Le président américain, Joe Biden, n’a pas du tout apprécié comment le Premier ministre israélien a tenu à se démarquer de l’optimisme de son envoyé spécial et à signifier l’impossibilité, à court terme, d’envisager une trêve avec le Hamas.
Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, maintient le cap sur la poursuite de la guerre contre Ghaza et oppose une sèche fin de non-recevoir aux efforts diplomatiques américains. La dernière visite du secrétaire d’Etat, Anthony Blinken, dans la région a plus servi, notent les observateurs, à creuser la faille entre Washington et Tel-Aviv qu’à ouvrir de nouvelles voies pour une solution négociée au conflit. Le quotidien de gauche Haaretz affirme que l’Administration américaine est très remontée et qu’elle ne fait plus confiance à son interlocuteur israélien.
Le président américain, Joe Biden, n’a pas du tout apprécié comment le Premier ministre israélien a tenu à se démarquer de l’optimisme de son envoyé spécial et à signifier l’impossibilité, à court terme, d’envisager une trêve avec le Hamas. Une trêve à laquelle la Maison-Blanche tient plus que d’habitude et pour laquelle elle mobilise depuis des semaines, en plus de son poids diplomatique, l’expérience des plus hauts négociateurs de la CIA et ses partenaires stratégiques dans la région. «Je suis d’avis que la réponse israélienne dépasse les limites», déplore le président américain, le soir de la rencontre de son ministre des Affaires étrangères avec l’intransigeant Premier ministre israélien.
Joe Biden a eu même des mots de compassion pour les civils palestiniens s’entassant par centaines de milliers dans la région de Rafah, au sud de la Bande de Ghaza. Ces même civils que l’Administration américaine a laissé massacrer et affamer durant des mois, en soutenant aveuglément l’entreprise meurtrière de l’Etat hébreu.
«Beaucoup de civils palestiniens innocents, dont de nombreuses femmes et des enfants, sont en train de mourir de faim et ont besoin d’être secourus en urgence», se réveille-t-il. C’est que non seulement Netanyahu déclare ne pas avoir de concessions à faire pour la solution diplomatique, mais rejette également les propositions de lever une partie de l’embargo, aussi étanche que criminel, imposé à l’enclave palestinienne en termes d’aides humanitaires.
La stratégie du pourrissement
Avant-hier, juste après avoir reçu en audience le secrétaire d’Etat américain à Tel-Aviv et prenant connaissance des propositions du Hamas concernant l’accord-cadre devant définir les modalités et les étapes de la trêve, Benyamin Netanyahu a réitéré que les opérations militaires ne seront pas suspendues tant que les objectifs de la guerre ne seront pas réalisés. Il finit sur une sentence qui, certes, s’adresse au mouvement de résistance palestinien, mais aussi au diplomate américain : Israël ne négociera pas sur la base des «conditions délirantes du Hamas pour la libération des otages».
Le Premier ministre israélien dit, par ailleurs, attendre des Américains qu’ils exercent plus de pression sur le Qatar pour que celui-ci amène les dirigeants du mouvement palestinien à renoncer à ses exigences. Renouvelant sa conviction de va-t-en-guerre, il martèle que «seule la pression militaire permettrait d’obtenir la libération des otages israéliens».
Pourtant, près de cinq mois après les premiers actes de l’opération «sabres de fer», déclenchée par l’armée israélienne en réaction aux attaques des Brigades d’El Aqsa, aucun des captifs israéliens n’a pu être libéré. Pire, les quelques tentatives ciblées se sont soldées par la mort des «otages» que les opérations devaient libérer des mains des combattants du Hamas, alors que de l’avis même des autorités militaires à Tel-Aviv, près du tiers des prisonniers concernés aurait été tués dans les bombardements.
Enfin, et pour instruire définitivement ses interlocuteurs sur ses intentions, et sans doute pour rassurer une coalition d’extrême droite qui lui a permis de prendre les rênes du pouvoir et de les garder encore aujourd’hui, Benyamin Netanyahu déclare se préparer à ordonner une offensive d’envergue sur le sud de la Bande de Ghaza, dans la région de Rafah précisément pour, dit-il, débusquer les dirigeants militaires du Hamas qui s’y serait déplacés.
Une option qui serait «catastrophique», a prévenu avant-hier John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale aux Etats-Unis, ajoutant que son pays s’y opposait catégoriquement. L’on comprend donc que Joe Biden puisse trouver comme excessives les réactions de celui qu’il a soutenu sans compter depuis octobre dernier et qui s’oppose avec bruits aujourd’hui à s’inscrire sur la voie que préconise la Maison-Blanche.
