Nassim Ould Kaddour et Farid Bedjaoui, deux destins qui se ressemblent : Ces hommes d’affaires aux fortunes colossales à l’étranger

14/03/2024 mis à jour: 14:45
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Photo : D. R.

Deux hommes d’affaires aux nombreuses nationalités ont érigé des fortunes colossales à l’étranger, grâce à leur proximité des cercles de décision en Algérie. Apparentés à d’anciens hauts responsables de l’Etat, les deux vivent en profitant des revenus de la corruption. Il s’agit de Nassim Ould Kaddour, fils de l’ancien PDG de Sonatrach, et de Farid Bedjaoui, neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Le premier vient d’être condamné par la justice américaine à une amende de 2 millions de dollars assortie d’une interdiction bancaire, et le second suscite depuis quelque temps l’intérêt des autorités françaises, en raison des biens immobiliers acquis en France.

Circulant avec plusieurs nationalités, Nassim Ould Kaddour et Farid Bedjaoui, deux jeunes fugitifs condamnés à une peine 10 ans de prison, assortie d’un mandat d’arrêt international, pour des affaires de corruption, ont érigé, au niveau international, un patrimoine immobilier et financier colossal, qui échappe aux nombreuses commissions rogatoires délivrées à leur encontre par la justice.

Fils de l’ancien PDG de Sonatrach, Abdelmoumène Ould Kaddour, condamné pour des affaires de détournement, le premier, franco-algéro-américain, vit entre Paris, Londres et Ibiza, alors qu’il y a un peu plus de quatre mois, et après six ans de bataille judiciaire, la justice américaine lui a infligé une interdiction bancaire et sommé sa société Lotus Trading, domiciliée à Beyrouth, de s’acquitter d’une amende de 2 millions de dollars, pour des transactions illicites sur des titres boursiers.

Une condamnation qui l’a privé de tous ses comptes, à l’exception d’un seul, son compte courant, domicilié en France. Ces deux hommes ont, durant des années, utilisé leur proximité des centres de décisions pour construire un empire immobilier et financier à l’étranger, qui leur assure non seulement l’immunité, mais aussi le recours à un fonctionnement de leurs entreprises aussi opaque que rentable.

Ainsi, Nassim Ould Kaddour, dont le nom a été cité dans le cadre de l’affaire dite des Panama Papers, voit son empire financier, mis en place depuis que son père dirigeait BRC (Brown and Root Condor), la filiale de Sonatrach dissoute en 2007, mais aussi lorsqu’il a pris les rênes de Sonatrach en 2017-2019, prendre son envol.

En 2009, alors que son père quittait la prison militaire de Blida (où il venait de purger 27 mois sur les 30 qui lui ont été infligé pour une affaire de divulgation d’informations classées secret défense), l’homme d’affaires suscite de lourds soupçons en raison de ses nombreuses transactions immobilières en France, effectuées par la société civile immobilière (SCI) LEMA, qu’il avait créée.

La société était chargée de l’acquisition et la gestion de deux appartements situés à Neuilly-sur-Seine, d’une valeur totale de 3 380 000 euros. Une transaction opérée avec son frère Réda et l’épouse de ce dernier, Amel Yala, ainsi que sa mère, Mme Ould Kaddour, née, Anissa Ouabdeslam, avait révélé à l’époque une source sûre à El Watan.

Les membres de la famille ont ensuite usé d’un montage financier international pour l’acquisition de deux magnifiques demeures de 7 et 3 pièces, avant de décrocher un prêt de 3,2 millions d’euros auprès de la banque libanaise First National Bank SAL.

Le 2 mars 2012, Nassim Ould Kaddour et son épouse Amel cèdent leurs parts à Abdelmoumène Ould Kaddour. La plus-value de la cession des parts cédées à Abdelmoumène Ould Kaddour n’aurait jamais fait l’objet d’une déclaration au fisc. Une modification importante dans les statuts introduit Abdelmoumène Ould Kaddour comme associé.

Des sociétés offshore pour blanchir l’argent de la corruption

Avant de disparaître des actes officiels, son fils Mohamed Réda et son épouse Anissa cèdent leurs parts à Nassim Ould Kaddour. Une transaction qui ne connaît aucune déclaration de plus-value aussi bien en France qu’en Algérie. Nassim Ould Kaddour a récupéré les 250 parts détenues par son ex-épouse dans la SCI LEMA après avoir divorcé, et devient l’associé unique de la société immobilière LEMA, propriétaire des appartements de Neuilly-sur-Seine.

