Prolifération de la pratique illégale des analyses médicales : Les experts en biologie médicale tirent la sonnette d'alarme

01/03/2025 mis à jour: 10:03
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Les laboratoires non spécialisés mettent en danger la santé des citoyens

Il faut que l'on arrête l'hémorragie. La situation est complexe, elle est cacophonique et même très grave, et cela y va de la santé des Algériens et de la sécurité sanitaire nationale.

 Il s'agit là d'une mise en garde et d'une sonnette d'alarme tirée par des experts et médecins biologistes concernant la prolifération de la pratique illégale des analyses médicales dans des laboratoires ou pharmacies non spécialisés. 

Une situation qui met en danger la santé des citoyens, alors que 70 à 80% des diagnostics médicaux sont basés sur les résultats d'analyses biologiques. Lors d'une rencontre organisée jeudi, conjointement par le Syndicat algérien des laboratoires de biologie médicale (Salam) et l'Association des laboratoires d'analyses médicales (ALAM), des professionnels de la santé ont, unanimement, appelé les autorités à prendre les mesures urgentes pour garantir la qualité et la fiabilité des analyses médicales, et de surcroît protéger la santé des citoyens. 

Aussi, ils interpellent les pouvoirs publics pour bannir les spots publicitaires qui incitent les citoyens à faire des analyses médicales avec des tarifs promotionnels, et ce, sans recourir à une consultation médicale. «Nous avons déjà saisi le ministère de la Santé, mais nous n'avons pas eu de réponse. Nous allons une fois de plus interpeller la tutelle. Si elle ne prend pas en charge nos doléances, nous allons nous adresser au président de la République. 

Nous allons user de tous les moyens pour tenter de mettre fin à ces pratiques, quitte à saisir la justice», assène le docteur Abdelhalim Chachou, président de l'ALAM. Il a expliqué dans son intervention, où il revenu sur l'historique de la biologie médicale, que plus de 70% des diagnostics médicaux reposent sur les analyses biologiques et dans le futur proche, on dépassera, selon lui, ce pourcentage. 

Aussi, l'intervenant a fait remarquer que ces derniers temps, des intrus exercent «la profession avec laxisme» et parfois «avec l'autorisation des autorités médicales». 

La multiplication de ces dépassements sont constatés, dit-il, au quotidien dans les secteurs privé et public, et ce, malgré les alertes répétées aux autorités sur la gravité de la situation et surtout sur les risques liés à de mauvaises manipulations des prélèvements sanguins ou à des interprétations erronées des analyses médicales. 

Des erreurs dans l'interprétation sont fatales pour le patient

A ce titre, le Dr Chachou a plaidé pour «la promulgation de textes de loi permettant à ce corps de suivre une formation continue pour qu'il soit au diapason des avancées réalisées dans ce domaine». «Permettre à des individus non qualifiés d'exercer cette spécialité aux côtés des médecins et pharmaciens ayant suivi une formation de longue durée est préjudiciable à l'image du métier de la biologie médicale», a-t-il averti. 

Le Pr Issam Frigaa, chef du centre d'hémobiologie et de transfusion sanguine au CHU Mustapha, explique que l’exercice de la biologie médicale est très sensible dans le processus de prise en charge du patient, que ce soit pour le diagnostic, le traitement ou la prévention. Il doit être strictement réglementé. «Il faut donc établir un cadre organisationnel et réglementaire pour cette activité, garantissant la qualité, la précision et l’accès aux professionnels habilités à réaliser et interpréter des analyses de biologie médicale.» 

Par ailleurs, il existe, dit-il, d’autres problématiques connexes, telles que le manque d’approvisionnement en réactifs. «Nous avons une pénurie de ces produits et jusqu’à présent, nous sommes en rupture de stock et nos machines sont à l'arrêt. Oui, c'est une réalité, la pénurie existe et la responsabilité de cette situation incombe non seulement au ministère de la Santé, mais aussi à celui de l'industrie pharmaceutique», dénonce le Pr Frigaa qui précise que «des erreurs dans la réalisation des analyses médicales, l’utilisation d’un réactif inadéquat ou une mauvaise interprétation des résultats peuvent s’avérer fatales pour le patient. Il y a eu des cas d’accidents liés aux antivitamine K, dus à un problème de réactifs défectueux ou à une mauvaise interprétation des résultats». 

Et de révéler : «Nous sommes amenés quotidiennement à corriger des diagnostics faussés par ce type d’erreurs. On estime que 70 à 80% des diagnostics dépendent de l'activité de la biologie médicale.» 

Le Dr Boudjemaa Ali, président de Salam, a, quant à lui, souligné des failles dans la législation y afférente à l'exercice de la biologie. Il a évoqué des textes parus depuis 2008 jusqu’au récent statut des biologistes de santé publique, dont les dispositions portent, selon lui, à confusion.

Pénurie de produits de première nécessité

Il est vrai que ce corps, dit-il, participe à l’activité des laboratoires d’analyses, mais on lui confère, malheureusement, les prérogatives de médecins et de pharmaciens spécialisés en biologie médicale. «On lui attribue le statut de biologiste médical, c’est-à-dire la responsabilité de l’interprétation et de la validation des analyses médicales.» 

L'intervenant a rappelé que des organisations de biologistes médicaux, mais aussi de praticiens de santé, ont soulevé le problème de ce vide juridique et formulé des propositions, mais jusqu’à présent, celles-ci n’ont pas trouvé, regrette-t-il, d’écho. 

Il a également soulevé le problème de la pratique illégale de la biologie médicale par des professionnels non habilités, notamment les pharmaciens d’officine, certains médecins hématologues, des endocrinologues… et même dans des salles de soins. Sur ce point, nous avons, précise-t-il, progressé du point de vue réglementaire avec la tutelle, mais dans la pratique, «aucun progrès n’a été réalisé». Il faut pratiquer la biologie médicale dans le respect des normes. 

«Nous croyons résolument au dialogue. Nous adressons des écrits à la tutelle et nous faisons valoir nos revendications de manière graduelle, car en tant que Syndicat, nous disposons des moyens légaux pour mener des actions de protestation.» Boudjemaa a également abordé la problématique de la mise à jour de la nomenclature tarifaire des analyses médicales pour le remboursement par les Caisses de sécurité sociale, laquelle date des années 1970. 

Lui emboîtant le pas, Adel Agoun, premier vice-président de Salam, rappelle que la biologie médicale, discipline à part entière, devrait être exercée exclusivement par les médecins et pharmaciens titulaires de diplômes en biologie médicale. «La loi sur la santé de 2018 stipule clairement que la possession d'un diplôme d’études médicales spécialisées est une condition essentielle pour ouvrir un laboratoire d’analyses médicales. Toutefois, il est constaté que des personnes non formées dans ce domaine la pratiquent», affirme-t-il. 

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