Depuis quelques années, de nombreux pays et leurs multinationales, utilisant la devise états-uniennes dans les transactions internationales, font face à l’extraterritorialité du droit américain. En effet, Washington se sert de plus en plus du dollar comme d'une «arme géopolitique» au profit de leur politique.
Les dirigeants des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se réunissent à partir d’aujourd’hui en sommet à Johannesburg en Afrique du Sud.
Cette rencontre qui s’étend jusqu’à jeudi, à pour thème : «Brics et Afrique : partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif».
A cette occasion seront examinées entre autres les questions de l’intégration de nouveaux membres dans le bloc et le projet de création d’une monnaie commune pour du moins atténuer l’hégémonie du dollar dans les échanges commerciaux et ses conséquences géopolitiques.
Au total, une cinquantaine de chefs d’Etat «amis des Brics» sont attendus, «démontrant l’influence et le poids de l’Afrique du Sud», a déclaré samedi Cyril Ramaphosa. Les chefs d'Etat du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, et de Chine, Xi Jinping, ont annoncé leur présence. L'Inde sera représentée par son Premier ministre, Narendra Modi, et la Russie par son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
Le président russe Vladimir Poutine, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) «pour crime de guerre» en Ukraine, participera finalement au sommet par visioconférence.
Prétoria a affirmé le mois dernier qu’une quarantaine de pays ont demandé leur adhésion ou manifesté leur intérêt pour rejoindre le groupe. L’Iran, l’Argentine, le Bangladesh et l’Arabie Saoudite font notamment partie des aspirants.
L’idée d’élargir l’organisation date de 2017, lorsque l’Empire du Milieu a présenté le projet des BRICS+ visant à en «faire la plate-forme la plus influente pour la coopération Sud-Sud dans le monde». La Chine cherche à étendre son influence vis-à-vis des Etats-Unis.
La Russie, sous le coup de sanctions depuis son intervention en Ukraine, a besoin d’alliés diplomatiques. Trois membres du groupe, à savoir la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, se sont abstenus lors du vote d’une résolution de l’Onu condamnant l’intervention de la Russie en Ukraine.
Pékin et New Delhi, notamment, ont des liens étroits avec Moscou et lui achètent des quantités croissantes de pétrole. La Chine refuse d’employer le mot «invasion» pour décrire l’offensive russe. Elle rejette l’essentiel de la responsabilité sur les Etats-Unis, accusés de pousser l’Otan à s’étendre toujours davantage vers la Russie.
Dans son discours par visioconférence, à l’ouverture du forum économique virtuel des Brics organisé en marge du sommet en juin 2022, le président chinois, Xi Jinping, a fustigé «l'élargissement des alliances militaires», responsable, selon lui, de la crise en Ukraine.
«L’humanité a connu les ravages de deux Guerres mondiales et le sombre brouillard de la confrontation de la guerre froide», a-t-il déclaré. «Cette histoire douloureuse montre que la confrontation entre blocs hégémoniques (...) n'apportera pas la paix et la sécurité, mais seulement la guerre et les conflits», a-t-il soutenu.
Et d’ajouter : «La crise en Ukraine est un autre signal d’alarme pour le monde : la foi aveugle dans la position de force, l’élargissement des alliances militaires et la recherche de sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres pays débouchent immanquablement sur une impasse sécuritaire.»
Allusion aux Etats-Unis et à l’Otan qui a accueilli des demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède. Comme il s’est encore montré hostile aux sanctions prises par les Occidentaux contre la Russie, mesures qualifiées d’«un boomerang et une arme à double tranchant».
L’Afrique du Sud a refusé de condamner l’opération militaire russe, afin de préserver ses importants liens économiques avec la Russie. La Nation arc- en- ciel a accueilli en février des exercices navals avec la Russie et la Chine au large de ses côtes, suscitant l’inquiétude des grandes puissances occidentales.
Les liens entre l’Afrique du Sud et la Russie remontent à l’époque de l’apartheid : Moscou a apporté son soutien au Congrès national africain (ANC), le parti de Nelson Mandela dans la lutte contre le régime apartheid.
Le mois dernier, le président Ramaphosa a emmené pour la première fois une délégation de chefs d’Etat africains (Afrique du Sud, Sénégal, République démocratique du Congo, Egypte, Ouganda) en Ukraine, puis en Russie pour tenter d’aller vers la paix entre Kiev et Moscou.
Une manifestation antirusse à l’appel de l’ONG Amnesty International et d’une association ukrainienne locale est prévue dans la matinée d’aujourd’hui à Johannesburg. Les organisateurs enjoignent les dirigeants au sommet d’ «exiger des autorités russes la fin de l’agression contre l’Ukraine».
