Le groupe Iwal - qui peut être traduit par L’infini espoir - , composé de Fayçal et Nesrine, couple dans la vie comme dans la scène, sortira cette semaine son premier album intitulé Hamghart. Sur des rythmes folk, acoustiques ou rock, accompagnés d’harmonica, de bendir et de gasba, ils proposent un voyage dans un univers empreint de contes, d’adages et de légendes. D’apparence légères, les chansons contenues dans ce nouvel album sont marquées par une démarche militante et un désir de mettre en valeur le patrimoine chaoui. Interview.
- Comment êtes-vous venus à la musique ?
Fayçal : Pour ma part, j’ai commencé à m’intéresser à la musique très tôt. J’ai été un habitué de l’événement annuel de la fête de l’automne (appelée également Souk aïd el Kharif). C’est sans doute ce qui m’a donné envie de faire de la musique. Il faut savoir qu’avant de monter sur la scène, nous avons profondément et sincèrement aimé la musique.
Nesrine : Notre première scène a eu lieu au retour de la chanteuse Dihya en 2014, elle qui n’avait pas foulé la scène aurésiene depuis des années. Beaucoup d’artistes chaouis étaient venus lui rendre hommage lors d’un grand concert.
Aussi, des associations nous ont invités, nous proposant d’y faire un petit passage. Une fois sur place, lorsqu’on a vu le monde qu’il y avait, que ce soit parmi les chanteurs ou les spectateurs, nous avons choisi de ne pas monter sur scène, préférant rester dans les coulisses où nous avons fait la rencontre de feu Messaoud Nedjahi, l’époux de Dihya. Nous lui avons raconté notre histoire et c’est lui qui a tenu à ce que l’on monte sur scène (en tant que Fayçal et Nesrine, car Iwal n’existait pas encore). Ce soir là, nous sommes montés juste avant Dihya avec Messaoud Nedjahi qui faisait les chœurs devant une salle archicomble. Aujourd’hui encore, en revoyant la vidéo sur Youtube, on y voit de la timidité, le manque d’expérience : moi la main dans la poche et Fayçal avec un micro baissé. Cela a pourtant fait une belle impression sur le public et cela nous a procuré un tel plaisir que nous avons décidé de poursuivre dans cette voie.
- Vous avez construit un univers autour de contes, de légendes, du retour aux racines. Comment cela a-t-il émergé ?
Nesrine : Avant de commencer la musique, nous étions férus d’Histoire et de culture populaire. Lorsque j’ai découvert les Aurès, j’ai été frappée par sa magie faite de mythes. Là-bas, les paysages, l’Histoire et la mythologie nous font entrer dans un monde à part. Cela donne à ressentir les origines. Le fait est également que nous ayons beaucoup travaillé avec Messaoud Nedjahi, qui est aussi chercheur et écrivain, nous a beaucoup appris sur les mythes nord-africains. Notre société est de tradition orale, il y a peu de traces écrites ou enregistrées de notre patrimoine. On essaie de faire ce travail à notre manière, à travers la musique pour mettre en valeur ce patrimoine.
Fayçal : J’ai toujours vu cela comme des richesses enfouies qui méritent d’être mises en lumière et partagées. Les Aurès sont un vaste territoire ayant une diversité inouïe. Entre Khenchla, Oum El Bouaghi, Batna et Biskra, les histoires et les traditions sont différentes. Lors des fêtes de mariage, les chansons racontent des histoires diverses, à l’instar d’Aissa Djermouni et d’El Ayache qui narrent les souffrances d’antan. Tout cela est resté dans l’ombre. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2019 que l’Institut de musique de Batna a pris le nom d’Aissa Djermouni.
- La musique peut-elle être un vecteur de transmission de ce patrimoine ?
Fayçal : Le premier langage partagé dans le monde entier reste la musique. Nous avons chanté dans des régions qui ne comprennent pas le chaoui, mais l’énergie dégagée lors des spectacles a permis de faire passer le message. Lorsque je parle aux gens pour savoir ce qu’ils ont ressenti, il s’avère que c’est exactement ce qui est déclamé dans les chansons. La musique est un moyen d’expression très puissant.
