Projeté en compétition et en avant-première mondiale dans la soirée de dimanche, le film «Terre de Vengeance», du réalisateur algérien Anis Djaad ayant quand-même drainé un peu plus de public que d’habitude, a reçu un accueil mitigé. Les silences, les plans fixes à durée indéterminée, les lenteurs, etc. font certainement écho à son très beau court métrage, le méditatif «Passage à niveau» sorti il y a une dizaine d’années.
C’est, en prime, la brève intrusion de Rachid Benallal dans cette histoire de vengeance qui finit de faire le lien, le spécialiste du montage, déjà passé à la réalisation, se découvrant alors aussi de réels talents d’acteur. La transposition du style est évidente mais, les considérations liées au format mises à part, ce sont les contextes thématiques qui font la différence. L’immense solitude du gardien du «Passage» de Oggaz justifie le choix esthétique prôné par le réalisateur mais peut-être pas le récit de son dernier travail.
Ainsi, même si le «plat se mange froid», la vengeance est toujours synonyme de bouillonnement et c’est cette charge émotionnelle qui manque au film. Les scènes de violence, il y en a même envers les femmes, sont noyées dans le style à tel point qu’elles paraissent comme si elles n’en sont simplement pas. Sorti de prison, le personnage principal, Djamel (rôle campé par Samir El Hakim), visiblement perdu et sans attaches en ville, finit par retourner dans son village pour tenter tout à la fois de récupérer son fils, sa femme l’ayant quitté pour un autre, et exploiter un lopin de terre à condition de puiser de l’eau. Il y a matière à dialoguer dans cet imbroglio social mais ce n’est pas le souci des concepteurs de ce projet cinématographique qui veut que le spectateur pour lequel il est destiné se focalise sur l’image, quitte à s’ennuyer lorsque celles-ci ne présentent pas de grand intérêt.
«Le cinéma c’est l’image»
Voulant défendre son travail, le réalisateur qui s’est exprimé à la fin de la projection, a estimé avec force que «le cinéma c’est l’image» et que sinon il se serait contenté de réaliser des séries en pensant que le public, surtout en Algérie, a perdu le sens du 7e art au profit de la parlote et de l’action. On est toujours en partie dans l’image mais on sait aussi qu’une série qui se respecte (et ce n’est pas facile d’en imaginer et d’en réaliser une qui tienne la route) se doit normalement de répondre à autant d’exigences artistiques.
Certains voient dans «Terre de vengeance» des allusions à la corruption, aux effets néfastes de la bureaucratie entravant la volonté de rédemption et de reconstruction du personnage principal. Les coups bas, les tentatives de chantage, etc. nécessitent un cadre de dialogue qui ne peut pas être comblé par le silence sauf si on sait mesurer les bonnes doses et ce n’est pas le cas dans le film.
Tout fonctionne comme si on essaye de combler les lacunes du scénario et des dialogues en forçant le trait sur l’image. Et c’est sans doute aussi pour cela que les protagonistes semblent évoluer partout et à chaque fois dans des «no man’s land» car les rues, les appartements, les cafés et même les administrations sont montrées comme désespérément vides.
Passé maitre dans l’art du silence du cinéma algérien, le regretté Brahim Tsaki (1946-2021) savait jouer avec cette technique mais en la rendant fonctionnelle et c’est le cas notable (mais pas que) dans «Histoire d’une rencontre», sorti en 1983 et mettant en scène un garçon et une fille malentendants. Il ne faut évidemment pas à chaque fois trouver des prétextes aussi significatifs pour justifier des choix esthétiques mais le souci lié à la production du sens est importante. Anis Djaad signe ici son deuxième long-métrage après «la Vie d’après» sorti en 2021 mais plus percutant.