Trois mois, jour pour jour, après la chute de Bachar Al Assad, la Syrie est confrontée à de graves troubles sécuritaires qui menacent sa stabilité. Ce jeudi 6 mars, de violents affrontements ont opposé les nouvelles forces de sécurité syriennes à «Fouloul Al Nidham», c’est-à-dire les partisans du régime déchu. Avec un bilan de plus de 70 morts, il s’agit des combats les plus meurtriers depuis le départ du dictateur alaouite.
Décidément, la mission d’Ahmed Al Charaa, l’ancien commandant en chef du groupe Hayat Tahrir al Sham (HTS), qui a provoqué la chute de Bachar Al Assad et qui a été désigné président par intérim le 29 janvier dernier, ne fait que se compliquer chaque jour un peu plus.
Alors qu’il pensait avoir fait le plus dur en mettant fin à 54 ans de règne de la «dynastie Al Assad» à la faveur d’une offensive éclair menée à la tête d’une coalition armée et qui a duré à peine une douzaine de jours (27 novembre – 8 décembre 2024), il s’avère que la liquidation des résidus de l’ordre ancien est loin d’être acquise. Le nouvel homme fort de la Syrie doit même faire face à plusieurs foyers de tensions à la fois.
Au Nord et au Nord-Est, une guérilla armée continue d’opposer les hommes des Forces démocratiques syriennes (FDS) kurdes aux groupes pro-turcs soutenus par Ankara. Au Sud et au Sud-Est, du côté des provinces de Deraa, Quneitira et Soueida, il y a les incursions terrestres répétées de l’armée sioniste soutenues par des raids aériens qui déclenchent régulièrement des frappes contre des cibles militaires syriennes en terrorisant la population.
Il y a aussi les groupes druzes, à Al Soueïda et ailleurs, qui manifestent leur courroux comme l’illustrent les récents incidents qui ont embrasé la ville de Jaramana, aux portes de Damas, au point de servir de prétexte à Netanyahu pour qu’il menace de mener une intervention militaire d’envergure en Syrie au nom de la protection de la communauté druze.
Et il y a un important front de rébellion sur le littoral ouest, dans les agglomérations à forte communauté alaouite, autour de Lattaquié, Qardaha et Tartous, bastion du clan des Al Assad. Dans cette région, les milices «loyalistes», restées fidèles à Bachar Al Assad, conservent manifestement un haut potentiel de nuisance trois mois, jour pour jour, après la chute du dictateur syrien.
Vaste offensive des milices fidèles à Bachar
Ce jeudi 6 mars, la région de Lattaquié a été le théâtre d’affrontements féroces, les plus virulents et les plus sanglants depuis la chute du régime alaouite. Ces combats ont opposé les nouvelles forces de sécurité syriennes à ce qu’on appelle en Syrie «Fouloul al Nidham», c’est-à-dire les partisans de l’ancien système. «Plus de 70 morts et des dizaines de blessés et d’arrestations suite à des accrochages et des embuscades sanglants au niveau du littoral syrien entre des éléments des ministères de la Défense et de l’Intérieur et des hommes armés affiliés au régime déchu», rapportait avant-hier l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
«Des hommes armés dont des affidés de l’ancien régime ont mené une série d’attaques contre des positions de la sécurité publique dans la campagne de Lattaquié», a alerté l’OSDH dans une publication diffusée via les réseaux sociaux. «Les forces syriennes ont utilisé l’artillerie lourde et bombardé la campagne de Jableh. Elles ont également mobilisé des hélicoptères pour pilonner la région. Les frappes actuelles sont les plus intenses depuis trois mois», souligne l’OSDH.
Au terme de cette opération de police, «les forces de sécurité ont imposé leur contrôle sur la ville de Jableh». Cependant, «les affrontements se poursuivent» dans les provinces alaouites. L’OSDH affirme que «les combats se sont étendus à la région de Qardaha», la ville natale de Hafez Al Assad où son tombeau a été profané après la chute du régime.
L’ancien chef du renseignement militaire arrêté
Dans un article publié hier sur son site, l’OSDH est revenu sur les derniers développements en Syrie et sur ces troubles de grande ampleur qui embrasent les régions alaouites en menaçant la stabilité du pays. «Des zones de la côte syrienne ont été le théâtre d’attaques et de combats entre les forces de sécurité et des hommes armés. Ces combats ont fait plus de 70 morts», écrit l’OSDH.
Ce bilan comprend «35 membres des ministères de la Défense et de l’Intérieur, 32 membres de l’armée du régime déchu et 4 civils», détaille l’Observatoire. La même source fait état par ailleurs de «dizaines de blessés, de disparus et d’éléments faits prisonniers des deux côtés».
Selon l’ONG syrienne très informée de la situation sur le terrain, les forces rebelles fidèles à l’ancien régime «sont toujours déployées dans plusieurs villes et villages des montagnes de la côte syrienne», entre autres «dans les quartiers nord de Baniyas» et dans la campagne de Jableh. L’OSDH signale dans la foulée que «des troupes (gouvernementales) ont été prises en embuscade sur la route Tartous-Homs et sur la route Baniyas-Jableh».
