Blocage par le conseil des tribus depuis vendredi dernier des sources d’eau de Tazerbou et de Sérir au Sud-Est libyen et des gisements de pétrole de la région, suite à l’arrestation à Tripoli de Faraj Boumtari, pressenti prochain gouverneur de la Banque centrale.
Interdiction de voyage de certains membres du Conseil de l’Etat. Inquiétude et appel à l’ordre de la délégation de l’ONU, soucieuse quant aux revenus des Libyens. Spectroscopie d’une crise de gouvernance d’un pays en chaos.
Énième retour à la case blocage de l’eau et du pétrole par les milices ou les tribus en Libye durant les années suivant la chute d’El Gueddafi en 2011. Aucun gouvernement, élu ou désigné, n’est parvenu à disposer d’une autorité totale sur le pays et ses richesses. C’est une nouvelle fois le kidnapping d’une personnalité en lien avec les tiraillements politiques et la partition des richesses.
Cette fois, il s’agit de Faraj Boumtari, l’ex-ministre des Finances sous Al Sarraj et le potentiel suppléant de Seddik El Kebir à la tête de la Banque centrale libyenne (BCL), qui a été retenu depuis jeudi dernier par la brigade dominant l’aéroport de Tripoli.
Et comme Boumtari est issu de la tribu Zwaya, au Sud-Est libyen, sa tribu et sa région ont vite condamné le «rapt», accusé l’actuel gouverneur de la BCL d’être derrière l’opération et menacé de fermer les gisements de pétrole et les sources d’eau s’il n’est pas relâché dans les 24 heures.
Boumtari avait déjà contacté le procureur général de Libye et il est sûr de l’absence de toute poursuite judiciaire à son encontre, information confirmée de source judiciaire.
La non-libération de Boumtari a poussé le conseil des notables et tribus du Sud-Est libyen à fermer, à partir de vendredi 14 juillet, les sources d’eau de Tazerbou et de Sérir ainsi que les gisements de pétrole de la région.
Les divers communiqués de la tribu Zwaya et du conseil des tribus du Sud-Est libyen ont accusé nominativement le gouverneur de la BCL, Seddik El Kebir, d’être derrière l’arrestation de Boumtari.
Pour Senoussi Lahlig, le président du conseil social de la tribu, «Abderraouf Kara, le chef de la brigade dominant l’aéroport, n’a fait qu’exécuter un deal avec El Kebir en contrepartie d’autorisations d’importation, comme le font régulièrement toutes les milices de Tripoli».
Lahlig demande de traduire El Kebir devant la justice pour les «divers crimes commis contre les Libyens durant la dernière décennie». Il met le gouvernement Dbeiba devant ses responsabilités et le considère en charge de la sécurité de Boumtari.
Aucun commentaire officiel n’est venu de la part du gouvernement. C’est plutôt la délégation spéciale de l’ONU qui a publié un communiqué exigeant «la libération des personnes arrêtées arbitrairement et la levée d’interdiction de voyager concernant certains membres du Conseil de l’Etat».
L’aéroport de Myitiga à Tripoli a vu ces derniers jours la police des frontières interdire à certaines personnalités politiques de quitter le territoire. Il s’agit surtout de membres du Conseil de l’Etat, qui vient de valider les amendements constitutionnels concernant les prochaines élections.
Dessous
Les dernières années ont prouvé qu’en Libye, la quasi-totalité des institutions agit selon le bon vouloir des hommes forts de chaque région. Cela concerne aussi bien la sécurité que la justice et les instances électorales, d’où l’impossibilité de tenir des élections libres et transparentes.
C’est également valable pour les autorisations d’importation, le contrôle des frontières, les nominations dans les postes de responsabilité, etc.
«Tout cela fait partie d’une équation complexe de partition d’un gâteau entre les trois grandes régions libyennes ou leurs supposés représentants, la Tripolitaine à l’Ouest, la Cyrénaïque à l’Est et Fezzan au Sud», explique le juge Jamel Bennour.
Il précise que «s’il est vrai que tous les Libyens reçoivent des miettes via les salaires étatiques, dont la moyenne ne dépasse pas les 1000 dinars libyens (DL), soit moins de 200 dollars, les grosses sommes vont dans les poches des multinationales étrangères qui laissent des miettes aux politiques et aux milices».
Chaque intervenant essaie de préserver ses intérêts dans sa chasse gardée, ajoute le juge en attirant l’attention sur le fait que «les ennemis d’hier, le Parlement de Salah Aguila et Haftar contre le Conseil de l’Etat des Frères musulmans, sont devenus des amis aujourd’hui, puisque leurs intérêts se rejoignent en s’opposant au gouvernement de Dbeiba et traçant conjointement le contour constitutionnel des prochaines élections».
Par ailleurs, «tous les protagonistes libyens, y compris le gouvernement Dbeiba, ainsi que les puissances étrangères ne sont pas très chauds à l’idée de tenir des élections qui risquent de perturber l’ordre existant», selon le politologue Ezzeddine Aguil. Concernant le dernier incident de l’enlèvement de Boumtari, le politologue pense que «c’est juste un détail d’intérêts minimes lorsque l’équilibre global exige de changer un responsable, Seddik El Kebir en l’occurrence. De pareilles perturbations ont eu lieu suite au changement, il y a deux années, de Mustapha Sanaallah à la tête de l’entreprise libyenne de pétrole, mais c’était nécessaire».
Le politologue affirme que «la situation libyenne est très complexe et qu’il ne sera guère facile de la rétablir sans un véritable chambardement qui chasse l’actuelle classe politique».