Point de vue / Nouvelle architecture commerciale. Revenir aux règles universelles de l’économie de marché

02/04/2023 mis à jour: 15:33
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Le nouveau ministre du Commerce vient de déclarer qu’il fallait revoir tout le schéma de distribution commerciale de notre pays, à travers «l’élaboration d’une cartographie de distribution nationale» ! Cette position tranche avec celle de son prédécesseur et surtout répond au bon sens. Tout responsable rationnel doit mettre en œuvre une politique annuelle, voire pluriannuelle, en matière commerciale, pour permettre aux consommateurs de trouver sur le marché un rapport qualité-prix raisonnable, de biens et services, tout au long de l’année.
 

Certes, «l’effet Ramadhan» entraîne des tensions importantes sur la demande spécifique de consommation des ménages, durant ce mois, sur un certain nombre de produits particuliers, liés au schéma de consommation des ménages (lait, sucre, céréales, pain, huile, pâtisserie, viandes…), ce qui entraîne la montée de la spéculation qui se nourrit du phénomène et active dans nos souks formels et informels. Une véritable boulimie nationale de consommation s’empare de nos concitoyens, de manière consciente ou inconsciente, ce qui se traduit par d’énormes gaspillages de denrées alimentaires, que condamnent tous les préceptes religieux, toutes tendances confondues. 

Mais de là à en faire une spécificité calendaire semble dérisoire et folklorique. Les marchés des biens et services doivent être organisés durant toute l’année, sans exception, avec une amplitude particulière pour ce mois sacré ou les autres, durant lequel des habitudes irrationnelles de consommation sont enregistrées de manière exponentielle. Les décisions gouvernementales consistent à importer ces produits (viandes rouge et blanche, céréales, huile, sucre…).

 Ces habitudes perverses ouvrent la voie à des attitudes qui encouragent et multiplient (effet catalyseur) les actes commerciaux illégaux et l’enrichissement indu (spéculation, rareté artificielle, changement de vocation commerciale, stockage injustifié, contrebande, produits impropres à la consommation, étalage contraire aux règles élémentaires de santé publique…). Tous ces maux commerciaux existent en dehors du mois de Ramadhan mais se décuplent en ce mois particulier seulement, ce qui signifie, en d’autres termes, que l’action des pouvoirs publics doit être permanente et non réservée à ce mois particulier, situation qui semble unique dans le monde musulman. 

Pourquoi donc les consommateurs algériens sont-ils astreints à consommer de la viande rouge à 1200 DA le kilo, juste durant le mois du Ramadhan ? Pourquoi le reste de l’année sont-ils livrés aux lois de l’offre et de la demande et à la spéculation ? C’est à cette question que devra répondre le nouveau responsable du secteur du Commerce, et les mesures qu’il va prendre sont mises à l’épreuve, dès les premiers jours de ce mois, ce qui permettra de juger de leur efficacité. 

Accorder le monopole d’importation des légumes secs (lentilles, pois chiche, pois cassés…) et du riz, par le ministère du Commerce et celui de l’Agriculture, à l’OAIC, nous fait faire un bond en arrière de plus de 30 ans, à l’époque des Souks El Fellah, des Galeries algériennes et de l’Onaco, de l’Ofla, l’Orevic, l’Onab, l’Enafroid et autres offices publics d’importation, détenteurs des monopoles (sucre, épices, céréales, café…). La question qui se pose, dès lors, est celle de savoir si cette forme organisationnelle avait résolu les problèmes du commerce et de la distribution dans notre pays ? La réponse est clairement non, puisque la période est caractérisée par des pénuries, des files d’attente interminables, des actes de corruption interne et externe et enfin un enrichissement exponentiel des acteurs publics et privés, au détriment des consommateurs !
 

Pourtant, l’objectif est noble et l’argumentaire est sans appel, puisqu’il s’agit de «protéger le pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables» des prédateurs… privés, en l’occurrence ! Le secteur privé, toutes activités confondues, est donc considéré comme un délinquant potentiel qui se nourrit de la spéculation et qui profite de toutes les opportunités pour s’enrichir sur le dos des classes populaires. En contrepartie, le secteur public est vertueux et protège ces mêmes classes.

 Cet argumentaire est repris aujourd’hui par ceux qui ont initié les décisions actuelles. Or, la destruction systématique des monopoles publics avait été actée, laissant le secteur privé s’investir seul dans le commerce et la distribution, sans que l’Etat ne garde un instrument de contrôle et de régulation ! 

On est passé d’un monopole public à un monopole privé sans période de transition et toute l’architecture commerciale publique a été livrée à la prédation ou à la déshérence. Une politique réfléchie, dans ce secteur sensible, aurait consisté à détruire les monopoles publics et privés et à organiser la concurrence entre les acteurs, l’Etat se réservant le droit de conserver ses instruments de contrôle et de régulation, en intervenant sur les marchés lorsque cela s’impose. 

On aurait pu imaginer que les entreprises publiques prennent en charge l’importation des légumes secs pour constituer des stocks stratégiques et de sécurité, en cas de perturbations majeures tant au niveau national qu’international, mais également pour réguler le marché contre les activités spéculatives. Le secteur privé, quant à lui, serait autorisé à opérer sur ce marché pour trouver les meilleures opportunités qualité-prix sur le marché international et pour satisfaire la demande nationale. 
 

L’exclusion du secteur privé discrétionnairement, sans autres explications, et l’attribution du monopole à des offices publics démontrent que les vieux réflexes sont toujours présents dans les mentalités.
 

En outre, la très forte tentation de réguler les marchés, par les instruments judiciaires, est actuellement affichée par le gouvernement, qui démultiplie les sanctions coercitives. Visiblement, cette démarche dévoile un échec total des instruments classiques de régulation, connus et reconnus dans le monde. 

En effet, la méthode répressive utilisée ne règle pas le problème mais ne fait qu’augmenter les prix des produits, objet de spéculation, en fonction des amendes pécuniaires encourues ou de lourdes peines de prison prononcées par la justice ! Jusqu’à quand, allons-nous devoir affirmer, que les dysfonctionnements économiques ne se règlent que par des instruments économiques et non pas judiciaires et que le volet répressif du problème ne doit venir qu’en dernière instance, voire à la marge, après que toutes les solutions économiques aient été épuisées ! Cette loi universelle ne semble pas atteindre les autorités économiques de notre pays, puisque le ministre de l’Agriculture a déclaré vouloir «plafonner» les prix des viandes rouges, il y a une semaine, et ceux des viandes blanches !

 Il faut donc revenir aux règles universelles de l’économie de marché, qui au demeurant sont très normatives, et construire de nouveau toute l’architecture commerciale de notre pays (marché de gros, de détail, stockage, froid, transport, distribution, marges commerciales attractives, bancarisation, traçabilité, formation et professionnalisation). 

Sans s’attaquer à ces dossiers lourds, la course entre «le gendarme et le voleur» se poursuivra toujours au profit de ce dernier et les peines carcérales n’apporteront qu’un répit trompeur, tout en favorisant la corruption généralisée. 
 

Par le Dr Mourad Goumiri

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