Point de vue / L’instauration de l’allocation chômage est-elle une bonne initiative ?

02/03/2022 mis à jour: 06:14
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L’allocation chômage a été instituée par la loi de finances 2022 au profit des chômeurs primo-demandeurs d’emploi inscrits auprès des services de l’Agence nationale de l’emploi (ANEM), elle vise principalement les chômeurs nouveaux demandeurs d’emploi ayant entre 19 et 40 ans, qui pourront bénéficier d’un présalaire d’un montant de 13 000 DA, et cela afin de leur assurer une garantie de subvention à leurs besoins en dépenses mensuelles jusqu’à l’obtention d’un poste de travail.

Le principe de cette mesure reste louable, surtout que c’est une pratique qui est déjà en vigueur dans d’autres pays, notamment développés ; cependant une analyse de l’impact qu’aura cette mesure sur le terrain est nécessaire. Tout d’abord, il faut rappeler le contexte de l’emploi en Algérie, surtout sous le couvert de la crise Covid-19. 

Partant d’un constat issu du terrain, puisque j’ai travaillé sur cette problématique de l’emploi et l’employabilité en Algérie entre 2017 et 2021, à travers l’Organisation internationale du travail, en étroite collaboration avec l’ANEM et les parties prenantes en lien avec l’emploi, que ce soit au niveau central et même local sur plusieurs wilayas du centre, ouest, sud et est du pays ; en premier lieu, le nombre de chômeurs en général et les primo-demandeurs en particulier n’a cessé d’augmenter depuis 2018, notamment les chômeurs issus des universités et établissements d’enseignement et de formation professionnels, ce qui constitue un stock et flux de mains-d’œuvre considérables, en plus de ceux déversés sur le marché du travail issus des plans de licenciement dus à l’arrêt des activités d’un bon nombre d’entreprises à cause des répercussions de la crise Covid-19, et d’après les chiffres de l’OIT de fin 2021, même si on constate un léger rebond à la hausse des offres d’emploi, la tendance générale est la stabilisation du niveau du nombre de postes vacants est à moins 20% des niveaux observés avant la crise Covid-19, même s’il est important de préciser que certains secteurs sont moins touchés, tel que le secteur de l’IT. 

Partant de ce constat, une analyse objective est préconisée, et il serait intéressant de mettre en avant les avantages et inconvénients de cette nouvelle mesure d’allocation chômage et surtout ses modalités d’application. 

De notre point de vue, les avantages d’une telle mesure, qui par son principe reste positive, puisqu’elle donne un signal fort quant à la politique de soutien du gouvernement aux différentes catégories de la société algérienne. Puis de part ses modalités d’application, notamment, le ciblage des chômeurs primo-demandeurs, cela constitue un levier pour absorber les appréhensions quant aux débouchés et conditions sociales des nouveaux diplômés des universités et établissements d’enseignement et formation professionnels.

 Enfin, les conditions d’éligibilité, c’est-à-dire que les potentiels bénéficiaires doivent s’inscrire sur la plateforme numérique de l’ANEM, ce qui permet à cette dernière d’enrichir ses bases de données du stock de mains-d’œuvre, ce qui est indispensable pour analyser le marché de l’emploi et ses fluctuations, en vue de produire des politiques adéquates avec la réalité du terrain.

Par ailleurs, les inconvénients concernent surtout les modalités d’application, premièrement, l’identification effective des profils ciblés. En effet, nous avions prédit qu’il allait y avoir un rush au niveau des agences de l’ANEM, puisqu’un grand nombre de demandeurs d’emploi sont déjà actifs dans le domaine de l’informel depuis des années déjà, et lesquels, par définition, sont éligibles puisqu’ils se sont inscrits pour la première fois en tant que primo-demandeurs d’emploi, donc ce qui peut constituer un écart considérable entre les prévisions du gouvernement quant aux 650 000 possibles demandeurs d’emploi éligibles. 

Deuxièmement, les capacités de l’ANEM à gérer ce projet d’allocation chômage avec tout ce que cela constitue comme mode d’organisation, maîtrise des processus de sourcing, de confirmation des profils en interaction avec les autres services, tels que la CNAS, pour confirmer l’éligibilité des candidats et certifier qu’ils sont bien des primo-demandeurs ; ce point est très important, puisque déjà lors de nos actions et études sur le terrain, on a constaté que près de 30% des données des profils inscrits au niveau du fichier de l’ANEM sont biaisés. 

Enfin, le volet qui concerne la contre-partie du candidat éligible ; suite à cela, un bon nombre d’hypothèses ont été produites quant au caractère social de la mesure et qui renforce l’idée de la dépendance des jeunes vis-à-vis de l’Etat et ne pas faire l’effort de prendre en main leur avenir socioprofessionnel, cependant, même s’il est préconisé dans ce cas d’avoir un minimum de recul pour confirmer ou infirmer l’hypothèse, un travail d’ajustement est nécessaire, notamment, en orientant les candidats à se former, contribuer à un travail associatif dans leurs communautés respectives ou faire un stage durant la période où ils vont percevoir l’allocation. 

En effet, un bon nombre de métiers reste en souffrance dans différentes régions, à travers des offres d’emploi qui restent sans candidats qualifiés, un travail en amont de l’ANEM pourrait concerner la cartographie des offres d’emploi et métiers en souffrance, et orienter les candidats à se former ou faire un stage dans ces mêmes entreprises ou autres pour maximiser les chances d’être recrutés, surtout qu’une opération similaire a été réalisée dans le cadre du projet Tawdif avec l’Organisation internationale du travail, où près de 70% des candidats ont été recrutés à la fin de leurs formation et stage.

En conclusion, il ne faudrait pas qu’une mesure transitoire se transforme en norme. 

Par Mohamed Yacine 
Expert employabilité et entrepreneuriat 

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