Une alternative au monde unipolaire occiddental
Créé en 2009, le bloc qui produit un quart de la richesse mondiale, se réunit une fois par an lors d’un sommet hébergé à tour de rôle par l’un des cinq pays membres. L’objectif de ces sommets est d’affirmer la place de ces économies en particulier au regard des Etats-Unis ou de l’Union européenne (UE).
Il aspire à la reconnaissance d’un équilibre économique et politique mondial multipolaire, en rupture avec les organisations héritées de l’après-Seconde Guerre mondiale, comme la Banque mondiale et le FMI, et le système unipolaire moniale imposé par l’Occident, notamment les Etats-Unis.
«Le système traditionnel de gouvernance mondiale est devenu dysfonctionnel, déficient et inopérant», a déclaré vendredi à la presse l’ambassadeur de Chine à Pretoria, Chen Xiaodong, assurant que «les Brics deviennent une force de plus en plus solide». Les Brics ont créé une nouvelle banque de développement (NDB) dont l’ambition est d’offrir une alternative à la Banque mondiale et au FMI.
La structure, dont le siège est à Shanghai, a investi 30 milliards de dollars depuis sa création en 2015, dans des projets d’infrastructure et de développement durable dans les Etats membres et les économies en développement. Les cinq pays représentent 18% du commerce international où les transactions se font dans leur majorité en dollars.
Une de leurs préoccupations consiste à trouver les moyens idoines pour s’affranchir du billet vert. Sachant que depuis quelques années, nombreux pays et leurs multinationales, utilisant la devise états-unienne dans les transactions internationales, font face à l’extraterritorialité du droit américain.
En effet, Washington se sert de plus en plus du dollar comme une «arme géopolitique» au profit de leur politique. Ainsi, les États-Unis ont contraint des pays à respecter une loi votée en 2017 au Congrès américain «Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act», qui renforce les sanctions déjà existantes contre l’Iran, la Corée du Nord et la Russie.
Pour se protéger contre ce «chantage» aux conséquences fâcheuses, les pays membres des Brics ont pris des initiatives pour utiliser leurs monnaies dans leurs transactions commerciales. En 2018, la Russie a signé un accord avec l’Inde pour utiliser leurs devises nationales dans les transactions bilatérales, contournant ainsi le dollar américain.
La même année, l’Inde et l’Iran ont se sont entendus pour utiliser des devises autres que le dollar américain dans leurs échanges commerciaux, afin de maintenir leur commerce malgré les sanctions américaines contre Téhéran.
L’année suivante la Russie et l’Iran s’accordent pour utiliser leurs monnaies nationales dans les transactions commerciales, en contournant les sanctions américaines contre Téhéran. Le premier accord signé en ce sens les deux pays date de 2014.
En 2019, la Russie et la Turquie se sont arrangées pour utiliser leurs monnaies nationales, le rouble russe et la livre turque. Début janvier l’Inde et les Émirats arabes unis ont engagé des négociations visant à se passer du dollar dans le cadre de leurs échanges non-pétroliers et à privilégier, à la place, la devise indienne, la roupie.
En avril l’Argentine a annoncé qu’elle compte désormais payer ses importations chinoises en yuan plutôt qu’en dollars, à l’instar de l’autre géant sud-américain, le Brésil, qui a pris une décision similaire fin mars.
Lors de sa visite en Chine en avril, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva s’est dit prêt à augmenter ses échanges avec la Chine réalisés désormais en yuan. En outre, la Chine a aussi conclu des accords commerciaux avec le Venezuela, l’Iran, l’Inde et la Russie, quant à l’utilisation du yuan au lieu du dollar dans ses transactions avec ces pays.
Le président Xi Jinping a participé en décembre à un sommet avec les six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à savoir l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Qatar et Oman pour négocier la question de régler en yuan ses importations de pétrole et du gaz.
En février, les autorités irakiennes à autoriser l’usage des yuans dans leurs échanges commerciaux avec la Chine. Début juin, l’Egypte a annoncé, son souhait d’abandonner le dollar dans ses échanges commerciaux avec les pays membres des BRICS.
En avril, lors de l'intronisation de Mme Dilma Rousseff à la tête de la NDB, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva a déclaré : «Chaque nuit, je me demande pourquoi tous les pays seraient obligés de réaliser leurs échanges en se basant sur le dollar ?» «La dédollarisation a commencé», a soutenu un mois plus tard le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov.
Discours qui se renforce avec le projet de création d’une monnaie commune. Par ailleurs, les Brics ont annoncé le mois dernier leur volonté de créer leur propre classement international des universités, lors d’un sommet des ministres de l’Education en Afrique du Sud. Moscou estime que les universités russes sont exclues de certains classements internationaux pour des raisons politiques.