A l’occasion de la Journée mondiale du rein, le Pr Farid Hadoum, chef de service de néphrologie au CHU Mustapha Bacha à Alger, revient dans cet entretien sur l’urgence de donner un nouveau souffle à la greffe rénale en Algérie et offrir des chances aux patients dialysés de vivre une meilleure vie.
- La greffe rénale connaît un véritable ralentissement au niveau national, alors que 15 000 patients sont en attente d’un don d’organe. Quels sont les raisons de ce fléchissement enregistré bien avant la pandémie de la Covid-19 ?
Sans trop verser dans la «bataille» des chiffres et pour bien éclairer les lecteurs, notre pays a connu une réelle «embellie» en 2015 en matière de greffes rénales à partir de donneurs vivants, en dépassant la barre des 300 greffes annuelles. Une première depuis 1986 ! A partir de 2016, on assiste en effet à une stagnation autour de 200 greffes rénales annuelles. L’effort national qui devait se poursuivre du fait de la demande élevée a fait défaut.
Alors pourquoi l’offre de greffe n’a pas augmenté pour dépasser la barre des 400, voire 500 greffes annuelles ? Certes, la pandémie de Covid-19 a été un facteur ralentissant en 2020-2021, mais ceci n’explique pas tout !
La réponse est plutôt à chercher dans la baisse de motivation des équipes de transplantation, les changements opérés à la tête des services, les mutations des personnes ressources, les départs à la retraite ou vers le secteur libéral des pionniers et, on doit le dire, à l’intrusion dans le champ des greffes de personnes sans qualification qui ont pris des décisions contre productives.
Heureusement que l’installation à la tête de l’Agence nationale des greffes (ANG) du Pr Hocine Chaouch a évité une chute encore plus profonde du nombre de greffes rénales. Grâce à ses efforts et ceux de l’équipe qui l’entoure, des services ont pu maintenir leur activité, pour le plus grand bonheur des familles de receveurs.
- De nombreux blocages à l’activité de greffe rénale, comme la fermeture des blocs, la suspension de chirurgiens, ont été soulevés ces dernières années au niveau de votre centre hospitalier. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le CHU Mustapha, puisque c’est de lui dont il s’agit, a un nouveau directeur général, de même pour l’ANG, nous avons ainsi toutes les raisons d’espérer et d’envisager l’avenir sereinement. L’activité chirurgicale de greffe rénale, arrêtée totalement entre 2017 et 2020, a repris après l’arrivée du Pr Hocine Chaouch à la tête de l’ANG.
Les services de néphrologie, d’immunologie, d’anesthésie-réanimation et de chirurgie cardiaque du CHU Mustapha sont fortement engagés pour relancer le programme de transplantation rénale et satisfaire la forte demande. La dynamique est enclenchée, la chirurgie de greffe rénale est assurée par des spécialistes de très haut niveau,venant de l’ANG, ce qui nous garantit un succès total et des suites opératoires très simples.
En plus des blocs opérationnels au sein du service de chirurgie cardiaque du Pr Amine Nouar, nous faisons des démarches pour la réouverture d’autres blocs opératoires, hélas fermés fin 2016, qui permettrons, assurément, d’augmenter l’offre de greffe au CHU Mustapha.
Nous espérons également le retour de deux chirurgiens virtuoses aux activités de greffe rénale : le Pr Abdesslem Laribi (suspendu puis muté au CHU de Beni Messous) et le Pr Ahmed Nekhla (actuellement chef de service de chirurgie thoracique au CHU de Tizi Ouzou) aux côtés de l’ANG pour renforcer des effectifs de qualité . Notre nouveau directeur général nous a assuré de son entière disponibilité et de son soutien total.
- Il y a donc actuellement une reprise de l’activité au niveau de votre établissement. Quelles sont les prévisions pour l’année 2022 ?
Nous sommes optimistes et réalistes également, pour 2022, nous envisageons avec les seuls blocs opératoires de chirurgie cardiaque une greffe rénale par semaine. Avec la réouverture d’autres blocs opératoires, l’offre fera un saut quantitatif avec au minimum deux greffes rénales par semaine, puis trois.
Nous inscrivons notre action dans le programme de transplantation rénale qui est une des priorités nationales de notre pays Nous militons de toutes nos forces pour arracher les patients dialysés chroniques du quotidien pénible de la dialyse, véritable prison à vie.
Cet effort nécessite du soutien, certes plus de ressources humaines, mais peu d’investissements, d’autant que presque tous les moyens existent déjà au CHU Mustapha. Gageons qu’avec la nouvelle gouvernance, nous réaliserons plus et bien, nous l’appelons de tous nos vœux !
Nous voulons donner de l’espoir aux familles, former les nouvelles générations de médecins, chirurgiens , biologistes et autres intervenants dans ce domaine. Nous disposons à Mustapha des meilleurs spécialistes en immunologie de greffe, en biochimie, en microbiologie, en virologie, en anatomo-pathologie, en anesthésie-réanimation, c’est à nous de les valoriser.Un programme de transplantation à partir de cadavres au CHU Mustapha a été initié avec un renforcement des équipes chirurgicales.
- Que devient ce projet qui constitue la solution idoine pour donner un nouveau souffle à la greffe en Algérie ?
D’emblée, nous déclarons que nous ferons tout ce qui est possible pour reprendre, courant 2022, le programme de prélèvements d’organes sur des personnes décédées, initié au CHU Mustapha en 2015 dès l’ouverture du service de néphrologie. En 2016, nous étions bien avancés, dix simulations de prélèvements ont été réalisées.
La coordination hospitalière, la liste d’attente, la sérothèque, le logiciel d’attribution des organes, les salles de réanimation, tout était opérationnel. Autour des professeurs M. Guerinik, M. Benhalima, N. Souilamas, A. Laribi, Y. Djouaher, C. Martin et D. Glotz, le travail battait son plein, lorsque le coup d’arrêt est arrivé en 2017, à notre corps défendant.
Des personnes mal intentionnées et non qualifiées ont, fait du prince, mis fin au programme qui a connu un «trou d’air» de plusieurs années. Avec l’autorisation de l’ANG et dans le strict cadre de la loi algérienne, tous les acteurs de l’époque sont prêts à redynamiser le programme du CHU Mustapha.
Vous avez raison de dire que les greffes rénales à partir de donneurs vivants ne sont pas la seule solution à la détresse des patients et que nous devons absolument augmenter l’offre de soins avec des prélèvements sur personnes décédées.