Alors que la mondialisation commerciale se recompose, les impératifs climatiques et la sécurité économique prennent le pas
sur la libéralisation, des mutations s’opèrent au niveau de la mondialisation financière.
Des reconfigurations importantes vont affecter l’économie mondiale en 2024, à en croire le centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), un organisme étatique français spécialisé dans l’économie internationale.
En effet, dans un ouvrage collectif qui vient de paraître intitulé «l’économie mondiale en 2024», et selon les premiers décryptages livrés par les rédacteurs de la publication, il ressort que l’économie mondiale sera confrontée à des chocs de grande ampleur avec des conséquences fâcheuses. Des reconfigurations, «au pluriel» sont en œuvre et annonciatrices d’un changement plus ou moins profond, indique-t-on. D’abord celle de la mondialisation, pour laquelle un changement de paradigme s’observe et ce sont les États-Unis qui ont donné le ton.
Certes, les différents épisodes, qui se sont succédé – l’après-crise financière, la crise sanitaire, les ruptures d’approvisionnement post-crise sanitaire et la guerre en Ukraine – ont tous conduit à faire de la sécurité une nouvelle priorité, notent les rédacteurs du livre, mais c’est bien la décision des États-Unis de changer de logiciel, «pour faire de la réindustrialisation et de la lutte contre le changement climatique leurs priorités et d’avoir recours à des subventions massives et des mesures protectionnistes, dans le cadre de l’Inflation Reduction Act notamment, qui ont mis un terme à la mondialisation telle qu’on l’a connue depuis quatre décennies» explique-t-on.
Et d’ajouter : «C’est aussi en proposant un nouveau consensus de Washington en avril 2023, dont la politique industrielle est le pilier, où le retour des États dans la gestion économique est consacré, et où la promotion du libre-échange n’est plus en vogue, mais remplacée par la recherche d’alliances avec ceux qui partagent les mêmes valeurs, le friendshoring, que les Américains ont rompu avec l’ancien consensus qui reposait sur le retrait des États et la recherche d’une libéralisation toujours plus poussée des forces du marché.»
Énergie : accélérateur des recompositions
L’énergie est, selon les rédacteurs du livre, un domaine où les recompositions ont dû se faire dans l’urgence, en faisant appel aux alliés ou «amis», comme on veut bien les appeler.
Et d’ajouter : «Que ce soit les États-Unis pour le gaz liquéfié ou la Norvège et l’Algérie pour le gaz, les conséquences de la guerre en Ukraine ont dépassé les frontières de l’Union européenne, en perturbant les routes mondiales d’acheminement des hydrocarbures, ainsi que le niveau et les mécanismes de prix (prix plafond, rabais forcés), avec pour conséquence un monde énergétique qui tend à se recomposer entre un «marché russe», regroupant les pays qui acceptent de commercer avec la Russie, et un «marché non russe», avec des passerelles comme l’Inde qui raffine du brut russe et le réachemine, en partie, en Europe.
Toutefois, notent les experts du CEPII, la vulnérabilité des approvisionnements européens, que la guerre en Ukraine a mise au jour, a surtout eu pour conséquence de faire s’envoler les prix du gaz et, par contagion, ceux de l’électricité, les craintes de rupture ayant pu être limitées par les recompositions.
Et d’alerter : «Si début 2023, les prix n’étaient plus aussi délirants qu’à la mi-2022, l’approche de l’hiver pourrait les faire à nouveau augmenter, ce qui réclame que la réforme du marché de l’électricité, pour le rendre moins dépendant des fluctuations des prix du gaz, soit rapidement opérationnelle.»
Par ailleurs, les experts du CEPII se sont penchés sur la place des politiques commerciales, dans ce contexte international tendu. Pour eux, si les politiques commerciales recherchaient avant tout l’efficacité économique par l’exploitation des avantages comparatifs, la minimisation des coûts ou l’optimisation des chaînes de valeurs mondiales, de nouveaux objectifs sont en train de supplanter ceux d’hier.
La lutte contre le réchauffement climatique, la sécurité nationale ou encore la sécurisation des approvisionnements redessinent les contours des politiques commerciales. Ce faisant, ces politiques vont se retrouver de plus en plus étroitement imbriquées avec les politiques industrielles nationales.
A cela s’ajoutent l’augmentation des obstacles au commerce liés à la militarisation des politiques commerciales et la rivalité sino-américaine. «Tout cela laisse penser que les périodes de libéralisation du commerce international sont derrière nous. Le risque, cependant, dans ce monde qui se polarise est de voir les impératifs géoéconomiques de court terme l’emporter sur les défis environnementaux, conditionnant le long terme de l’humanité. Pour éviter qu’il en soit ainsi, il va alors falloir trouver comment restaurer un minimum de multilatéralisme. Une entreprise dont le succès est loin d’être assuré», soulignent-ils!
Un monde multipolaire se dessine
Alors que la mondialisation commerciale se recompose, les impératifs climatiques et la sécurité économique prennent le pas sur la libéralisation, des mutations s’opèrent au niveau de la mondialisation financière, selon les rédacteurs de la publication du CEPII.
«L’encensement de la liberté des flux de capitaux et de la flexibilité des taux de change a fait long feu. Certes, la mondialisation financière n’a pas disparu, mais la tournure qu’elle a prise au fil des crises et de la montée des tensions géopolitiques est très éloignée de l’illusion libérale qui en a été le berceau», estiment-ils.
Et d’expliquer : «Les banques centrales prennent de plus en plus de mesures qui influencent les flux de capitaux, avec des implications géopolitiques. Elles interviennent sur les marchés des changes, s’accordent des prêts entre elles, échappant, ce faisant, au multilatéralisme hérité de la fin des années 1940, qui reposait sur de grandes institutions financières internationales telles que le FMI.»
Et d’ajouter : «La question se pose de ce qui va advenir du dollar dans ce nouveau système monétaire international. Un monde plus multipolaire se dessine où, sans du tout faire disparaître le dollar, des monnaies différentes, et notamment le renminbi, seront utilisées et thésaurisées en fonction des liens commerciaux et géopolitiques.»
Enfin, et abordant la question écologique, les experts du CEPII estiment que deux écueils majeurs freinent son avancée. D’abord le cadre de conflictualité géopolitique dans lequel elles s’organisent et les limites que cela produit pour bâtir une planification écologique à l’échelle mondiale, «la seule valable pour répondre à la crise écologique», selon eux.
Et ensuite la difficulté pour les pays du Sud de trouver leur place dans ce nouveau contexte, sachant que leurs leviers économiques sont bien en deçà de ceux que la Chine, les États-Unis et l’Union européenne peuvent mobiliser. «Dès lors, les stratégies que ces pays peuvent développer sont forcément subordonnées à celles de ces trois blocs, avec plusieurs menaces liées à la concurrence accrue pour les ressources minérales ou à la mise en place de nouvelles chaînes de valeur des technologies vertes. Aussi pour éviter que la planification écologique ne soit réservée à un club restreint, la coopération internationale, moteur fondamental et aujourd’hui manquant, doit être vigoureusement réactivée», alertent les rédacteurs de la publication du CEPII.