Négociations sur une trêve de longue durée à Ghaza : Les nouveaux calculs de Washington

02/05/2024 mis à jour: 01:39
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Anthony Blinken, Secrétaire d'Etat américain - Photo : D. R.

Washington pense qu’un accord arraché aujourd’hui est susceptible de calmer significativement le front houthi et limiter ses effets en mer Rouge, désamorcer l’engrenage d’une confrontation ouverte au Sud Liban avec le Hezbollah et enlèverait à Benyamin Netanyahu tout prétexte de maintenir l’option d’une offensive militaire à Rafah.

Depuis plusieurs jours, Washington revendique de nouveau le rôle de l’acteur engagé à rompre l’engrenage de la guerre à Ghaza, en endossant, plus que d’habitude cette fois, son statut de protagoniste. Anthony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, est de nouveau en tournée dans la région du Moyen-Orient pour plaider l’urgence d’une trêve de longue durée, moyennant un accord entre le mouvement Hamas et Israël.

L’homme a affirmé, hier à Tel-Aviv où il a atterri après des haltes en Jordanie et en Arabie Saoudite, que les Etats-Unis étaient déterminés à arracher l’accord sans plus attendre, en remettant la pression sur les dirigeants du mouvement palestinien les tenant responsables de tout échec des démarches actuelles.

Il y a quelques jours, le même Blinken affirmait que le Hamas avait entre les mains «une offre extraordinairement généreuse» de Tel-Aviv et qu’il serait très mal avisé de la rejeter.

Des détails ont été fournis lundi dernier par David Cameron, le chef de la diplomatie britannique, également engagé dans les efforts actuels pour faire taire les armes : un cessez-le-feu de 40 jours, passant par la libération d’un contingent de prisonniers palestiniens en contrepartie de la libération des «otages» israéliens détenus à Ghaza.

Le projet d’accord est depuis lundi au centre de nouvelles négociations au Caire, sous la supervision des deux médiateurs qatari et égyptien, avec le fébrile appui des Etats-Unis.

Une délégation du Hamas y a participé et pris acte de la proposition d’accord et a préféré se réserver un temps de concertation avec les instances politiques du mouvement basées à Doha, avant de formuler une réponse. Celle-ci devait intervenir dans la soirée d’hier.

Dans les faits, et suivant l’articulation du brouillon d’accord, le mouvement palestinien est invité à renoncer principalement à sa condition de retrait complet des troupes israéliennes de Ghaza, ainsi que la garantie de ne pas entraver un retour massif des populations vers le nord de l’enclave et des engagements fermes concernant la tâche de reconstruction.

Alors que sur l’aspect militaire, les choses semblent, pour une longue durée encore, enlisées dans la routine sinistre des bombardements sporadiques et des incursions meurtrières dans les camps de réfugiés, contrées par de téméraires opérations des combattants palestiniens, l’actuelle accélération des démarches pour aboutir à la trêve est favorisée par une série de développements politiques.

Fébrilité américaine

La possibilité que la Cour pénale internationale (CPI) délivre des mandats d’arrêt à l’encontre de hauts responsables israéliens pour crimes de guerre, ce qui serait une première majeure, est un élément qui est pris au sérieux à Tel-Aviv, avec des effets contrastés sur sa classe politique.

Si une partie des dirigeants estime qu’il est temps de montrer un visage moins irréductible quant aux propositions d’issue diplomatique au conflit, une autre, représentée par le noyau d’extrême droite, continue à exiger la poursuite de la guerre. 

L’administration Biden, confrontée en ce moment à la problématique sensible de la contestation estudiantine dans plusieurs campus américains, avec un sérieux coefficient de contagion dans les autres universités du pays, retient également que l’épisode récent de la confrontation militaire directe entre Téhéran et Tel-Aviv, même finalement contenue, est un signe concluant des risques réels d’une extension incontrôlée du conflit. 

Selon le site américain Axios, très introduit dans les arcanes de la Maison-Blanche, le président Joe Biden s’est investi personnellement dans ce nouvel intérêt pour un cessez-le-feu et compte sur son aboutissement pour corriger la trajectoire des événements, au double plan interne et externe.

Selon les lectures avancées par le même site, Washington pense qu’un accord arraché aujourd’hui est susceptible de calmer substantiellement le front houthi et limiter ses effets en mer Rouge, désamorcer l’engrenage d’une confrontation ouverte au Sud Liban avec le Hezbollah et enlèverait à Benyamin Netanyahu tout prétexte de maintenir l’option d’une offensive militaire à Rafah, au sud de la bande de Ghaza.

Pas de «drapeau blanc» du coté du Hamas 

Anthony Blinken a eu une rencontre, hier, avec les proches des détenus israéliens, mobilisés plus que jamais dans des manifestations ininterrompues pour exiger un accord sur leur libération ; initiative qui peut s’interpréter comme un soutien, et donc une forme de pression sur la coalition de droite au gouvernement, qui reste figée sur sa ligne dure de poursuite de la guerre.

L’opposition israélienne, pour sa part, pousse dans la direction de la conclusion d’un accord, misant sur ses effets politiques en interne pour précipiter la fissuration de la coalition de droite au pouvoir. Hier, l’ancien Premier ministre et acteur de premier plan de l’opposition, Yair Lapid, a fait savoir au représentant de la diplomatie américaine qu’aucune excuse ne restait à Netanyahu pour esquiver la signature d’une trêve.

«L'idée d'arrêter la guerre avant d'avoir atteint tous nos objectifs est hors de question. Nous allons entrer dans Rafah et y éliminer les bataillons du Hamas, avec ou sans accord, afin d'obtenir une victoire totale.» Surenchère pour accentuer la pression sur le Hamas ou confirmation des résolutions définitives de Tel-Aviv, ces mots du Premier ministre israélien, prononcés avant-hier alors même que la diplomatie américaine prétend que les clés d’un accord sont entre les mains des Palestiniens, maintiennent le doute cependant sur la marge de manœuvre qui reste à la médiation.

Il y a aussi que la position de Washington, en dehors des intentions déclarées, s’avère trop fluctuante sur le sujet pour inspirer confiance sur ses réelles dispositions concernant le cadre général des négociations, et affaiblit ainsi l’aile favorable à la validation d’un accord au sein du Hamas.

Tout en affirmant que la Maison-Blanche reste opposée à toute offensive contre Rafah, les hauts responsables américains continuent à déclarer que l’Etat hébreu n’arrive pas à présenter, jusque-là, suffisamment de garanties que les civils palestiniens seront épargnés au cas où l’armée israélienne lance l’assaut.

Une contradiction qui inquiète sérieusement les responsables du mouvement palestinien et dont beaucoup de dirigeants restent convaincus que la machine de guerre israélienne poursuivra les hostilités et l’occupation des Territoires, même après la libération des «otages».

Un membre du bureau politique du Hamas a déclaré, hier à l’AFP, que «Netanyahu parle avec arrogance, défi et insistance de continuer la guerre». «Le Hamas et les autres mouvements de résistance palestiniens ont tout intérêt à mettre fin à cette guerre insensée imposée au peuple palestinien qui a tout détruit. Mais pas à n'importe quel prix. Le peuple palestinien ne peut en aucun cas hisser le drapeau blanc ou se rendre aux conditions de l'ennemi israélien», a-t-il ajouté. 
 

 

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