Si le journal El Watan venait à disparaître définitivement des kiosques, ce qui, à l’heure actuelle n’est pas exclu, on sablera le champagne d’abord à Rabat. Depuis plus de trente années, le quotidien a porté à bout de bras le combat des Sahraouis pour leur indépendance et pour cela il est honni au Maroc.
Pas que. En Algérie, tous les intérêts que le journal a bousculés ou combattus trinqueront à sa mort, les premiers sont les intégristes religieux qui, durant une décennie, ont pris d’assaut l’édifice républicain, par la mort et la terreur et qui, une fois les armes déposées, ont investi les espaces idéologiques et politiques du pays, en premier l’école et la culture avec parfois la complicité, directe ou tacite, de certains anciens responsables.
Ont été dénoncés sans relâche les intérêts mafieux qui ont imbriqué la corruption avec la politique. D’une manière générale, contre la dilapidation du capital démocratique algérien, particulièrement sous le règne du président Bouteflika, El Watan en a fait son combat, aux côtés d’autres titres tout aussi engagés, tels Le Matin, Liberté, Le Quotidien d’Oran, La Tribune, El Khabar et autres journaux, la plupart aujourd’hui disparus ou en sursis.
Souvent contre son gré, cette presse s’est parfois aussi substituée aux partis politiques défaillants. En contre-pouvoir pratiquement, elle a dénoncé l’intrusion des puissances de l’argent dans les rouages du pouvoir, y compris au plus haut niveau, et son corollaire la scandaleuse dilapidation des ressources nationales.
Aussi, c’est tout naturellement qu’El Watan et d’autres, dès 2019, ont baigné dans le hirak dans ce qu’il a de plus fondamental, la quête d’une rupture avec les pratiques, les mœurs et les hommes du passé. Mais ceux-ci, ne lâchant pas prise, se sont vite retournés contre ce dernier bastion contestataire qu’est la presse indépendante. Ce fut le pot de fer contre le pot de terre.
Dans le cas d’El Watan, la mort peut être évitée. Il faut savoir que le journal est viable économiquement. Pour rebondir, il suffit d’un simple rééchelonnement de sa dette fiscale et bancaire et la levée du blocage de ses comptes. Il dispose de deux atouts : un large lectorat et d’importants actifs, donc d’une viabilité économique certaine en dépit des ravages causés par les années Covid-19 sur les entreprises du pays, dont le gouvernement a tenu compte et décidé en son temps d’une palette de mesures d’accompagnement. Celles-ci, malheureusement, n’ont pas concerné les journaux, les laissant se débattre dans d’insurmontables difficultés de fonctionnement, aggravées sensiblement par l’absence de toute politique officielle d’aide publique à la presse, comme il en existe dans tous les pays développés.
L’accès à la publicité publique, gérée par l’ANEP, aurait pu être un important levier d’accompagnement des médias, mais cela a été refusé à El Watan et à certains autres titres de la presse, dont on devine bien que c’est en raison de leur ligne éditoriale.
La question-clé aujourd’hui : faut-il donc que l’information ne soit conçue qu’au bénéfice des dirigeants politiques et de l’ordre établi ? Et qu’elle ne puisse pas exister librement ? Oublie-t-on que, tout au long des siècles, singulièrement dans le monde développé, la presse libre a gagné ses titres de noblesse pour s’imposer comme témoin agissant de la vie politique et même de la société ? Et qu’elle a apporté sa contribution au développement et au progrès.
En Algérie, on ne cessera jamais de le rappeler, elle a défendu par la plume et le sang l’Etat républicain au moment où il vacillait, et elle a dénoncé, à tout moment, les dérives de gouvernance de quelque nature qu’elles pouvaient être. Elle s’est inscrite dans toutes les luttes démocratiques du pays et a épousé les grandes causes nationales. Certes, elle a commis bien des erreurs, mais ce ne fut que la rançon de sa jeunesse. Elle mérite aujourd’hui d’être sauvegardée, voire même développée et il faut espérer un sursaut salutaire des dirigeants politiques au moment où ils s’apprêtent à mettre en place une nouvelle loi sur l’information.