Chercheur associé au Cread, le professeur Mohamed Himrane aborde dans cet entretien l’importance des mesures fiscales contenues dans le projet de loi de finances 2024. Pour lui, la suppression de la TAP entre dans la stratégie d’un allégement fiscal progressif.
Cette décision va contribuer à la promotion du climat des affaires en Algérie, soulignant que l’Etat a prévu plusieurs mesures alternatives afin de compenser le manque à gagner qui sera généré sur les recettes des collectivités locales.
Entretien réalisé par Ramdane Kebbabi
-L’une des mesures phares du projet de loi de finance 2024 est la suppression de la TAP. Cette décision a été saluée par beaucoup d’acteurs de la sphère économique. Pourquoi, selon vous ?
D’abord, on doit rappeler que la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) est une taxe mensuelle, payée par les contribuables suivis au régime du réel, à savoir ceux réalisant des chiffres d’affaires excédant 8 000 000 DA. Au titre de l’exercice 2023, il y a seulement les producteurs de biens qui sont exonérés de la TAP. A ce titre, le chiffre d’affaires, qui est réalisé suite aux opérations de vente, est la base d’imposition de la TAP. Son taux est de 1,5% pour toutes les activités, à l’exception du chiffre d’affaires issu de l’activité de transport par canalisation des hydrocarbures.
L’article 14 du projet de loi de finances 2024 est venu proposer l’annulation des articles comportant l’ensemble des dispositions relatives à la TAP, en l’occurrence les articles de 217 à 231 du code des impôts directs et taxes assimilées. A ce stade, les opérateurs économiques, notamment les chefs d’entreprise ont longtemps plaidé en faveur de cette annulation la considérant comme injuste, aberrante et anti-économique.
La suppression sera un saut qualitatif qui marquera notre système fiscal, car la TAP est une charge fiscale qui pèse sur les activités économiques et accentue la pression fiscale. La tendance mondiale aujourd’hui est d’éviter des impositions sur le chiffre d’affaires. Les seuls impôts admis et préconisés à frapper le chiffre d’affaires sont les taxes neutres, telles que la TVA.
En effet, les prélèvements fiscaux les plus justes sont ceux assis sur le résultat et non pas sur le chiffre d’affaires. A titre d’exemple, en France, en 2004, le rapport de la commission de réformes de la taxe professionnelle considérait la TAP comme une source de déséquilibres et de handicaps. De ce fait, la taxe professionnelle est supprimée par la loi de finances 2010. Il convient par ailleurs de souligner que même les experts du FMI ont préconisé la suppression de cette taxe.
-La suppression de cette taxe qui remonte à 1992 aura-elle des incidences sur l’investissement et la lutte contre l’informel ? Quel est l’objectif attendu par les pouvoirs publics ?
La suppression de cette taxe entre dans la stratégie d’un allègement fiscal progressif. La dernière annulation de la TAP avait concerné les producteurs de biens et les professions libérales en 2022. La finalité est d’alléger le fardeau de la pression fiscale sur les contribuables suivis au régime du réel. A cet égard, les activités souffrant le plus sont celles réalisant des marges bénéficiaires très faibles, telles que les ventes de gros.
Le grossiste, qui réalise un chiffre d’affaire de 10 000 000 DA, pourrait dégager une marge bénéficiaire ne dépassant pas 10%. Avec des charges d’exploitation additionnelles, ajouté le montant de 150 000 DA de la TAP, le contribuable risque de quitter le régime du réel et se lancer dans une activité informelle échappant ainsi au système de facturation, ou à un moindre degré, de se tourner vers un autre régime en l’occurrence le régime de l’impôt forfaitaire unique (IFU). Il faut noter que les contribuables qui finissent par basculer vers le régime de l’IFU n’adhèrent pas au système de la facturation. Comme ils ne facturent pas ces opérations commerciales, ils trouveront dans l’informel un environnent très adéquat pour la fraude et l’évasion fiscale.
Donc, la suppression de la TAP permet de maintenir d’une part le régime fiscal de facturation que le gouvernement préconise, et décourager d’autre part, le système informel à travers l’inclusion fiscale. A ce stade, la décision d’annulation permettra certainement de réduire l’informel et encourager l’activité économique suite à la diminution des barrières d’accès aux activités, encourager l’entrepreneuriat, et élargir le tissu économique, ce qui contribuera à la promotion du climat des affaires en Algérie. En conséquence, l’Etat vise à réduire l’informel et booster les investissements locaux et étrangers à travers l’abolition d’un impôt colonial créé en 1936 et qui continue d’exister en 2023.