En janvier 2017, la SEC (Security Exchange Commission), l’autorité américaine de contrôle de la Bourse, ouvre une enquête sur les opérations financières suspectes de la société Lotus Trading, domiciliée au Liban, créée par Nassim Ould Kaddour, pour tirer profit des contrats obtenus par les sociétés pétrolières libanaises, à l’époque de Chakib Khelil.

En 2018, il est naturalisé libanais en dépit de l’opposition de nombreux députés qui voyaient d’un mauvais œil l’octroi de la nationalité de leur pays à un homme poursuivi dans son pays pour des affaires de corruption. L’homme d’affaires algérien était en fait connu à Beyrouth, où il avait de nombreuses sociétés, dont Lotus.

Entre 2018 et 2019, Nassim Ould Kaddour fait la une des médias libanais. La presse fait état des transactions de ses quatre sociétés offshore Potter Financial, Dudley, Essence-Ciel et Delta Consulting, dont le montage financier a été effectué par une société fiduciaire libanaise Saad, Debs & Partners Law Firm, qu’il a chargée de l’ouverture d’un compte à Hong Kong, vers où tous ses fonds devait être transférés.

Cette opération n’a pu être menée. Le cabinet Mossack Fonseca, spécialisé dans les montages de sociétés offshore, auquel il a fait appel, s’est heurté à la réponse de ses confrères de Hong Kong.

Ces derniers n’ont trouvé «aucune garantie pour l’ouverture d’un compte», même s’ils fournissent les services nécessaires à la création d’une société à Hong Kong.

Ainsi, spécialisé dans l’évasion fiscale, ce dernier s’est montré inhabituellement très prudent. Aux Etats-Unis, les enquêtes préliminaires sur les transactions douteuses des titres en Bourse de la société libanaise Lotus, de Nassim Ould Kaddour, aboutissent à une plainte enregistrée dans le district de Newark (New Jersey).

Une grosse pointure dans le négoce mondial pour éloigner la suspicion

Pour les enquêteurs de l’autorité américaine de régulation boursière, il y a eu «spéculation» dans le rachat d’une banque d’affaires américaine et sur les actions en Bourse, et un délit d’initié qui a permis à Nassim Ould Kaddour de gagner 25 millions de dollars. Plusieurs autres transactions suspectes sont visées par l’enquête de la SEC, qui montre que l’homme d’affaires a mobilisé plus de 13 millions de dollars pour ces opérations en Bourse.

Vers la fin de l’année 2023, après six ans de batailles judiciaires, Nassim Ould Kaddour perd son procès contre la SEC. En tant que propriétaire de Lotus, il est condamné à une amende de 2 millions de dollars assortie d’une interdiction bancaire aussi bien aux Etats-Unis, dont il détient la nationalité, mais aussi au niveau international. Seul son compte courant domicilié en France a été maintenu.

Cette décision intervient quelque temps seulement après sa condamnation en Algérie à une peine de 10 ans de prison, pour son implication dans des affaires de corruption. Pendant ses procédures aux USA, Ould Kaddour se réorganise pour mieux éloigner la suspicion sur ses transactions obtenues à travers les sociétés de trading partenaires, Gunvor et Vittol, des Etats très regardant sur l’origine des fortunes.

Trop exposées et connues comme étant des sociétés de marchandage dans les produits énergétiques algériens, les deux entités suisses se sont progressivement désengagées de l’homme d’affaires, malgré les contrats de commissions étalés sur 5 et 10 ans qui les lient.

Avec une fortune estimée à 2 milliards de dollars, Nassim Ould Kaddour s’est allié à une famille corse, classée comme le deuxième plus grand groupe mondial dans le négoce international des produits alimentaires.

Une aubaine «pour dissimuler sa fortune à travers de faux deals et des contrats dans le sucre et le cacao, avec ses nouveaux partenaires», affirment des sources proches de l’homme d’affaires, précisant : «Le groupe prend son pourcentage en injectant l’argent de Nassim dans le circuit d’achat de la matière première et met à sa disposition des comptes bancaires avec des cartes et des noms d’emprunt ainsi que du cash afin qu’il puisse disposer de ses ressources financières.

