Larab Mohand Ouramdane vient de publier aux éditions La graine fertile un nouvel ouvrage intitulé Lounès Matoub Azamul n’yimazighen, symbole des Berbères.
Dans l’ouvrage Lounès Matoub Azamul n’yimazighen, symbole des berbères, sont compilés des textes de chansons et des témoignages sur le parcours artistique et le combat du Rebelle dont la Kabylie a commémoré le 25 juin dernier le 24e anniversaire de son assassinat.
Smaïl Medjeber, qui a écrit la préface du livre, entame son texte par cette déclaration qui résume l’engagement de Matoub en faveur de l’identité amazighe. C’était lors de l’émission Bouillon de culture de Bernard Pivot, en avril 1997.
«Aujourd’hui, j’ai peur. Je n’ai pas peur pour ma personne. J’ai peur pour cette identité, mon identité amazighe. J’ai peur pour ma langue amazighe. Donc, j’ai peur pour cette langue, parce que dans la Constitution algérienne elle n’a pas sa place, elle est réduite à néant…».
Il rappellera également que Lounès Matoub fut l’un des seuls artistes qui prit position, dès 1983 en faveur de la libération de Mohamed Haroun et de ses camarades, en participant à des actions de soutien, des galas organisés par des étudiants à l’université de Tizi-Ouzou.
«Lounès Matoub eut, seul, ce courage militant, politique et ce, à une époque quand ce courage-là était synonyme d’ atteinte à la sûreté de l’Etat et par conséquent était passible d’emprisonnement voire de la peine capitale. Lorsqu’on sait qu’aujourd’hui même, en 1999, l’affaire des militants de l’Organisation des forces berbères reste un sujet tabou pour certains pseudo -militants, lesquels n’ont pas le courage voire la décence de les intégrer dans l’historique du mouvement culturel amazigh, à cause de la violence de leurs actes, on mesure l’importance de l’engagement de Lounès Matoub».
Un artiste-militant de la cause amazighe. «Lounès Matoub, au péril de sa carrière, voire de sa vie, osa même produire une chanson Amehbus-iw («Mon prisonnier»), dédiée à Smaïl Medjeber, afin de valoriser ces actes, les considérant – à juste titre – comme des actes légitimes de résistance à l’oppression.
C’est ce même prisonnier de Berrouaghia, à qui il disait – de par sa chanson – de ne pas plier sous le joug de la répression, même condamné à mort qui, aujourd’hui, lui rend hommage, s’incline, bien bas, devant son inégalé et inégalable courage. Lounès Matoub fut un artiste-militant de la cause amazighe ; il fut digne de Yugurten», conclut le préfacier.
Un autre témoignage de Mokrane Roudjane, recueilli par l’auteur, nous apprend que Matoub fit sa première entrée sur scène l’été de l’année 1970, comme tout débutant, à l’occasion d’une fête de mariage, au village de Timegnounin, dans le voisinage de Taourirt Moussa. Il n’avait que 14 ans !
«Il accompagna, comme tout novice, un aîné, le chanteur Tilwa en l’occurrence. Natif du même village, le vieux Tilwa excellait dans l’art musical et passait pour le maître de bien de jeunes chanteurs de la région. Lounès Matoub avait, tout juste, quatorze ans d’âge. Si jeune, il fît pour la première fois, connaissance avec le public. Une expérience des plus marquantes… La fête – à l’occasion d’un mariage – battait déjà son plein à leur arrivée sur les lieux. L’atmosphère vibrait déjà à la force du bendir sous les coups de baguettes experts d’un meddah, le troubadour traditionnel», écrit le narrateur.
Il poursuit : «Une foule de spectateurs enthousiasmés l’entourait. Parfois, quelques jeunes enhardis se jetaient au centre du cercle et exécutaient un tour de danse. La scène, la tinda, était déjà prête et n’attendait plus que le maître. De la maison du marié, s’élevaient, par intermittences, des youyous, comme pour rappeler aux hommes que les femmes sont présentes et participent également, à leur manière, à cette fête. Timidement, collé à lui comme son ombre, Lounès Matoub suivait son parrain.»
LE JEUNE ET LE MAÎTRE
«Vraisemblablement – on le serait à moins – il eut le trac… ce n’était plus un cercle de copains, auquel il était habitué, mais toute une foule, des adultes qu’il aurait en face à lui… Peut-être eut-il envie de fuir, d’abandonner… Le meddah, ayant remarqué que son cercle de spectateurs s’éclaircissait peu à peu, redoubla d’efforts, dans l’ultime espoir de les retenir. En vain. Le public, dés qu’il entendit les premières notes, le quittât pour aller écouter le célèbre Tilwa. De bouche à oreille, on se posait déjà la question : qui est donc ce garçon assis à côté du maître ? Il est si jeune ! Tous les yeux, de curiosité pour tout ce qui est nouveau, étaient braqués sur Lounès Matoub. Lui qui préféra, sans doute, qu’on oubliât jusqu’à sa présence, car tous ces yeux, fixés sur lui, le mettaient mal à l’aise. Visiblement, il faisait des efforts surhumains pour se concentrer sur ses cordes afin d’éviter les fausses notes.»
Il avait à cœur de faire, pour sa première apparition en public, une bonne prestation… Le pauvre troubadour ou meddah, de guerre lasse, n’ayant que quelques enfants, plus chahuteurs que spectateurs, autour de lui, rangea son tambour et ses bâtons.Dégoulinant de sueur – tous ces efforts ! – bouillonnant de colère contre cette concurrence «déloyale» à ses yeux, se résigna à aller se plaindre auprès du maître des lieux, au moment où Tilwa et Lounès chantaient A Jedjiga. Paradoxalement, alors que le public applaudissait de satisfaction, à l’écoute de cette chanson, tube de cet été-là, le troubadour, lui, dans son courroux, se frottait les mains : il venait de trouver l’argument massue afin de faire taire ses concurrents…
« Jedjiga (la fleur), titre d’une chanson exprimant l’éloge à l’amour, à la femme, à toutes les femmes, est aussi un prénom féminin et, par pure coïncidence, le prénom de la mariée du jour. Il n’en fallait pas plus pour crier à «l’indécence».
Le meddah fit donc son plein de chahut, influa sur la décision du maître des lieux…
Le spectacle, à peine commencé, fut interrompu. En descendant de la scène, plus pour affirmer un sentiment vrai, profond – ce sentiment qui le guidera tout au long de sa brillante carrière, jusqu’à sa mort – que pour s’excuser, Lounès Matoub eut, à l’adresse du public, ces mots : «Je suis votre frère.»
A. Tahraoui