Le nouvel impératif de l'OMC est de faire en sorte que le commerce reste ancré dans des règles mutuellement convenues tout en favorisant une croissance durable, inclusive et équitable.
Née le janvier 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a marqué la plus grande réforme du commerce international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors que le GATT régissait principalement le commerce des marchandises, l'OMC s’est chargée de s’occuper aussi du commerce des services et la propriété intellectuelle.
L’OMC qui régit aujourd’hui les règles du commerce mondial, forte de ses 160 membres qui représentent 98% du commerce mondial, est à la croisée des chemins. Les risques géopolitiques et les tiraillements au sein même de l’OMC entre les puissants de ce monde, à l’instar des Etats-Unis et de la Chine, rendent l’avenir incertain pour cette organisation internationale.
Et ce ne sont pas uniquement les détracteurs de l’organisation qui, dit-on, ont toujours tendance à noircir les tableaux, mais c’est au sein même des instances dirigeantes de l’OMC que des voix appellent à des mesures qui permettraient à l’organisation de s’adapter pour relever les défis et exploiter les possibilités du XXIe siècle.
Anabel Gonzàlez est DGA au sein de l’OMC à Genève. Après deux année passées au sein de l’organisation qu’elle s’apprête à quitter, elle considère, dans une longue réflexion sur l’avenir du commerce multilatéral, qu’il n'est pas aisé d'être une organisation internationale dans le monde d'aujourd'hui, et encore moins d'être une organisation axée sur la coopération économique internationale. «L'idée que l'interdépendance économique favorise la paix et la prospérité, qui était une idée maîtresse de l'architecture économique de l'après-guerre, est remise en question.
La crise financière mondiale de 2007-2008, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont alimenté le sentiment que l'ouverture commerciale pouvait créer des vulnérabilités liées à la spécialisation des échanges et, partant, que les pays s'en sortiraient mieux en renonçant aux chaînes d'approvisionnement mondiales et en produisant ce dont ils avaient besoin sur leur territoire ou à proximité» a-t-elle indiquée.
Anabel Gonzalz ajoute que «ce n'est pas un secret qu'il n'existe pas de baguette magique permettant d'obtenir rapidement des succès dans tous les domaines, mais ma compréhension des rouages de l'organisation me permet de conclure que l'OMC est déjà en train de s'adapter pour relever les défis et exploiter les possibilités du XXIe siècle.»
La DGA au sein de l’OMC pour qui le «nouvel impératif de l'OMC» est de faire en sorte que «le commerce reste ancré dans des règles mutuellement convenues tout en favorisant une croissance durable, inclusive et équitable».
Elle estime que «le parcours sera toujours semé d'embûches, mais l'avenir réside dans l'évolution graduelle, et non dans la révolution. Les outils nécessaires à cette transformation font déjà leur apparition et sont mis à profit, peu à peu».
Tensions géopolitiques aiguës
Démontant les accusations émises à l’encontre de l’OMC, notamment à propos des ruptures des chaînes d’approvisionnement, comme celles vécues lors de la crise sanitaire du Covid, Anabel Gonzàlez constate que les données montrent, d’après elle, qu’après les premières perturbations, «les approvisionnements étrangers ont été déterminants dans l'accès aux produits médicaux essentiels lors de la crise sanitaire et ont également aidé les pays les plus exposés à la guerre en Ukraine à trouver d'autres sources ou à se tourner vers d'autres produits.
En outre, dans un revirement majeur, impensable il y a seulement quelques années, les coûts du transport et les indices relatifs aux activités manufacturières sont dans une large mesure revenus à la normale, ce qui indique que le principal facteur de tension dans les chaînes d'approvisionnement était la hausse soudaine de la demande de biens de consommation durables provoquée par la pandémie et non de profonds défauts structurels dans les réseaux de production mondiaux.»
Et ajouter que si les perturbations des chaînes d'approvisionnement ont été résolues, des tensions géopolitiques aiguës continuent de nuire à la coopération commerciale».
Les préoccupations concernant les vulnérabilités commerciales découlant de perturbations telles que les épidémies ou les catastrophes naturelles ont laissé place à des accusations selon lesquelles les interdépendances commerciales sont utilisées comme des armes par des gouvernements étrangers.
Les subventions et d'autres instruments de politique industrielle ayant des effets de distorsion des échanges, qui sont parfois mis en place au nom de la sécurité nationale, ont fait leur retour, donnant lieu à une plus grande incertitude politique, à un mépris potentiel des règles commerciales mondiales et à une réduction des possibilités en matière de commerce et d'investissement, en particulier pour les pays les plus pauvres qui demeurent en marge de l'économie mondiale.
Dans le contexte de cette politique des grands acteurs, de nombreux pays en développement et pays les moins avancés préfèrent ne pas prendre parti et continuent de chercher des façons de tirer parti du système commercial pour mieux s'intégrer dans les marchés mondiaux, selon ses dires.
Et malgré le travail remarquable accompli, surtout en coulisses, il est indéniable que les gouvernements seront confrontés à des choix difficiles dans les mois et les années à venir pour régler des questions urgentes estime la DGA de l’OMC, pour qui en l'absence de solutions, ces questions pourraient constituer une menace sérieuse pour le système commercial multilatéral et nuire au commerce en tant que moteur de la croissance et de la prospérité.
Outre le règlement des différends, Anabel Gonzàlez trouve essentiel de lutter contre les retombées négatives de la multiplication des subventions et le recours accru à l'exception concernant la sécurité nationale pour justifier les mesures commerciales.
Il est également fondamental d'examiner l'utilisation de diverses approches concernant les mesures commerciales visant à lutter contre le changement climatique, selon ses dires.
Enfin, Il y a lieu de gérer l'augmentation des responsabilités assumées par les principaux marchés émergents dans le système commercial multilatéral et de redoubler d'efforts pour «mieux intégrer ceux qui sont actuellement laissés à l'écart des bénéfices du commerce».
Dans ce contexte, il serait dans l'intérêt des membres que le secrétariat de l'OMC offre davantage de suivi et de transparence, a-t-elle conclu.