La société brasse des millions de tonnes dans le négoce du café, du cacao et du sucre notamment au Maroc, où le fondateur est né et détient 30% du marché, jouit d’une immunité vu son statut de leader français du négoce alimentaire. De ce fait, ni le nom ni les tracasseries judiciaires de Nassim Ould Kaddour n’apparaissent sur les radars américains et européens.»

Selon nos interlocuteurs, c’est à travers ce montage que Nassim Ould Kaddour  est en train de céder les deux terrains agricoles qu’il a achetés en 2014 et 2015 à San Jordi de Las Salines, dans l’île espagnole d’Ibiza, d’une superficie de 71 875 m2 et surtout d’une valeur de pas moins de 120 millions d’euros.

A ce jour, la justice algérienne n’arrive pas à avoir des réponses aux nombreuses commissions rogatoires relatives à certains biens qu’il détient à l’étranger, encore moins à les saisir, étant donné qu’ils sont le fruit de ses affaires en Algérie et pour lesquelles il a été condamné.

Le cas de Nassim Ould Kaddour ressemble à celui de Farid Bedjaoui, neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui, en fuite, condamné pour une affaire de corruption. Détenteur de la nationalité française, canadienne et libanaise, l’homme d’affaires algérien était conseiller financier de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil (2000- 2013), en fuite aux Etats-Unis.

Les enquêtes judiciaires menées entre 2010-2013, relancées en 2020- 2023, le présentent comme l’un des principaux intermédiaires dans les affaires des rétrocessions de commissions (plus de 197 millions d’euros) versées par la société italienne de services pétroliers Saipem à des responsables algériens en contrepartie de l’obtention d’importants contrats d’un montant de 8 milliards d’euros.

Après une longue traque par Interpol, Farid Bedjaoui blanchi par la justice italienne

Les premières enquêtes ont été ouvertes à Milan, en Italie. Elles ont abouti, en 2014, à la condamnation par défaut à 5 ans et 5 mois de prison  de ce richissime homme d’affaires. Déclaré comme étant en fuite, il s’est installé aux Emirats arabes unis, où il avait acquis de nombreux biens, avant de rejoindre les USA.

L’affaire éclabousse de nombreux dirigeants de Saipem et du groupe Eni, jugés et condamnés à de lourdes peines, alors qu’aux Etats-Unis et au Canada, les services d’investigation prennent le relais. En 2013, Bedjaoui fait l’objet de saisie de certains de ses biens immobiliers, notamment à Montréal.

Il est soupçonné d’avoir transféré 4 millions de dollars en argent et en terrains à ses frères (installés au Canada), durant la période comprise entre 2006 et 2010, par le biais de nombreuses sociétés-écrans qui auraient ensuite servi «à blanchir les fonds nécessaires à la vaste entreprise de corruption».

En 2020, et après trois ans d’enquête, la SEC (Securities & Exchange Commission, autorité financière fédérale américaine) décide de cesser les poursuites pour «corruption» contre le groupe pétrolier italien Eni et sa filiale Saipem en contrepartie du paiement d’un dédommagement de 24,5 millions de dollars.

Cette décision a pointé du doigt Chakib Khelil et Farid Bedjaoui et précisé que le groupe Eni et sa filiale Saipem ont anticipé sur la procédure de poursuite en lui présentant «une offre» de règlement «sans admettre ou nier» les griefs retenus contre eux.

Quelques mois plus tard, Farid Bedjaoui bénéficie de la relaxe en Italie, au terme d’un long procès de 7 ans, au même titre que de nombreux responsables de Saipem et du groupe Eni. En Algérie, des mandats d’arrêt internationaux sont lancés contre lui pour les dossiers de l’autoroute Est-Ouest et SLC-Lavalin.

Les enquêtes mettent en avant la fortune de cet homme d’affaires, en biens immobiliers aux USA, au Canada, aux Emirats, en France mais aussi en fonds, placés dans des comptes domiciliés dans de nombreux pays. En France, ses activités suspicieuses restent sans suite, jusqu’à sa condamnation, il y a quelques mois, à une peine de 10 ans.

Selon des sources au fait du dossier, les autorités françaises s’intéressent de près à l’homme d’affaires, surtout qu’il possède de nombreux biens sur leur territoire.

Les démarches entreprises par l’Algérie, pour récupérer les fonds ayant servi pour la construction de leur patrimoine, ont été mises sous le coude par de nombreux pays, à l’exception de la France qui, il y a quelque temps, a répondu favorablement en ce qui concerne Farid Bedjaoui.

 

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