Pakistan et Talibans : Un poste-frontière avec l’Afghanistan fermé après des affrontements

27/02/2022 mis à jour: 00:41
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Des centaines de personnes étaient bloquées hier à la frontière Pakistano-Afghane / Photo : D. R.

Un accord entre l’émir Abdur Rahman Khan et sir Mortimer Durand a tracé, le 12 novembre 1893, la «ligne Durand» qui sépare l’Afghanistan de l’empire britannique. Ligne qui constitue une source de contentieux entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Des centaines de personnes étaient bloquées hier à un poste-frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, fermé depuis des affrontements qui ont fait au moins trois morts jeudi entre les forces de sécurité des deux pays, rapporte l’AFP. «La frontière reste fermée pour les passagers et les commerçants», a déclaré un responsable de la sécurité pakistanaise. «Une délégation de notables tribaux et de responsables religieux a été formée pour entamer des pourparlers avec les talibans», a-t-il ajouté.

Le poste-frontière de Chaman-Spin Boldak, qui relie la ville pakistanaise de Quetta (Ouest), à la localité afghane de Kandahar (Sud), a été fermé jeudi après des affrontements entre talibans afghans et forces pakistanaises. Au moins trois personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées. Chaque camp a rejeté sur l’autre la responsabilité de l’incident.

Les tensions frontalières se sont amplifiées depuis le retour au pouvoir des talibans en août dernier, le Pakistan soupçonne des groupes de militants antigouvernementaux de planifier des attaques depuis l’Afghanistan.

Les talibans nient héberger de tels groupes, mais sont hostiles à la construction en cours par Islamabad d’une clôture le long de la frontière entre les deux pays, tracée à l’époque coloniale et connue sous le nom de «ligne Durand». Des milliers de personnes traversent chaque jour le poste-frontière Chaman-Spin Boldak, des commerçants mais aussi des Afghans qui vont au Pakistan pour recevoir des soins médicaux ou rendre visite à des proches.

Le 6 février, cinq membres des forces pakistanaises ont été tués par des tirs venus d’Afghanistan, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, à la frontière entre les deux pays. L’attaque est revendiquée par le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), les talibans pakistanais.

Les talibans sont des groupes distincts en Afghanistan et au Pakistan, mais ils partagent une idéologie commune.

Constitué en 2007, le TTP est accusé d’être responsable de centaines d’attaques au Pakistan, dont le massacre, en 2014, de près de 150 enfants dans une école militaire de la ville de Peshawar, dans le nord-ouest du pays. Islamabad est passé à l’offensive, en 2015, en luttant contre le groupe et reprenant le contrôle des zones tribales, surtout à la frontière afghane. De nombreux membres du TTP avaient alors fui, notamment dans ce pays voisin.

Outre l’Afghanistan, à sa frontière ouest, le Pakistan possède trois autres voisins : l’Iran au Sud-Ouest, la Chine au Nord, et son rival l’Inde à l’Est.

Héritage de l'empire des Indes britannique

Le 12 novembre 1893, l’émir d’Afghanistan, Abdur Rahman Khan, et le diplomate britannique sir Mortimer Durand signent un accord sur le tracé d'une frontière pour séparer l’Inde britannique de son voisin. Cet accord engage les deux parties à ne pas exercer d’interférence au-delà de ladite limite de démarcation. Cette «ligne Durand» de 2670 km sépare jusque-là l’Afghanistan et le Pakistan, qui l’a héritée en 1947 après la partition des Indes. Elle demeure une source de conflit entre les deux pays.

Les Afghans, dont les différents gouvernements qui se sont succédé à ce jour, ne reconnaissent pas cette ligne qu’ils considèrent comme bordure d’un empire colonial. Cependant, pour le Pakistan, déjà en conflit avec l’Inde sur sa partie nord-est, au Cachemire, elle constitue la frontière internationale. Lorsque le Pakistan a obtenu son indépendance en 1947, l’Afghanistan a été le seul pays de l’Organisation des Nations unies (Onu) à voter contre sa reconnaissance, en bonne partie du fait du refus de Kaboul de reconnaître la ligne Durand. En 1949, une Loya Jirga («grand conseil»), institution traditionnelle afghane, rejette officiellement la légitimité de la ligne Durand.

Craignant les appels lancés par les Pachtounes des deux pays en faveur de la création d’un Etat national pachtoune, qui comprendrait une large partie du nord du Pakistan, Islamabad cherche depuis longtemps à faire de l’Afghanistan un allié qui lui sera utile en cas de conflit avec l’Inde.

Par l’intermédiaire de son service de renseignement, l’ISI, il a entretenu des rapports constants avec les talibans pour neutraliser le nationalisme pachtoune et joué un rôle important sur l’échiquier politique de son voisin.

En juin 1982, alors que l’Afghanistan est sous occupation soviétique, des pourparlers indirects sont lancés à Genève, sous l’égide des Nations unies, entre Islamabad et Kaboul. Ils se poursuivront périodiquement jusqu’aux accords de 1988.

Le Pakistan a formé et soutenu ceux qui allaient devenir les talibans avec la bénédiction de Washington pour contrer la présence soviétique en Afghanistan. En 1996, lorsque les talibans ont conquis le pouvoir pour la première fois à Kaboul, seuls le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis reconnaissent leur légitimité. Après le 11 septembre 2001, Washington change de vision.

Les talibans qui abritent Al Qaîda sont considérés ennemis. Les Etats-Unis chassent les talibans du pouvoir puis augmentent leur aide financière à Islamabad, en demandant, en échange, au pouvoir d’alors, celui du général Musharraf, de combattre l’islamisme.

Et c’est au Pakistan, à Abottabad, dans le nord du pays que Ben Laden a été retrouvé et neutralisé par les forces spéciales américaines en 2011. En 2013, le président afghan de l’époque, Hamid Karzaï, annonçait que «l’Afghanistan n’accepterait jamais la ligne Durand (…)». 

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