Des spécialistes estiment que la presse algérienne, écrite et audiovisuelle, sera appelée à disparaître si elle ne parvient pas à s’adapter aux nombreux créateurs de flots de contenus.
Face au défi de la numérisation qui a touché tous les secteurs et le développement rapide de l’intelligence artificielle, il devient évident pour la presse algérienne qu’elle doit se frayer un chemin, en s’adaptant aux évolutions et besoins de la société, déjà rassasiée en divers contenus par les réseaux sociaux et les supports de l’IA. De ce fait, et restant en marge de toutes ces révolutions, la presse, de manière générale, signera la décision de sa condamnation ou de sa disparition, en cédant la place aux «créateurs de contenus».
Dans cette perspective des défis auxquels fait face la presse algérienne, un colloque international, marqué par une forte participation de spécialistes et de chercheurs, a été organisé, hier, à l’université Salah Boubnider Constantine 3, avec pour intitulé «Les nouveaux médias et les transformations audiovisuelles dans le monde, réalité et défis».
Son objectif est de mettre la lumière sur la problématique des nouveaux médias dans le secteur de la recherche et sur terrain dans le domaine de la presse. «Le but est d’étudier comment ces nouveaux médias s’intègrent avec la presse classique, en particulier le volet de l’audiovisuel. La rencontre vise à cerner toutes les problématiques dans un cadre académique et dans le milieu professionnel concernant les lois de la presse et la déontologie, tout en profitant de l’expérience étrangère dans le monde arabe, avec la participation des professionnels et chercheurs de Tunisie, du Liban, de Jordanie, du Qatar et d’Egypte», a déclaré, à El Watan, Mohammed Messahel, président du colloque.
De nombreux participants ont estimé que la presse est désormais concurrencée, voire menacée par la prolifération des nouveaux médias, faisant face à de nombreuses difficultés. Notons à titre d’exemple les chaînes de télévision qui se trouvent «en danger avec la diversité et la propagation des différents contenus audiovisuels».
«Dans la conception du mot télévision, il faut faire la différence entre l’appareil, l’équipement, le programme audiovisuel et la télévision comme entreprise. Si l’avenir de l’appareil est bien défendu par les grands industriels, pour le programme il reste encore une marge de manœuvre. Beaucoup de personnes travaillent pour le contenu, et une certaine forme de la production audiovisuelle était réservée uniquement à la télévision.
Aujourd’hui, chacun peut être producteur de contenus par un Smartphone», a déclaré à El Watan le Pr Nassim Bouguettaya, ancien journaliste et enseignant à l’Ecole supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger (ENSJSI).
La télévision personnalisée
Mais le problème ne se limite pas à la production. Pr Bouguettaya souligne qu’à une époque donnée et en dépit de l’accès à la caméra, la diffusion n’était pas permise pour tout le monde. A présent, il y a cette levée de monopole et la télévision est concurrencée dans sa zone de confort. N’importe qui peut devenir diffuseur, émetteur de contenu audiovisuel.
De surcroît, au foisonnement des chaînes, ajoute notre interlocuteur, s’ajoutent des plateformes numériques, proposant le même contenu à l’heure qu’on veut et là où on veut. La consommation de l’audiovisuel n’est plus liée à l’espace et au temps.
Le professeur Bouguettaya estime qu’on est passé à l’ère de la télévision personnalisée. «La chaîne de télévision est victime de ce développement où il y avait des recrutements des compétences réservées à des professionnels. Maintenant, il y a des robots capables de générer des vidéos, mettre du son, mettre des commentaires et autres.
Il y a une solution facile pour résister, mais elle est compliquée à mettre en place. Il faut tout simplement humaniser, allant vers des contenus originaux qui ne sont pas faits par des robots ou du copier-coller. Ces contenus humains doivent respecter le minimum de la dignité humaine et des valeurs universelles. Si on ne va pas s’orienter vers cela, la télévision va disparaître, laissant la place pour des diffuseurs de tout bord et le débordement peut mal tourner à tout moment», a-t-il avisé.
Le même sort est réservé à la presse écrite, avec la création des IA faisant du journalisme sans plagiat. Dans la presse internationale, indique Nassim Bouguettaya, il existe aujourd’hui le rewriting. Des centaines de dépêches peuvent être rassemblées et synthétisées pour faire un seul article par un «supercalculateur».
«La chaîne de télévision Al Jazeera possède maintenant un journaliste robot qui s’appelle Ibtikar. Ce dernier ne prend pas de congé, ne se fatigue pas, ne se plaint pas et peut travailler en H24. Mais il ne faut pas avoir cette logique pessimiste. Nous sommes devant de nouveaux défis où on doit se demander que faut-il faire en tant qu’humains. Il est question d’autres perspectives, où chacun va mériter sa place ; sinon, c’est le robot qui la prendra.»