L’Algérie fait face à un choix stratégique décisif alors qu’elle finalise son projet de loi de finances initiale (LFI) pour 2025. Ce dernier revêt une importance particulière, compte tenu des défis économiques internes tels que les déficits budgétaires persistants dont celui de 2024 devrait atteindre en prévision de clôture 24,4% du PIB (CNR compris), l’augmentation de la dette publique depuis la pandémie, une inflation élevée et un chômage en hausse.
Par ailleurs, des pressions externes, notamment le ralentissement de l’économie mondiale, accentuent la complexité de la situation. Face à ces défis, l’Algérie devrait s’engager dans une stratégie à moyen et long termes centrée sur un rééquilibrage budgétaire qui permettrait de réduire les pressions inflationnistes, maîtriser la dette publique, restaurer des marges de manœuvre budgétaires indispensables et poser les bases d’une croissance durable, non inflationniste et inclusive.
Cependant, pour des raisons diverses, le projet de LFI 2025 sous-tend la poursuite d’une politique budgétaire expansionniste et contracyclique qui favorisera une croissance à court terme faible et inflationniste au prix d’une aggravation de la dette publique interne.
Le report du rééquilibrage budgétaire, combiné à une appréciation modérée du dinar (peu favorable à la politique de promotion des exportations) et à une politique de substitution des importations sont autant de choix qui risquent d’aggraver les déséquilibres monétaires et financiers, bloquer le potentiel de croissance du pays ($400 milliards), réduire les recettes fiscales et perdre des emplois.
Certes difficile, l’assainissement des finances publiques est réalisable à condition de le caler sur un consensus politique et social autour de réformes structurelles réalistes sur le moyen terme pour améliorer l’accès au marché du travail, renforcer la productivité et accroître la compétitivité (des piliers essentiels pour une croissance à long terme). Par ailleurs, un plan social visant à protéger les populations les plus vulnérables et à préserver la stabilité sociale tout au long de la mise en œuvre des réformes est indispensable. Discutons de ces questions.
La politique budgétaire en Algérie n’est pas soutenable et induit des coûts macroéconomiques élevés. Après plus de vingt ans de politique expansionniste, la situation budgétaire de l’Algérie s’est considérablement détériorée. Le déficit hors pétrole a augmenté, passant de 26% du PIB hors pétrole en 1999 à 36,6% du PIB hors pétrole en 2024 en raison de la quasi-stagnation du taux de recouvrement fiscal (qui est passé de 9,9% du PIB en 1999 à 10,7% du PIB en 2024) qui ne peut suivre un rythme soutenu d’augmentation des dépenses totales (de 30,4% en 1999 à 42,9% en 2024).
Pour couvrir les déficits conséquents, diverses ressources (épargne, création monétaire, programmes de refinancement) ont été consommées. Ces dernières auraient pu être consacrées au renforcement de l’efficience de l’investissement public (mise à mal par une faible efficacité marginale du capital, des retards importants et des surcoûts notables) et de la résilience des finances publiques face à une multiplicité de risques budgétaires (chocs macroéconomiques récurrents, volatilité des prix du pétrole, garanties publiques envers les entreprises d’État et déficit du système de retraites).
La fragilité des finances publiques impose des coûts macroéconomiques significatifs, notamment un faible niveau de croissance bloque autour d’une moyenne de 3% entre 2000 et 2024, une perte de valeur ajoutée de $50 milliards, une hausse de l’inflation structurelle (de 3,9% entre 2000-2019 à 6,1% entre 2020-2024), ainsi qu’un doublement de la dette publique en 25 ans (de 26 % du PIB en 1999 à 55,1% du PIB en 2024).
Que propose le projet de LFI pour 2025 ? Troisième loi de finances préparée sur la base de la budgétisation par programme conformément à loi organique 18-15 relative aux lois de finances, elle propose une hausse modérée des recettes totales (+3,5%), insuffisante pour compenser une forte augmentation des dépenses (+9,95 %) et un déficit hors pétrole de 36,6% du PIB hors pétrole qui devrait être financé par de la création monétaire et de l’épargne budgétaire.
