Présidentielle en Turquie : Le candidat de l'AKP maintient sa poigne sur la société

16/05/2023 mis à jour: 00:45
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Les résultats du 1er tour de la présidentielle montrent que la base électorale de Recep Tayyip Erdogan commence à s'effriter - Photo : D. R.

Premier ministre de 2003 à 2014 et président de la République depuis 2014, les triomphes électoraux successifs ont encouragé Recep Tayyip Erdogan à renforcer son pouvoir.

Au pouvoir depuis plus de vingt ans et candidat à sa propre succession, le président Erdogan veut continuer à diriger son pays avec la même poigne. Ces dernières semaines, la police turque a procédé à une vague d’interpellations dans plusieurs provinces. Des membres et des cadres dirigeants du parti prokurde HDP (Parti démocratique des peuples) sont arrêtés. «Cette opération va à l’encontre des élections et de la volonté du peuple. Il s’agit clairement d’une menace», a dénoncé ce parti qui a décidé de soutenir le candidat de l’alliance de six partis de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu.

Les arrestations ont ciblé, en plus des activistes de cette formation, des avocats ou encore des journalistes. «Les arrestations ont été menées dans 21 provinces du pays, dont celle de Diyarbakir, au Sud-Est, à majorité kurde», a rapporté une source policière à l’AFP. Premier ministre de 2003 à 2014 et président de la République depuis 2014, les triomphes électoraux successifs ont encouragé Recep Tayyip Erdogan à renforcer son pouvoir. La dérive autoritaire, que dénoncent ses opposants, s’est particulièrement accentuée après le coup d’Etat avorté de juillet 2016.

La répression s’est d’abord abattue sur les membres du Mouvement Gülen, dont le chef, en exil aux Etats-Unis, était accusé d’être derrière le putsch. Les purges ont touché plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires (magistrats, enseignants, médecins…). Si les arrestations ont touché les Gülénistes, elles n’ont pas épargné des officiers de l’armée, des Kémalistes, des journalistes, des écrivains, des avocats, des militants des droits de l’homme et des indépendantistes kurdes. L’état d’urgence est instauré après le putsch manqué.

Il ne prend fin que deux ans après, soit le 19 juillet 2018. Le bilan des premiers mois de répression est très lourd : 40 000 personnes sont arrêtées et 150 000 fonctionnaires suspendus ou limogés. Après le coup d’Etat, le président Erdogan décide de renforcer davantage son emprise sur les instituions après avoir mis au pas l’armée. En avril 2017, un référendum constitutionnel, adopté par une courte majorité, instaure un régime présidentiel.

«Plan d'actions pour les droits de l'homme»

Le chef de l’Etat turc est réélu dans la foulée lors de l’élection présidentielle anticipée de 2018 (52,6% des voix). Erdogan, qui a fait face à une opposition pour une fois revigorée, a été réélu dès le premier tour. Les élections locales de 2019 ont constitué l’autre tournant dans la répression en Turquie. Dans le viseur des autorités, les médias. Symptomatique de cette situation : le procès des journalistes du quotidien d’opposition Cumhuriyet, accusés d’aider des «organisations terroristes».

Ciblé par le pouvoir après le putsch de 2016, cet organe kémaliste de centre-gauche, fondé en 1924, a vu sa rédaction vidée : ses journalistes et caricaturistes sont arrêtés et mis en garde à vue. Dans son dernier rapport sur la liberté de la presse dans le monde, Reporters sans frontières (RSF), qui classe la Turquie à la 165 place sur 180 pays, note que l’«autoritarisme gagnant du terrain en Turquie, le pluralisme des médias est plus que jamais remis en cause».

«À la veille des élections de 2023, le système d’hyper-présidence de Recep Tayyip Erdogan n’hésite pas à s’en prendre aux journalistes pour masquer le déclin économique et démocratique du pays, et consolider sa base politique», note cette ONG, relevant que depuis les élections locales de 2019, «la spirale de violences visant les journalistes critiques vis-à-vis de l’Alliance gouvernementale (AKP-MHP) n’a eu de cesse de se renforcer».

Face à toutes ces critiques, Recep Tayyip Erdogan est resté droit dans ses bottes. Pour lui, «la Turquie est un Etat de droit, où la justice est indépendante». Il a même dévoilé un «plan d’actions pour les droits de l’homme». Annoncé en mars 2021, il devait être «mis en œuvre sur une période de 2 ans». L’objectif avancé par le «raïs» : «Des individus libres, une société forte, une Turquie plus démocratique». Aucun bilan n’est fait de ce «plan», mais la réalité est là : la répression des libertés s’est accentuée dans le pays. 

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