Nesrine : Cela reste le meilleur vecteur des émotions et des ressentis. Nous aimons beaucoup le live car il nous permet de partager nos émotions. Les paroles parfois non comprises sont traduites en danses et en gestuelles. L’on essaye de dégager une certaine énergie que le public va recevoir et comprendre à son tour et qu’il nous rend bien.
- N’y a-t-il pas aussi de la part du public une quête ou une volonté de retourner vers les racines ?
Fayçal : Le public est demandeur d’authenticité. Il est vrai que nous jouons une musique plutôt moderne, mais nous veillons à y ajouter des instruments traditionnels. On essaye toujours de ramener la mélodie à son origine. Cela revient à ce que je disais par rapport aux trésors enfouis, c’est aussi parce que l’on n’est pas allés le chercher, qu’il a été mal médiatisés ou que l’on n’a pas sur quel élément mettre la lumière. Nous avons un patrimoine, matériel et immatériel, très riche que nous devons exploiter et mettre en valeur. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons prendre notre place dans le monde et de nous affirmer en tant que peuple.
Nesrine : Il est vrai qu’il y a de la recherche de soi. J’imagine que l’enthousiasme du public (il faudrait sans doute leur poser la question) est lié au fait que c’est une nouvelle manière d’exprimer son identité. Nous sommes venus avec un nouveau style neuf et un regard nouveau. Nous n’avons pas de discours carrés, on vit notre culture et notre identité tout simplement. Nous croyons fermement que nous ne pourrons pas aspirer à un avenir meilleur sans connaître son passé.
- Il y a également ce rapport à la nature et l’attachement à la terre qui est très présent dans les textes de vos chansons. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Fayçal : Il faut savoir que nous vivons dans la région des Aurès en pleine nature, loin du bruit de la ville. Le contact avec la nature nous inspire forcément…
Nesrine : Il y a aussi le fait que l’on croit que l’homme doit renouer avec la terre pour assurer son avenir. Les maux de la terre émanent de l’être humain. Si l’on respecte la terre, elle va nous redonner la vie. Nos ancêtres ont vécu en harmonie avec la nature et elle le leur rendait bien puisque notre pays était le grenier de l’Europe. Aujourd’hui, ces choses, d’une importance capitale, ont été abandonnées
Digression publique : «Nous avons fait les arrangement en fonction des réactions du public. Quand il s’impose, ne serait-ce qu’avec un applaudissement, il change l’idée de l’arrangement des chansons.»
- Hamghart , pourquoi ce titre ?
Fayçal et Nesrine : Cela signifie l’authenticité, la sagesse, l’Histoire, la terre, la mère... C’est la vieille à laquelle nous adressons nos interrogations. L’histoire de l’album a été imaginée de la manière suivante : dans le premier titre Hamghart, nous posons des questions : ô vieille, dis-nous, raconte-nous ce qui se passe. Elle ne répondra pas dans cette chanson, mais chaque titre de l’album est une réponse à nos questionnements ou une expérience vécue de Hamghart pour que nous puissions nous en inspirer. A la sortie de l’album, il y aura un livret qui racontera l’histoire de la vieille. Le mal que nous vivons n’est pas différent de celui qu’elle a subi dans son monde. Les questions sont métaphoriques : «Pourquoi le milan a-t-il quitté les montagnes des Aurès ?». Chacun pourra en faire sa propre interprétation.
- Vous pensez le groupe Iwal comme un projet de société, cela veut dire quoi, concrètement ?
Fayçal : Oui, nous considérons qu’Iwal n’est pas seulement un groupe de musique mais un «projet de société». Si on investit dans la culture, le peuple s’élèvera l’esprit, s’aimera et se considérera et aimera la vie.
Nesrine : Iwal est un état d’esprit, représentant tous ceux qui ont de l’espoir dans la vie et qui veulent faire quelque chose pour changer la situation.
Nesrine et Fayçal et groupe Iwal
Propos recueillis par Amel Blidi