Positionner l’université à l’échelle mondiale, stratégie de conduite de la transformation

06/04/2024 mis à jour: 00:36
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L’USTHB fête cette année son cinquantième anniversaire. Notre université, à sa naissance, a pris la succession de la faculté des sciences de l’université d’Alger. Elle a hérité de solides traditions dans sa gestion, ses enseignements et sa recherche. 

Les niveaux de l’enseignement dispensé étaient élevés et le rayonnement sur la société était réel. L’université a ainsi contribué à assurer, en sciences et technologie, une formation de qualité pour les premiers cadres et enseignants dont le pays avait besoin pour son développement.

Malheureusement, l’USTHB a, par la suite, fait face à des situations politiques et économiques qui ont affecté ses performances et sa réputation, entre autres :


1- La crise financière de l’accord avec le FMI de 1994
2- La «décennie noire» dans les années 90
3- Des années de faste après 2000 qui n’ont pas bénéficié à l’USTHB,
4- La massification de l’université algérienne. 
 

L’infrastructure de l’USTHB, prévue pour 30 000 étudiants, en accueille 55 000, soit 183% de sa capacité.
La surcharge interdit la bonne marche de tout dispositif pédagogique. La qualité de l’enseignement influe directement sur celle de la recherche. 


Introduction

Depuis 2003, l’université de Shanghai publie son classement annuel des 1000 meilleures universités au monde. 
L’USTHB, la première université algérienne n’y a pas encore figuré. Pire, dans d’autres classements, nous nous positionnons à la 87e place parmi les universités africaines et entre 91e et 100e parmi les universités arabes. 
 

Ces classements ne correspondent pas à notre niveau de développement. Notre place est parmi les meilleures. Il faut que l’Algérie se donne les moyens de cette ambition. Nous devons arrêter les sentiments de déni et mettre en œuvre une stratégie pour changer les choses.


Notre but est de proposer une stratégie de conduite d’une transformation qui puisse positionner notre université à l’échelle mondiale, 

Aujourd’hui, les bouleversements politiques qui traversent le pays convergent vers la construction d’une nouvelle Algérie. La volonté politique est là. D’ailleurs, un communiqué du MESRS publié par l’APS en 2022 disait : «Nous essayons d’accompagner cette université pour se positionner à l’échelle mondiale. Cela est inscrit dans notre plan d’action, d’autant qu’elle dispose des potentialités pour cela.»

Pour améliorer les choses, notre stratégie propose de diriger nos efforts tout simplement sur les critères utilisés dans les différents classements qui sont : la recherche scientifique et le développement technologique, la qualité de l’enseignement et l’internationalisation de l’université. Nos modes de gestion et de gouvernance sont également à revoir.


La recherche Scientifique et le développement technologique


Pour une université de sciences et de technologie qui souhaite rester à la pointe de la recherche et de l’innovation, il est crucial de disposer d’une gamme d’équipements de recherche de pointe. A l’instar du «Plateau Technique analyses physico-chimiques» que nous avons dernièrement commencé à exploiter, il faut deux installations majeures par faculté pour faire collaborer un maximum de chercheurs. Ces équipements permettent non seulement de mener des recherches de pointe dans divers domaines scientifiques et technologiques, mais aussi d’attirer des chercheurs de haut niveau et de collaborer avec des industries et d’autres institutions de recherche. 
 

L’université doit identifier les domaines en forte demande et en rapide évolution au niveau mondial, tels que l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, la biotechnologie, la cybersécurité, et les sciences des données.
 

La collaboration avec l’industrie et le secteur privé déjà établie doit s’élargir. Il faut continuer à créer des espaces dédiés à l’innovation et à l’entrepreneuriat pour encourager la commercialisation des recherches et le développement de start-ups.
 

L’encouragement de la collaboration avec l’industrie peut être concrètement mis en œuvre par la création de chaires industrielles et de laboratoires conjoints.
La qualité de l’enseignement
 

Dans ce chapitre, nous devons évoquer le nombre d’étudiants, le développement professionnel des enseignants et les programmes.
 

Il est impératif de stabiliser l’effectif à 30  000 étudiants dans les cinq à dix années à venir. La meilleure université d’Afrique n’a que 25 000 étudiants. Pratiquement toutes les universités les mieux classées au monde ont moins de 30 000 étudiants, souvent avec une majorité en post graduation. 

Le développement professionnel des enseignants peut être réalisé à travers des programmes de formation continue. Des certifications peuvent être accordées pour valoriser leur progression. Nous devons évaluer régulièrement la qualité de l’enseignement, incluant les retours des étudiants et les appréciations par les pairs. Les résultats sont utilisés comme un feedback constructif pour identifier les domaines d’amélioration.
 

Il faut mettre en place des procédures d’accréditation rigoureuses pour les programmes d’études et essayer d’obtenir des accréditations de prestigieuses associations internationales. Ceci peut grandement améliorer la réputation de notre université à l’étranger.
 

L’autonomie de créer des nouveaux programmes, est nécessaire pour s’aligner avec les standards internationaux, les besoins du marché et les intérêts de recherche.
Nous devons renforcer nos travaux pratiques pour couvrir tous leurs programmes. Le matériel doit être suffisant pour que les expériences se fassent hands-on. 
 

