Les deux gouvernements n’ont pas eu d’échanges de haut niveau depuis le déclenchement de la guerre à Ghaza, selon l’hebdomadaire cairote Al Ahram, qui ajoute que les seuls contacts se limitent à ceux qu’entretiennent les services de renseignement des deux parties dans le cadre des négociations multipartites autour du conflit.
Difficile pour l’Egypte de s’en tirer sans dégâts de la guerre à Ghaza, malgré ses efforts diplomatiques, ses compromis et un certain profil bas qui peut à terme lui coûter des remous politiques sur le plan interne. Depuis près de cinq mois, le président Abdelfattah Al Sissi et ses proches collaborateurs se vouent exclusivement à prévenir les conséquences militaires du conflit sur la frontière égyptienne nord-est et le spectre d’un déversement massif de centaines de milliers de réfugiés palestiniens condamnés à mort par la machine de guerre israélienne, sur la région sensible du Sinaï.
L’objectif obsessionnel de Benyamin Netanyahu d’«anéantir» le Hamas et d’arracher une victoire militaire, suffisamment retentissante pour faire oublier l’enlisement de sa campagne à Ghaza, accule plus que jamais Le Caire. Depuis deux jours, et pour la première fois depuis fort longtemps, les forces armées égyptiennes ont dépêché des troupes blindées et des batteries de défense aérienne à l’extrême est du Sinaï, non loin de Rafah où Israël compte mener une offensive d’envergure.
Si le discours officiel des autorités égyptiennes reste dominé par la réserve, sur les réseaux sociaux et dans la rue égyptienne, le ton s’enflamme franchement pour une tolérance zéro à tout débordement israélien. D’anciens diplomates et des politiques égyptiens appellent pour leur part à la remise en cause du traité militaire avec Tel-Aviv sur la bande frontière : un pendant technique des accords de paix signés en 1978 à Camp David, limitant le nombre des troupes et l’armement toléré en stationnement dans la zone.
D’autres revendiquent clairement la rupture des relations avec l’Etat hébreu et le rétablissement d’une ligne diplomatique dure. En face, le gouvernement israélien ne fait rien pour rassurer son partenaire historique et lui éviter cette montée en puissance de la contestation interne. Bien plus, les déclarations de ses ministres accentuent la pression et participent à détériorer des relations qui ne tiennent plus que grâce à la capacité d’encaisser des autorités égyptiennes.
Le Caire malmené par son «partenaire de paix»
Après les insinuations sournoises instillées par Benyamin Netanyahu il y a près d’un mois sur l’incapacité présumée du Caire à contrôler ses frontières avec Ghaza, sur le fameux «axe Philadelphia» notamment, et la nécessité d’une présence israélienne dissuasive dans le périmètre, son ministre des Finances et non moins leader d’un parti d’extrême droite, Benzalel Smotrich, endosse à l’Egypte une responsabilité «considérable» dans les attaques menées par les Brigades d’El Aqsa, le 7 octobre dernier.
Les déclarations faites il y a trois jours, au cœur de la tension générée par les nouveaux plans de guerre israéliens à Rafah, ont fait vivement réagir sur les rives du Nil. Les propos «ne font que révéler un appétit vorace pour le meurtre et la destruction, et le sabotage de toute tentative visant à contenir la crise dans la Bande de Ghaza», a répondu le ministère égyptien des Affaires étrangères.
Le président américain pour sa part aggrave l’embarras du Caire en déclarant dans le même contexte avoir «convaincu» Al Sissi d’ouvrir le passage de Rafah pour les aides, alors que ce dernier y était fermement opposé. Chose que Le Caire a tenu une nouvelle fois à démentir. Plus globalement, contre vents et marées, l’Egypte assume de rester fidèle à la lettre des accords de paix avec son partenaire hébreu, malgré les écarts constants de ce dernier, tout en déclarant se préparer à «tous les scénarios».
Le chef de sa diplomatie, Sameh Shoukry, vient de souligner «la solidité des accords bâtis sur quatre décennies de respect mutuel». Mais La réalité est que les deux gouvernements n’ont pas eu d’échanges de haut niveau depuis le déclenchement de la guerre à Ghaza, selon l’hebdomadaire cairote Al Ahram, qui ajoute que les seuls contacts se limitent à ceux qu’entretiennent les services de renseignements des deux parties dans le cadre des négociations multipartites autour du conflit.
Chantage économique et militaire
Il est clair que le pays des Pharaons est prêt à tout pour éviter un nouveau conflit ouvert avec son voisin et ennemi intime, qui viendrait aggraver une situation économique et sociale désastreuse (surendettement et inflation) et compromettrait la viabilité des ressources qu’octroient les Etats- Unis annuellement sous forme d’aides.
L’Egypte serait le deuxième pays, après Israël, à profiter de la «générosité» financière de Washington. La perspective de disposer d’une ressource énergétique décisive, via l’exploitation commune (avec l’Etat hébreu et l’Autorité palestinienne) d’un important champ gazier découvert au large de Ghaza, impose par ailleurs aux autorités égyptiennes de réfléchir à plusieurs fois avant d’envisager des prises de positions hostiles à Tel-Aviv.
Mais pas au point de ne pas s’effrayer (et de le faire savoir surtout), devant la menace d’un déplacement massif des populations palestiniennes vers le territoire égyptien.
Depuis le début des hostilités en octobre dernier, Al Sissi n’a pas raté une occasion pour signifier son refus de cautionner une «liquidation de la cause palestinienne» par la mise en œuvre d’une deuxième Nakba, soit l’évacuation par la force des populations ; la proximité géographique avec la Bande de Ghaza, portion enserrée dans un territoire spolié et rendu hostile par l’occupation, fait du triangle péninsulaire du Sinaï la seule destination possible en cas d’exode pour la survie.
La droite religieuse israélienne, celle justement qui fait le noyau actif et acharné du gouvernement Netanyahu dans le contexte, relance ouvertement le vieux fantasme messianique d’un Ghaza débarrassé des Palestiniens et offert aux armées de colons israéliens. Sans avoir été officiellement endossée par une quelconque autorité à Tel-Aviv, Washington ou Le Caire, un «plan» prévoyant le déplacement des populations aurait été sérieusement envisagé lors des premières semaines du conflit.
Selon les échos fuités, le plan prévoyait des financements conséquents pour le pays d’accueil, sauf que Le Caire a dû opposer une formelle fin de non-recevoir.
Les nombreux avertissements du président égyptien quant aux conséquences humanitaires et sécuritaires de l’exode massif, et ses efforts diplomatiques en direction des représentants européens notamment pour les sensibiliser, disent quelque part que «la proposition» a dû réellement être faite à l’Egypte.
Le Caire est hanté plus que tout par le danger d’un Sinaï recueillant l’assise populaire de la résistance palestinienne et son potentiel de développement en tissant des liens de solidarité avec des composantes importantes de la société politique égyptienne qui, 40 ans après, n’ont pas digéré Camp David.