Biden et sa CIA désavoués
Dès janvier dernier, les Etats-Unis avaient pris la résolution de travailler pour une série de trêve dans le conflit pour faire baisser les tensions dans la région et rompre un engrenage qui mettait de plus en plus en évidence sa responsabilité en tant que parrain d’Israël, dans les risques d’extension du conflit. L’armée américaine a dû ainsi ouvrir un front contre les Houthis au Yémen, et programmer des ripostes sur la durée contre les organisations de l’Axe de résistance parrainé par Téhéran, en Irak et en Syrie.
Ces éléments combinés avec un contexte préélectoral, qui s’avère agité et surtout risqué pour les ambitions d’un second mandat pour Biden, pressent l’administration de la Maison-Blanche à trouver une issue à Ghaza, d’autant que le gouvernement Netanyahu s’est révélé incapable de tenir les engagements de démanteler le Hamas et de plier l’affaire à la fin de l’année dernière, comme souhaité par Washington.
William Burns, le directeur de la CIA a été ainsi dépêché à Paris les 27 et 28 janvier dernier, pour conduire des discussions sur un projet de trêve à plusieurs étapes et devant aboutir à la libération des détenus israéliens et à la prise en charge humanitaire de la population de Ghaza, un des aspects sur lesquels l’Administration américaine a été le plus attaquée.
La rencontre a engagé également des représentants des deux négociateurs arabes, l’Egypte et le Qatar, ainsi que des représentants de l’Etat hébreu. La démarche était précédée d’une campagne de communication de la Maison-Blanche, donnant à Biden le rôle de parrain de la nouvelle initiative de paix avec le double objectif évident de s’adresser à un front intérieur aux Etats-Unis, notamment un camp démocrate cherchant à nuancer un alignement aveugle sur Tel-Aviv dans le contexte, et d’autre part à une communauté internationale de plus en plus critique. La visite de Blinken, la semaine dernière dans la région, devait marquer un stade d’évolution des négociations qui conforte le déploiement américain et ses plans de sortie de crise.
Retour en force de «la solution à deux états»
Anthony Blinken avait entamé sa visite, lundi dernier, par une halte à Riyad où il a tâté le pouls du partenaire stratégique saoudien sur la question. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane a signifié clairement que l’Arabie Saoudite n’envisageait aucune normalisation des relations avec Israël sans «un cessez-le-feu à Ghaza et une démarche intégrée rendant irréversible la reconnaissance d’un Etat palestinien souverain sur les frontières de 1967». L’exigence pour une fois ferme de Riyad n’est pas forcément le signe que le Royaume se décide à prendre, à titre souverain, ses responsabilités envers la cause palestinienne, après avoir failli y renoncer en envisageant une normalisation avant le déclenchement du conflit.
L’étonnante résistance du mouvement Hamas à la guerre que lui mène l’armée israélienne depuis plus de 4 mois, l’onde de choc géopolitique que provoquent les massacres sans précédent commis sur les civils palestiniens, et les menaces d’une guerre régionale majeure, poussent les soutiens les plus irréductibles d’Israël à revoir leurs copies. La fameuse solution à deux Etats, après avoir été remisée au placard de chimères diplomatique, reprend du crédit, voire un caractère d’urgence, dans plusieurs capitales occidentales, jusqu’ici regardant ailleurs quand Tel-Aviv s’employait à la rendre irréalisables.
Selon le New York Times, se référant à des «responsables» dans l’Administration américaine, les Etats-Unis à leur tour seraient disposés à reconnaître un Etat Palestinien et son droit à la souveraineté, selon des formules qui sont à l’étude actuellement. Anthony Blinken s’est dit satisfait d’ailleurs à la suite de ses entrevues à Riyad et Doha.
Bien plus, mus par la nécessité de favoriser une issue diplomatique, le ministre des Affaires étrangères américain trouve dans le même élan que les conditions posées par le Hamas pour agréer la trêve sont certes difficiles à réaliser, mais comportent la volonté de mettre fin au conflit par la négociation. On est loin donc du temps où l’administration Biden considérait le Hamas comme une organisation terroriste avec laquelle aucun dialogue ne devait être permis.
La diplomatie américaine annonce que les pourparlers vont se poursuivre, en comptant toujours sur les médiateurs qataris et égyptiens. Une réunion s’est tenue jeudi au Caire entre les négociateurs, juste au lendemain du déplacement du responsable du Hamas, Ismaël Haniyeh, dans la capitale égyptienne. Une réunion à laquelle Tel-Aviv a refusé de déléguer un représentant.