car il faut savoir que les prix de la pub à la télé en Algérie est trop bas. Cela est anormal.» Il nous confie que les productions ramadhanesques (feuilletons) coûtaient, il y a trois ou quatre ans, environ 40 milliards de centimes; actuellement le produit le plus cher ne dépasse pas le tiers de ce montant.

A ses yeux, il faut un compromis entre toutes les parties, une grille tarifaire transparente pour la pub à la télé et la mise en place d’un système de Médiamétrie. «Quelle est la chaîne la plus regardée en Algérie ? Quel est le programme le plus suivi ? Personne ni aucun organisme ne peut le dire», s’interroge-t-il. «Se fier au nombre de vues sur YouTube est trompeur.

Vous devriez savoir que des annonceurs ou des producteurs peuvent doper le nombre de vues sur YouTube et cela peut tout fausser. Nous ne pouvons plus continuer à travailler sans une véritable économie de l’audiovisuel adossée à des mécanismes statistiques fiables», explique le concepteur du feuilleton à succès El Rihane (Le pari) diffusé sur la chaîne Ennahar TV et distribué, entre autres, sur la plateforme arabe Shahid et Maraya.

Djeriou avance, en outre, la question de savoir pourquoi les multinationales activant en Algérie n’investissent plus dans le marché de la pub, alors qu’ils en tirent encore de gros bénéfices. Ailleurs, ces mêmes multinationales lancent des campagnes pub avec des tarifs élevés pour des marchés presque équivalents. «Au Maroc, un passage publicitaire à la télé est facturé à 25 000 euros, moins de 2000 euros en Algérie. Trouvez-vous cela normal ?» s’interroge-t-il.

D’où la nécessité, insiste-t-il, de remettre sur la table la loi sur la publicité, seul instrument en mesure d’éviter le recours au dumping dans le secteur, d’instaurer une concurrence saine sur le marché, définir clairement les règles relatives au format de la publicité à la télévision et prévenir tous les excès. 

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