Dans cet entretien, Nassima Khouader revient sur l’introduction de l’intelligence artificielle dans le domaine de la pharmacie, ses avantages mais aussi ses inconvénients.
- Quels seraient les avantages à tirer du possible recours à l’intelligence artificielle dans le domaine de la pharmacie ?
Toute nouvelle technologie dans un domaine quelqu’il soit doit nous interroger. Il y a évidemment les hostiles. Il y a les frileux. Et il y a les enthousiastes optimistes. Et a juste raison. L’intelligence artificielle comme toute nouvelle technologie arrive à nous, aussi bien, pour les professionnels de santé que pour les patients dans leur quotidien. Elle va se développer davantage. Il s’agit d’une avancée majeure avec laquelle nous devrons composer.
C’est le fruit de progrès scientifiques et technologiques comme d’autres auparavant. Par contre, nous devrons réfléchir à comment faire pour que cette nouvelle technologie nous permettent de résoudre des problématiques que nous n’avons pas pu résoudre auparavant.
En effet, ces nouvelles technologies, dotées d’intelligence artificielle, peuvent nous apporter un saut qualitatif et certainement permettre à notre profession de pharmaciens d’officine de revenir d’une manière plus efficace à nos missions édictées par une réglementation et une loi sanitaire.
- Vous parlez de vos missions. Quelles sont-elles ?
La première consiste à mettre à disposition les médicaments. Une autre de nos tâches est la dispensation des ordonnances. On s’assure de sa validité et on fait son analyse aussi.
On est également aptes à conseiller les patients et à délivrer des ordonnances. Bien évidemment on fait la facturation des ordonnances pour le compte de la CNAS (carte chifa). Désormais, nous avons une nouvelle mission qu’est la vaccination anti-grippal et Covid. On peut aussi faire l’éducation thérapeutique et le suivi des patients (le texte d’application n’est pas encore établi et promulgué).
Pourtant, le temps de travail du pharmacien est consacré essentiellement à la recherche des produits pharmaceutiques et à gérer les stocks pour honorer les ordonnances. La facturation des ordonnances chifa prend aussi davantage de place avec de nouvelles rubriques à renseigner pour le compte des données de la carte chifa (nom du médecin, spécialité, secteurs sanitaires ou autres structures, etc).
Le back office est chronophage du fait des tâches répétitives de veille du stock et de l’instabilité du marché. Ces tâches sont d’ailleurs souvent confiées aux assistants techniques de l’équipe officinale pour veiller à la bonne tenue du stock (date de péremption, organisation des espaces, réception des produits pharmaceutiques lors des livraisons quotidiennes, facturation fournisseurs, etc.).
- Comment l’intelligence artificielle pourrait être introduite en officine ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’intelligence artificielle a été introduite en officine en Allemagne, en France, en Suisse, en Belgique…Ailleurs dans le monde, l’analyse et le devenir du métier de pharmacien d’officine ont été portés sur plus de temps avec le malade, c’est-à-dire comment consacrer un temps plus long avec la patient, tout en se libérant du back office. Des solutions technologiques dotées d’intelligence artificielle ont été apportées. On a donc parlé de robotisation à l’officine ou le début de l’intelligence artificielle en officine il y a plus de 15 ans en Europe.
Ces robots deviennent alors de plus en plus outillées pour prévoir et anticiper les commandes, vérifier les dates de péremption, répertorier et ranger les produits sur la bonne étagère, vérifier la validité des ordonnances, dispatcher les médicaments jusqu’au comptoir afin que le pharmacien reste face au patient.
Ceci est un exemple révélateur de l’introduction de l’intelligence artificielle aux services du métier de pharmacien d’officine. Aujourd’hui chez nous, il est certain que très peu de pharmacies pourraient se permettre cette technologie, car celle-ci est coûteuse.
En Europe par contre, les prix de ces machines baissent et de plus, après 15 années d’introduction, permettant ainsi aux pharmaciens d’opter pour le robot. Toutefois, il est certain que les pharmaciens d’officine algériens, dans le cadre d’une carte chifa plus généralisée, adopteront à l’avenir cette technologie, car elle va répondre à une problématique économique de la gestion de l’officine.
Il faut savoir qu’il y a des difficultés à recruter des compétences à l’officine pour une gestion rigoureuse et efficace des stocks. Les postes en back office sont les plus vulnérables et il est certain que ce qui s’est passé ailleurs arrivera chez nous.
