Le Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris a dévoilé les lauréats de sa troisième édition. Il honore les auteurs dans les catégories roman et essai portant sur la civilisation musulmane.
Le Grand Prix du jury a été décerné à l’écrivain Yasmina Khadra pour l’ensemble de son œuvre, à l’occasion de la sortie de son nouveau roman : Cœur d’amande (Mialet-Barrault/Casbah-éditions).
S’exprimant lors de la cérémonie organisée mardi, l’auteur de L’Ecrivain note : «Il n’est de noblesse véritable que dans la reconnaissance du mérite des autres. Il fut un temps où deux personnes étaient autorisées à ne pas se prosterner devant le calife, le savant et le poète. Une simple inclinaison de la tête suffisait. Leur talent les élevait au rang de seigneur. C’était au temps où l’islam rayonnait dans les cœurs et sur les esprits.
Aujourd’hui, le monde se complaît dans sa décadence, livré, d’un côté à ces nébuleuses qui tentent de nous enténébraient, et de l’autre à ces grandes ménageries qui de plateau télé en tribunes tonitruantes érigent l’islamophobie en vertu absolue.» Pour l’auteur à succès, la décision de la Grande Mosquée de Paris de s’ouvrir à la littérature «constitue l’une des meilleures réponses à la bête immonde qui chahute le sommeil des peuples».
Le jury du Prix de la Grande Mosquée a également couronné l’auteure franco-algérienne Dorothée-Myriam Kellou pour son essai Nancy-Kabylie (Grasset et Fasquelle). «Je suis honorée de recevoir ce prix en tant qu’auteure, femme, binationale, francaise*algérienne, comme j’aime l’écrire dans Nancy-Kabylie pour dire nos richesses, nos êtres multiples, et non nos soustractions.
Je suis d’une génération née en France qui refuse l’oubli comme projet politique, l’injonction au silence et à l’effacement de nos histoires. A l’heure où la France bascule à l’extrême droite, où tant d’autres résistent pour qu’elle reste ouverte et multiple, je suis profondément émue de savoir que les membres du jury du prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris ont apprécié mon essai personnel et souhaité le récompenser», soutient-elle.
«Refuser l’effacement»
Et d’insister : «(…) nous sommes une génération qui refuse l’oubli comme méthodologie. Nous cherchons la mémoire de la beauté aussi derrière les crimes. Par ces gestes de création, l’écriture notamment, nous voulons aussi dire la dignité de nos aînés, qui ont résisté à l’oppression mais n’ont pas toujours pu, su raconter. Tant se perd dans l’exil, la migration. A nous d’aller chercher les pièces du miroir brisé de notre histoire pour voir une part de nous-même. Cette phrase, c’est mon père Malek qui me l’a dite. Elle est issue de la mythologie berbère. Elle est aussi universelle. Aujourd’hui, je le remercie et lui dédie ce prix. Je n’aurais pu faire tout ce travail de recherche et d’écriture sur l’histoire coloniale sans son désir à lui aussi de transmettre, même tardivement.»
La lauréate dédie son prix aux Palestiniens qui l’ont «tant aidé dans ma quête, et à qui je pense, impuissante, depuis les premiers bombardements sur les camps de réfugiés, de déplacés. J’ai été témoin de l’occupation là-bas, j’ai saisi ce qu’elle détruit et avilit en soi. Je sais aussi qu’ils seront nombreux, ils le sont déjà, à documenter les crimes de guerre, à refuser l’effacement».
Le grand prix de la Grande Mosquée de Paris a été décerné à Nour Malowé pour Le Printemps reviendra (Récamier) dans la catégorie roman. Louis Blin a également reçu une mention spéciale du jury dans la catégorie essai, sur la civilisation musulmane pour Victor Hugo et l’islam (Erick Bonnier).
Présidé par Chems-eddine Hafiz (président et recteur de la Grande Mosquée de Paris), le jury du Prix est composé de Souleymane Bachir Diagne (philosophe, professeur à l’Université Columbia), de Lucie Bressy (fondatrice des éditions A vue d’œil), de Manuel Carcassonne (directeur général des éditions Stock), de Claude Colombini (cofondatrice et directrice des publications des éditions sonores Frémeaux & Associés), de Martine Heissat (ancienne directrice du département cessions de droits étrangers du Seuil).