-La TAP représente 75% des recettes des collectivités locales. Qu’a-t-on prévu en guise d’alternatives à cette source de financement ?
Le produit de la taxe sur l’activité professionnelle est destiné intégralement aux collectivités locales. La part de la commune est de 66%, la wilaya 29%, alors que le reste (5%) est versé à la caisse de solidarité et de garantie des collectivités locales (CSGCL). Si cette disposition du projet de loi de finances est adoptée, les collectivités locales vont perdre 75% de leurs ressources annuellement perçues par le biais de la TAP. La suppression définitive de cette taxe, en 2024, se traduira par des pertes de revenus des collectivités locales estimées à 200 milliards de dinars. A ce titre, vu l’importance de ce manque à gagner, l’Etat a prévu des mesures alternatives à travers le projet de loi de finances de 2024 afin de compenser ce déséquilibre budgétaire. Nous observons l’institution d’un impôt local de solidarité associé à l’activité de transport de carburant par pipeline et aux activités minières dont le produit sera distribué entre la commune à hauteur de 50% et la wilaya et la CSGCL au taux de 50%.
Le projet de loi prévoit aussi la réaffectation du produit de taxe sur les rechargements prépayés des appareils de téléphonie mobile à hauteur de 50% destinés à la CSGCL à partir de 2024 au lieu de 1% actuellement. Les ressources financières du GSGCL seront estimées à 7,82 milliards de dinars, ce qui renforcerait les recettes des communes, notamment celles à revenus limités. De même, nous constatons une attribution de 50% de la taxe de torchage du gaz. En fait, une partie de la fiscalité pétrolière sera allouée au profit de la CSGCL. Sachant que la taxe de torchage du gaz est estimée, au cours de l’année 2023, à 24 milliards de dinars. La caisse verra aussi la part des revenus de la vente de la vignette automobile augmenter de 30 à 50%. Enfin, nous constatons également la réaffectation du produit de la taxe sur les produits pétroliers, dont le produit est aujourd’hui affecté intégralement à l’Etat. En 2024, le produit de la taxe sera réaménagé au profit des collectivités locales.
-Qu’en est-il des autres mesures fiscales contenues dans ce projet de loi de finances ?
Les dispositions fiscales et douanières introduites par le projet de loi sont au nombre de 80 articles. Comme le projet manque de nouvelles impositions à l’exception de celles associée aux produits de tabac, nous allons mettre en évidence l’essentiel des exonérations fiscales : l’exemption de la TVA pour certains produits de large consommation portant sur des opérations de fruits et légumes ainsi que les œufs et les poulets de chair localement produits. Il en est de même pour les légumineuses et le riz. Cette nouvelle exemption est accordée lors de la production et la commercialisation tant pour les détaillants que pour les grossistes.
Ces produits sont taxés jusqu’ici à 9%. Une autre exemption de la TVA concerne les frais se rapportant à l’accès à la technologie de l’information en vue d’étendre le réseau internet et de concevoir des sites web. De plus, il est prévu une exonération liée aux opérations de collecte et de vente du lait cru pour les contribuables suivis au régime de l’IFU. Sachant qu’aujourd’hui, il y a seulement les collecteurs et les vendeurs du lait cru suivis au régime du réel qui sont exonérés en matière des impôts sur les résultats à savoir l’impôt sur le revenu global (IRG) et l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS). Il y a d’autre part une révision à la baisse du taux de l’IFU pour l’auto-entrepreneur. Ce dernier sera ainsi soumis à l’impôt forfaitaire unique au taux de 0,5% au lieu de 5%. Quant aux opérations en Bourse, nous observons également une exonération en matière de l’IRG et de l’IBS pour les produits et plus-values de cession des valeurs mobilières cotées en Bourse pour une période de cinq ans. En outre, les sociétés nouvellement cotées en Bourse sont exonérées de l’IBS à concurrence du niveau d’ouverture du capital social.
Cela en sus de l’exemption de la taxe sur l’efficacité énergétique appliquée à certains équipements fabriqués localement et destinés à l’exportation. Cette mesure vise à renforcer la capacité concurrentielle de nos entreprises algériennes.