Chaque pays a ses spécificités et il y aura un équilibre à surveiller. Si les salaires des postes en back office augmentent et que les prix des médicaments baissent encore, il n’y aura pas de compensation suffisante pour le pharmacien et la machine devra remplacer l’homme. Ce matériel sera finançable, amortissable et sous contrat d’assurance. Car n’oublions pas que le pharmacien a aussi une approche économique de son officine.
- Comment l’intelligence artificielle pourrait aider à faire le suivi des patients ?
Le métier de pharmacien d’officine se transforme et s’adapte aux problématiques de santé publique. Il faut savoir que l’Etat a mis en place des politiques de santé publique pour maîtriser les coûts (sécurité sociale, tiers payant, tarif de référence). Demain, et au regard des textes juridiques mis en place, on comprend que le pharmacien va jouer un rôle davantage en amont dans la prévention et dans l’éducation thérapeutique, car il est un interlocuteur privilégié vis-à- vis du patient.
Le pharmacien d’officine est notamment accessible plus que n’importe quel professionnel de santé dans la ville ou en zone rurale, car l’accès à l’officine peut se faire à tout moment. A titre d’exemple, un renouvellement de traitement pour un malade chronique stable peut se faire, car nous l’avons déjà expérimenté durant la pandémie du Covid. Par contre, si on venait à multiplier ces prestations, des conditions seront requises en matière de dossier médical et pharmaceutique.
Celles-ci s’imposent pour le suivi du patient et l’encadrement des prestations. Dans ce cas, on constate que pour nous sortir aujourd’hui de ces problématiques, nous manquons d’outils capables de faire le pont entre officine, dossier patient, cnas, paiement des prestations médicaments et services.
L’intelligence artificielle a besoin de données que nous possédons tous dans nos officines. Par exemple, nous avons tous le logiciel chifa ainsi qu’un logiciel de gestion qu’il faudra faire évoluer pour des solutions innovantes à nos problématiques. Une nouvelle génération d’outils munis d’intelligence artificielle pourrait nous permettre de faire ce saut qualitatif.
- De quelle manière l’intelligence artificielle pourrait régler les soucis de pénuries ?
Si l’on devait poser la question aux pharmaciens qu’elle serait la problématique que vous aimeriez qu’on règle dans votre métier ? Ils répondraient, à l’unanimité, la disponibilité des médicaments, la fin des quotas et toutes ses règles commerciales qui détournent le pharmacien de son cœur de métier.
En plus des produits cabas et faux produits pharmaceutiques, dont la publicité est diffusée sur les réseaux sociaux nous font concurrence et nous décrédibilisent. Malheureusement, il est devenu quasi impossible d’honorer une ordonnance complète. Souvent, le patient comme le prescripteur refusent la substitution quand c’est possible, à la recherche du produit princeps ou une marque commerciale en rupture.
Les problématiques sont complexes, partant de la matière première au produit fini, en passant par la distribution jusqu’à l’officine. Le pharmacien d’officine constitue le dernier maillon de la chaîne avant le patient, pourtant nous n’avons aucune visibilité sur nos stocks à venir.
Malheureusement, nous n’avons aucune communication fiable pour anticiper nos achats. Grâce à l’intelligence artificielle, une plateforme de données entre toutes les parties prenantes en relation avec le secteur du médicament de la matière première à la distribution pourrait être créée afin d’apporter clarté et transparence des stocks actuels et futurs pour nos officines.
- Selon vous, quelles sont les contraintes de l’intelligence artificielle ?
Toutes les nouvelles technologies soulèvent effectivement de nombreuses interrogations et c’est bon signe, car on s’interroge. En ce qui concerne les contraintes, il y a par exemple la perte d’emploi dans les pays qui ont réalisé des progrès en termes de vaste introduction de l’intelligence artificielle. En ce qui concerne la menace qui pèserait sur le métier de pharmacien, je dirai que des métiers disparaissent et on doit s’en inquiéter et trouver un équilibre. Pour l’officine, les métiers moins qualifiés dont on pourra se dispenser pourront disparaître.
Par contre, la relation patient - pharmacien d’officine semble vouloir se renforcer au regard de l’orientation que veulent prendre les politiques publiques en Algérie avec les textes de loi pour un élargissement de la pratique en officine avec les services liés à la santé. Si nous élevons notre niveau de compétence, le métier de pharmacien a encore de beaux jours devant lui.