Le passage à l’anglais et l’internationalisation
 

Le passage à l’anglais des universités est un phénomène croissant que l’on retrouve dans de nombreux pays sur tous les continents. En nous basant sur ces expériences internationales ainsi que sur notre connaissance du terrain, nous proposons d’aborder le problème sur trois plans : l’Organisation, la formation et la communication.
Pour ce qui est de l’organisation, les étapes doivent être clairement définies, de même qu’un calendrier pour les atteindre. Ceci est essentiel pour repérer d’éventuels écarts au cours de la mise en œuvre. Le déploiement doit être progressif. Une pleine mise en œuvre de tous les programmes est réalisable en quatre ans.
 

Pour la formation, il s’agit pour tous les enseignants d’effectuer le niveau avancé. Le développement professionnel des enseignants doit être réalisé par la suite à travers des évaluations et des certifications.
La communication sert à sensibiliser la communauté. L’objectif est d’éveiller les consciences quant à l’importance cruciale de la situation et à la nécessité d’agir rapidement. Il faut communiquer de manière continue en utilisant tous les canaux : mails, site de l’université et réseaux sociaux. 
 

Il faut aussi célébrer les réussites et les étapes intermédiaires franchies. Cela aide à communiquer positivement les progrès.
 

Après quelques transformations et une avancée significative de notre université,il sera plus facile de travailler sur son internationalisation qui réfère à l’ensemble des actions mises en place pour intégrer une dimension internationale dans l’enseignement et la recherche. Les principaux aspects de l’internationalisation d’une université sont : Le recrutement d’étudiants, de personnel académique et de chercheurs internationaux, une mobilité étudiante et académique et des accords de coopération avec des universités étrangères de renom.
Un objectif standard pour une université bien classée est 20% d’étudiants étrangers.  
 

La gouvernance et la gestion

Des plans de maintenance continue sont nécessaires pour préserver la qualité des infrastructures et des équipements. Il faut poursuivre la rénovation des bâtiments et améliorer les espaces verts.
Il est nécessaire d’équiper les salles de classe et d’assurer une couverture Wi-Fi de haute qualité dans tout le campus pour faciliter l’accès à l’information et aux ressources pédagogiques.
Le bien-être et l’amélioration des conditions de vie de la communauté sont essentiels pour créer un environnement propice à l’excellence académique. 
 

Le renforcement de l’autonomie de gestion de l’université est nécessaire. Celle-ci permet d’avoir une plus grande réactivité.
 

Il y a d’abord l’autonomie de gestion financière. Une plus grande flexibilité dans l’utilisation des fonds permet de les allouer selon les priorités stratégiques.
Il y a ensuite l’autonomie de recrutement du personnel académique et administratif. L’université doit pour cela fixer des politiques salariales compétitives pour attirer et retenir les talents académiques et administratifs de haut niveau.
Il faut doter l’université de textes de loi pour soutenir cette flexibilité et cette autonomie en définissant clairement les domaines de responsabilité et les limites. Il est évident que la tutelle doit assurer une supervision et une évaluation régulière.
 

Conclusion

Je souhaite un heureux anniversaire à tous les membres de notre communauté universitaire.
Nous avons un problème de fierté nationale que nous devons relever. 

Notre stratégie propose de conduire nos efforts sur plusieurs axes sur les plans de la recherche scientifique et du développement technologique, de la qualité de l’enseignement, de l’internationalisation de l’Université et sur nos modes de gestion et de gouvernance.
Les mesures que nous avons citées, si mises en œuvre de manière cohérente et soutenue, peuvent grandement contribuer à améliorer le classement de notre université et à la rendre plus compétitive sur la scène internationale.
 

Épilogue

Nous autres Algériens somment rêveurs, rêvons un peu.
Nous sommes en 2034, l’USTHB s’apprête à fêter son soixantième anniversaire. Elle a été classée première université Africaine dans le dernier classement Shangaï. Nous espérons cette année être parmi les cent premières universités à l’échelle mondiale. 

Nous avons maintenant un total de 30 000 excellents étudiants recrutés à l’échelle nationale.
L’USTHB a fixé des politiques salariales compétitives pour attirer et retenir des talents académiques et administratifs de haut niveau. De bons directeurs de recherche nationaux, de la diaspora ou carrément internationaux ont été attirés par les bonnes conditions de travail qui sont offertes. L’université étend et diversifie ses sources de revenus à travers différentes prestations. Beaucoup de monde tape à notre porte.
 

D’autres universités nationales ont emboîté le pas à l’USTHB et améliorent aussi leur classement. Nos universitaires ne partent plus, ceux qui sont partis reviennent. Il y a un projet de vie possible et potentiel chez nous. Dans l’Agenda des Nations unies, 2030 il est dit que «la richesse et la pauvreté des nations dépendent de la qualité de l’enseignement supérieur».
 

Nous avons des ressources naturelles colossales et notre université forme maintenant d’excellentes ressources humaines pour créer de la richesse dans notre beau pays.
Nous sommes dans la nouvelle Algérie.
 

Par Pr Taha Houssine Zerguini

Ancien recteur de l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène (USTHB)

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