•Si les recettes pétrolières devaient baisser de 1,97% à 3454 milliards de dinars, principalement en raison d’un prix de référence fiscal du baril fixé à 60 $ (inférieur au prix de marché estimé à 70 $), les recettes fiscales pour leur part devraient augmenter de 9% à 4157 milliards de dinars, avec des hausses excédant la hausse du PIB nominal de 6,4% des impôts sur le revenu (+8,3%), le capital (+17,6%), la consommation (+10,3%). Les droits de douane n’augmenteront que de 1,3% ($3 milliards sur $40 milliards d’importations.
•Pour ce qui est des dépenses courantes, leur hausse sera de 9,1%, avec des augmentations sur la masse salariale (+6,97%), les transferts (+5,1%), les intérêts (+12,9%) et les dépenses imprévues (+34,8%). Quant aux dépenses d’investissement (1/5 du total des dépenses, elles devraient augmenter de 11,8%.
• Le déficit global atteindrait en conséquence 21,4% du PIB (24,4 % avec la CNR) et 36,7% du PIB hors pétrole (contre une norme de 12% du PIB hors pétrole), illustrant ainsi la non-viabilité des finances publiques. La couverture du déficit sera assurée par une hausse de la création monétaire qui devrait faire passer la datte publique à 58,8% du PIB en 2025.
Est-ce que le projet de LFI 2025 répond aux défis internes et externes du pays ? Ce n’est pas le cas au vu de l’analyse macroéconomique ci-dessous.
• Le cadrage macroéconomique à moyen terme (CMMT) est rudimentaire et ne cible pas de reprise du contrôle des finances publiques. Il est articulé autour d’hypothèses de travail partielles (une croissance de 4,5% en 2025-2026 et de 3,7% en 2027, un prix du pétrole à 60 $/baril et une population en hausse passant de 47,8 millions en 2025 à 49,1 millions en 2027). L’absence des trajectoires d’inflation et de taux de change sur 2025-2027 et des tableaux de sorties macroéconomiques de base (opérations financières de l’Etat, balance des paiements, situation monétaire intégrée) souligne le caractère rudimentaire du CMMT et ouvre la voie au désalignement entre les politiques budgétaire (hausse de la demande publique), de change (appréciation du taux de change en contradiction avec l’objectif de diversification des exportations), monétaire (un budget expansionniste alimente l’inflation) et de croissance (un output en excédent du PIB potentiel). In fine, la qualité du CMMT passe immanquablement par une stratégie à long terme qui pourrait fixer des priorités macroéconomiques cohérentes, notamment la réduction du déficit public, la maîtrise de l’inflation, la stabilisation du taux de change, le renforcement de l’offre globale et une gestion proactive de la dette.
• Une trajectoire de recettes qui ne répond pas à l’impératif de mobilisation des ressources domestiques notamment en rapport avec les projections de croissance dans les secteurs taxables. Sur les 4157 milliards de dinars attendus, 3908 milliards proviendraient de la croissance, tandis que seulement 249 milliards (0,65 % du PIB) seraient générés par les 93 mesures proposées. Parmi celles-ci, 38 concernent la politique fiscale (mesures à faible rendement), 33 au titre de l’amélioration de l’administration fiscale et douanière (rendement quasi nul à l’exception de la disposition de l’article 202 qui rend obligatoire le paiement scriptural pour les grosses transactions) et 22 portant sur l’octroi d’exonérations fiscales et douanières (avec une perte de recettes de 616 milliards de dinars). La structure de la fiscalité demeurera inchangée, avec la prééminence des impôts sur les revenus (46,8%), suivis par les prélèvements sur la consommation (35,4%) et la fiscalité de porte (9,8 %), affaiblie par des exonérations massives. Le capital ne contribue qu’à 3,9%, un niveau qui pourrait être amélioré. Le rendement fiscal global serait de 9,6% du PIB et reste bien en dessous de l’optimum fiscal de 13% au vu des risques identifiés ci-dessus.