Mustafa Kneifati, un responsable de la sécurité à Lattaquié, a témoigné à l’AFP : «Dans le cadre d’une opération bien planifiée et préméditée, plusieurs groupes de miliciens d’Al Assad ont attaqué nos positions et nos points de contrôle, ciblant un grand nombre de nos patrouilles dans la région de Jableh.» Ces attaques ont fait «de nombreux martyrs et blessés parmi nos forces», a-t-il ajouté. Ce climat d’insécurité a poussé les nouvelles autorités à imposer un couvre-feu sur l’ensemble du territoire des gouvernorats de Lattaquié, Tartous et Homs.
D’après l’agence Sana citant une source du «département de la Sécurité générale», au cours de leurs interventions et des opérations de ratissage qu’elles ont effectuées dans la région, les nouvelles forces de sécurité ont arrêté un redoutable chef militaire de l’ancien régime qui a fait sa carrière sous Hafez Al Assad.
«Le général criminel Ibrahim Houweija, ancien chef des services de renseignement de l’armée de l’air syrienne entre 1987 et 2002, a été arrêté dans la ville de Jableh», précise l’agence officielle syrienne. Houweija est accusé de «centaines d’assassinats» sous l’ère du clan Al Assad. Il serait notamment responsable de l’assassinat du leader druze libanais Kamal Joumblatt, père de Walid Joumblatt, le 16 mars 1977.
Un plan de déstabilisation fomenté par un général déchu
Retenons par ailleurs cette information importante révélée hier par la chaîne Al Jazeera. Le média qatari dit avoir obtenu cette information «de sources sécuritaires» qui ont requis l’anonymat. Il y est question d’opération menées par «des cellules de l’ancien régime dans la province de Lattaquié».
Ces sources ont affirmé à Al Jazeera qu’un ex-général du nom de Ghyath Dalla, qui était proche de Bachar Al Assad et de son frère Maher Al Assad (qui dirigeait la quatrième division de l’armée syrienne), a formé un «conseil militaire» et a «commencé à étendre son influence sur le terrain et établi des alliances avec d’anciens commandants de l’armée du président déchu Bachar Al Assad», rapporte la chaîne d’information en continu.
Ghyath Dalla aurait «formé une alliance avec Mohammed Mahrez Jaber, l’ancien commandant des Faucons du désert, qui réside actuellement entre la Russie et l’Irak», et une autre «avec Yasser Ramadan Al Hajal, qui était un commandant de terrain dans les groupes de Suhail Al Hassan», un autre homme fort de l’ère Bachar.
Les sources qui ont parlé à Al Jazeera ont précisé que le général qui serait en train de fomenter ce plan ambitieux de reconquête du pouvoir en Syrie «est la main exécutive de Maher Al Assad dans les opérations en cours dans la côte syrienne». Autrement dit, c’est Maher Al Assad lui-même qui serait derrière les attaques qui ciblent actuellement les nouvelles forces régulières dans la province de Lattaquié.
Ces mêmes sources soutiennent que «Maher Al Assad et Raif Kotli ont quitté l’Irak mercredi pour la Russie afin de rencontrer Bachar Al Assad». L’ex-président syrien «est au courant de la coordination mise en place entre tous les groupes armés, avec le soutien d’un Etat étranger», affirme Al Jazeera.
Ces sources assurent par ailleurs que «le conseil militaire, dirigé par Ghiyath Dalla, a reçu un soutien financier du Hezbollah libanais et des milices irakiennes, ainsi que des moyens logistiques des FDS kurdes». On apprend enfin que le général Ibrahim Houweija, l’ancien chef des renseignements de l’armée de l’air arrêté jeudi, «coordonnait directement ces cellules» mises en place par ce «conseil militaire».
HCR : plus de 300 000 réfugiés sont rentrés au pays
Plus de 300 000 réfugiés syriens sont rentrés au pays depuis début décembre 2024, a indiqué hier le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). De plus, 900 000 Syriens déplacés internes (PDI) sont eux aussi rentrés chez eux, a précisé Céline Schmitt, porte-parole du HCR, lors d’un point de presse par visioconférence de Damas.
Entre le 8 décembre et maintenant, «nous avons donc dépassé les 300 000 retours. En termes de personnes déplacées à l’intérieur du pays, nous sommes à près de 900 000 PDI qui sont revenus depuis fin novembre», a-t-elle précisé, lors du briefing régulier de l’ONU à Genève. «Donc, au total, 1 million de personnes sont revenues depuis début décembre», a expliqué Mme Schmitt. Près de la moitié des réfugiés rentrés au pays venaient de Turquie, selon les chiffres donnés jeudi par le président turc, Recep Tayyip Erdogan.
«Depuis le 8 décembre, plus de 133 000 Syriens sont rentrés volontairement dans leur pays. Comme la stabilité s’installe en Syrie, ce chiffre va augmenter. Nous ne forcerons personne, mais si nos frères et sœurs souhaitent rentrer, nous faciliterons ce voyage», a déclaré M. Erdogan. Près de 3 millions de Syriens ont cherché refuge en Turquie pendant le conflit en Syrie.