Coupables d’avoir causé le décès de 37 migrants dont une majorité de Soudanais, le 24 juin 2022, alors qu’ils tentaient de pénétrer par la force dans l’enclave espagnole de Melilla, les autorités marocaines vont implanter très prochainement à Rabat le siège du Centre international pour le développement des politiques migratoires (CIPDPM).
Une arrivée très décriée par des associations locales des droits humains et de chercheurs, dont Abdelkrim Belguendouz qui réagit, dans une «alerte citoyenne» avec arguments à l’appui. Il attire de manière pressante l’attention sur les «conséquences négatives» de cette implantation, en estimant qu’il «existe de gros risques, voire des dangers encourus par le Maroc et ses politiques migratoires multidimensionnelles…»
Pour l’universitaire, «ce centre européen accaparera la majorité, sinon la totalité des études et projets au Maroc relatifs au champ migratoire dans ses deux volets, l’immigration étrangère au Maroc, ainsi que l’asile et communauté marocaine à l’étranger, en les orientant beaucoup plus selon les propres intérêts de l’Union européenne…».
M. Belguendouz souligne, en outre, avec la même inquiétude : «Le rôle du Centre en question sera prépondérant dans la mesure où la recherche au Maroc sur les migrations internationales n’est pas du tout encouragée par les pouvoirs publics marocains, voire même qu’elle est institutionnellement inexistante, en dehors de certaines initiatives individuelles ou celles de certaines ONG ou groupes informels de recherche qui sont, pour certains, les rentiers ou les affairistes de la question migratoire.»
N’y allant pas avec le dos de la cuillère, le chercheur accable les responsables chérifiens en relevant «l’absence d’agenda national de la recherche en migration et le manque d’un observatoire national des migrations. Le volet concernant l’immigration étrangère au Maroc relevant du ministère de l’Intérieur est pratiquement une coquille vide, tandis que l’observatoire de la communauté marocaine résidant à l’étranger a totalement disparu avec son échec».
Une souveraineté piétinée
Cet état des lieux, selon le chercheur, «fera en sorte que le recours par les diverses institutions et les départements ministériels marocains aux services du Centre européen devient incontournable, entraînant dans le domaine migratoire, une véritable dépendance à l’égard de l’institution européenne, au détriment des intérêts nationaux du Maroc.
Ceci ne fait que nous amener à poser des questions de souveraineté face au partenaire, à la fois financier et technique, alors qu’au niveau international, les principaux mécanismes en matière de migration insistent toujours sur la nécessité du respect de la souveraineté de chaque pays».
Et de s’interroger : «Quel est le rôle de l’Etat marocain en la matière, dans la mesure où le Centre européen risque d’occuper un espace organisationnel qui n’est pas occupé par des organismes nationaux ou a tendance à représenter ces derniers, toutes vocations comprises (…) lui permettant ainsi de légitimer auprès de certains décideurs, une véritable ingérence dans les politiques migratoires au Maroc, leur mise en tutelle…» Cet accord passé avec le Centre international pour le développement des politiques migratoires est mû par les autorités du makhzen, par des calculs purement mercantilistes et un rejet total de la mobilité d’êtres humains, embrassant corps et âme la politique de l’externalisation des frontières européennes.