Pascal Boniface est géopolitologue et directeur de l’institut français Iris (Institut des relations internationales et stratégiques). Il est, entre autres, spécialiste de la géopolitique du sport, concept qu’il a lui-même développé pour décrire l’impact des compétitions sportives, le football en particulier, sur les relations internationales. Il compte à son actif plusieurs publications dans ce domaine, dont la dernière en date est un rapport intitulé «Sport mondialisé : les défis de la gouvernance» (coauteur, Iris, mars 2021). Il traite aussi de ces sujets sur sa chaîne YouTube «Comprendre le monde».
- Que pensez-vous du problème des joueurs africains retenus par leurs clubs européens qui revient systématiquement à chaque CAN ?
Oui effectivement, ce problème est récurrent. Il faut noter, d’abord, qu’il y a deux logiques chez les joueurs qui s’affrontent sur ce sujet : la priorité donnée aux sélections nationales pour les uns, et la priorité donnée aux employeurs pour les autres.
Ensuite, cela est clairement lié au fait que la Coupe d’Afrique des nations n’a pas lieu durant la trêve des championnats nationaux européens, qui sont les premiers employeurs des joueurs africains, plus que tous les autres championnats du monde. Donc, on voit de plus en plus l’apparition de formes de chantage de la part des clubs pour retenir les joueurs.
Mais nous constatons globalement que les joueurs africains restent extrêmement attachés au maillot national malgré le chantage, au contrat, sur la titularisation, sur la carrière, etc. Ils font tout pour honorer leurs sélections. C’est pourquoi un compromis a été trouvé, dernièrement, pour permettre aux clubs de garder leurs joueurs quelques jours de plus, jusqu’au 3 janvier.
- Comment jugez-vous la position de la FIFA sur ce dossier, alors qu’elle est soupçonnée d’avoir mis la pression sur la CAF pour reporter la CAN ?
C’est un éternel débat entre les clubs et les sélections. Et la FIFA se doit évidemment de protéger les équipes nationales. Or, il est vrai que la Coupe d’Afrique se déroule durant les compétitions européennes, et non pas à leur issue, comme par exemple ses équivalentes compétitions européennes et latino-américaines.
Ce qui pose problème même pour la FIFA. Toutefois, cette instance n’est pas forcément du côté des clubs. Elle a certes sanctuarisé et allongé les périodes pendant lesquelles les joueurs sont mis au service de leurs clubs, mais elle ne leur a pas interdit non plus de rejoindre leurs sélections quand ils le souhaitent.
Pour revenir à la question qui s’est posée récemment sur l’éventuel report de la CAN, il me semble que cela concerne plutôt la CAF, qui s’interrogeait en interne sur le maintien ou non de la compétition africaine, vu la situation sanitaire qui s’est dégradée avec la remontée de la pandémie de Covid-19. De toute façon, ce n’est pas à la FIFA de décider ou de demander le report de la CAN.
- Donc, le fait que ces clubs aient refusé de libérer leurs joueurs africains, perturbant ainsi les stages préparatoires d’avant la CAN, n’a rien à voir avec un quelconque soutien de la FIFA ?
Non, je ne crois pas. Ces stages ont été justement perturbés à cause de la volonté des clubs de retenir leurs meilleurs joueurs africains par tous les moyens, en considérant qu’ils avaient besoin d’eux.
Mais ils avaient absolument l’obligation de les libérer pour pouvoir rejoindre à temps le début de la compétition. En même temps, encore une fois, les conditions sanitaires n’ont pas arrangé la situation. Même ici en Europe, plusieurs matchs ont été reportés à cause de la pandémie. Et la FIFA n’a pas à se mêler de ça…
- Pour reformuler la question, n’est-il pas vrai que la Fédération internationale du football défavoriserait la CAN au profit de compétitions plus suivies et engrangeant plus d’argent ?
La compétition africaine est, aussi, de plus en plus suivie, avec toujours plus d’impact ces dernières années. Cependant, du côté des clubs, c’est vrai que pour certains d’entre eux qui comptent sur leurs joueurs africains pour gagner le championnat ou se maintenir, leur absence peut être problématique. Quand un club possède plusieurs joueurs qui partiront à la CAN, il peut être considérablement déstabilisé pendant une période assez longue.
Après, du côté de la FIFA, celle-ci a une position à mi-chemin. Elle protège bien ses dates internationales afin que les joueurs puissent être libérés à ce moment-là pour rejoindre leurs sélections. En même temps, elle a allongé la période durant laquelle les clubs peuvent disposer entièrement de leurs joueurs.
La difficulté actuelle, c’est que la tension entre les clubs et les sélections africaines est de plus en plus forte. Donc, je crois qu’elle doit mieux protéger les équipes nationales. Pour cela, il faut à mon avis faire en sorte que toutes les compétitions soient compatibles avec les dates internationales de la FIFA. Par exemple, on peut imaginer que la CAN se déroule au même temps que le Championnat d’Europe des nations et les Coupes sud-américaines.
Là, le problème sera définitivement résolu. Concernant l’argent dans le football, ce n’est pas nouveau, on est bien entendu toujours sur une courbe ascendante. Force est de constater qu’il y a de plus en plus d’argent en jeu ! Les droits télé ne cessent pas d’augmenter, au même titre que les ventes des maillots, etc.
On ne sait pas jusqu’où s’arrêtera cette spirale inflationniste. Ce qui est frappant ici, c’est que les gens doivent désormais payer toujours plus pour regarder le football, même si peu de compétitions étaient suivies auparavant.
A titre d’exemple, il y a 20 ans, les matchs de la CAN n’étaient pas du tout diffusés en Europe. Aujourd’hui, ils le sont et ils sont plutôt bien suivis. Là encore, c’est à double tranchant. Il y a un point positif qui consiste à rendre plus visibles certaines compétitions, mais on fait de plus en plus payer les gens pour voir des matchs de foot à la télévision.