•Des dépenses courantes insoutenables entretiennent un cercle vicieux de déficits budgétaires, d’inflation, d’érosion de la valeur du DA et d’approfondissement du marché parallèle. Les dépenses courantes insoutenables exacerbent les déficits budgétaires, l’inflation et la dépréciation du dinar, tout en renforçant le marché parallèle. En 2025, ces dépenses représenteront 66,8% du total et 126% des recettes, signe d’une fragilité budgétaire. L’augmentation de la demande publique, tant pour les biens locaux qu’importés, accentuera l’inflation par la demande, laquelle entraînera à son tour une inflation par les coûts, affaiblissant ainsi davantage le dinar et rendant le taux de change officiel intenable. Les restrictions sur l’accès aux devises via les circuits officiels pousseront de plus en plus d’acteurs économiques vers le marché noir, élargissant encore davantage l’écart entre les taux de change officiel et parallèle. De plus, les déficits budgétaires persistants et la hausse de la dette publique et le manque de visibilité économique sur le moyen et long terme minent la confiance des investisseurs, provoquant des fuites de capitaux.
• Le mécanisme du prix de référence du baril, instrument idoine pour contrôler les dépenses, favoriser l’épargne intergénérationnelle et stabiliser les finances publiques ne joue pas son rôle. En retenant un prix de référence de $60 le baril (soit $10 en dessous du prix du marché actuel), le projet de LFI 2025 devrait dégager une épargne budgétaire d’au moins $1,6 milliard pour un usage futur si les dépenses sont ajustées en fonction des recettes anticipées et d’un objectif de déficit budgétaire soutenable. La non activation de ce mécanisme entretient une demande publique excédant de loin la capacité de l’économie à produire, ce qui place cette dernière sous stress et génère une inflation structurelle qui pénalise les citoyens et les travailleurs. Depuis 2017 et, à l’exception de 2020, le PIB réel est supérieur au PIB potentiel, ce qui donne en moyenne un output gap positif de 1,5%. Les projections pour 2025-2027 font ressortir la même tendance. L’épargne budgétaire doit financer les investissements du futur et non la surconsommation d’hier et d’aujourd’hui.
Reprise du contrôle des finances publiques et stratégie de refondation du modèle économique, priorités stratégiques pour l’Algérie. La réorientation de la politique budgétaire vers plus d’orthodoxie financière et la diversification des revenus hors pétrole, le contrôle du déficit et la réduction de la dette doivent constituer les socles d’un tournant stratégique important à négocier le plus rapidement. Pour ce faire, il est proposé la feuille de route ci-dessous.
•La mise en œuvre d’un rééquilibrage budgétaire crédible : afin de renforcer la visibilité de la politique économique qui est essentielle pour attirer les investisseurs. Ce processus doit être ambitieux pour démontrer l’engagement des autorités à assainir les finances publiques et viser des objectifs clairs pour les recettes, les dépenses et le déficit. Des dépenses sociales bien ciblées devront être partie intégrante du rééquilibrage.
•Une approche progressive et transparente : pour garantir l’adhésion des citoyens et des investisseurs. La création d’institutions chargées de surveiller les finances publiques est également essentielle pour améliorer la gouvernance et la transparence budgétaire.
•Un cadre budgétaire pluriannuel : avec des règles claires améliorerait la prévisibilité et la discipline des finances publiques. Il devrait inclure des objectifs précis concernant les recettes, les dépenses et le déficit, tout en prenant en compte l’impact intergénérationnel des ressources naturelles. En ajustant progressivement le déficit primaire hors pétrole, l’Algérie peut renforcer la viabilité de ses finances publiques sans recourir à des mesures d’austérité qui nuiraient à la croissance et à l’emploi.
•Un processus de diversification des recettes fiscales pour réduire la dépendance excessive par rapport aux revenus pétroliers en élargissant l’assiette fiscale, en éliminant les nombreuses exonérations, et en renforçant la gouvernance des administrations fiscales et douanières. Cela augmentera le rendement fiscal, actuellement insuffisant, et rendra la fiscalité plus équitable et moins dépendante des fluctuations du marché pétrolier.
•La mise en place de réformes structurelles : pour dynamiser les secteurs non liés aux ressources naturelles, améliorer l’attractivité pour les investisseurs et renforcer la compétitivité globale. Ces réformes, associées à un cadre de financement des déficits plus stable, permettront de mieux équilibrer les finances publiques et de soutenir une croissance inclusive à long terme.
En résumé, un changement de cap budgétaire est indispensable pour assurer la stabilité économique de l’Algérie, tout en préparant le terrain pour une économie moins dépendante des hydrocarbures et plus résiliente face aux chocs économiques externes.A. B.