Foi de commerçant, Mohammed n’avait jamais vu un été aussi désastreux : la sécheresse qui rudoie l’Irak a considérablement réduit la taille du jadis majestueux lac Habbaniyah, dont les eaux saumâtres tiennent aujourd’hui à distance des estivants autrefois ravis d’y trouver un peu de fraîcheur.
Bouées, épuisettes, t-shirts... Mohammed a sorti ses meilleurs articles sur le pas de sa boutique, située à quelques dizaines de mètres du lac.
Mais si la marchandise est là, le touriste est aux abonnés absents. «Les deux dernières années, il y a eu de l’activité», raconte Mohammed, 35 ans, qui ne souhaite pas donner son nom complet. «Mais maintenant, il n’y a plus d’eau. Cette année, c’est la sécheresse, la sécheresse !», dit-il, la chemise imprégnée de transpiration dans cette atmosphère irrespirable où le thermomètre tutoie les 50 degrés.
Les eaux du lac Habbaniyah, à une heure et demie de voiture à l’ouest de Baghdad, se sont retirées sur plusieurs dizaines de mètres en un an.
Et pour cause, «le lac ne contient plus que 500 millions de mètres cubes d’eau», contre «3,3 milliards de mètres cubes lorsque le lac était à sa capacité maximale», ce qui est arrivé pour la dernière fois en 2020, explique à l’AFP Jamal Odeh Samir, directeur des ressources hydriques de la province d’Al Anbar, dans laquelle est situé le lac artificiel.
La station balnéaire autour d’Habbaniyah, où les magasins comme celui de Mohammed côtoyaient les appartements de vacances, est désespérément vide en pleine saison estivale. Sur la plage ne restent plus que quelques parasols épars et une poignée de chiens errants. Et pour atteindre l’eau, il faut désormais parcourir plusieurs dizaines de mètres dans une boue malodorante.
Oasis de fraîcheur
Le lac Habbaniyah était pourtant réputé il y a quelques années encore dans tout le Moyen-Orient, comme une oasis de fraîcheur en plein désert. Mais comme le reste du pays, Habbaniyah suffoque. L’Irak vit sa quatrième année de sécheresse consécutive.
Le pays est l’un des cinq les plus exposés à certains effets du changement climatique, selon les Nations unies. «Les réserves stratégiques d’eau en Irak sont à leur niveau le plus bas» depuis près d’un siècle, a récemment averti le porte-parole du ministère des Ressources hydriques, Khaled Chamal.
Et cette semaine, en visite dans le pays, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, s’est même ému que les températures en hausse, la sécheresse et la perte de la biodiversité soient une «réalité» en Irak. «C’est un signal d’alarme adressé à l’Irak et au monde entier», a-t-il déclaré.
A Habbaniyah, le peu de précipitations et les températures extrêmes ont contribué à la baisse du niveau du lac. Mais il faut surtout regarder du côté de l’Euphrate, qui alimente le plan d’eau et prend sa source en Turquie et traverse la Syrie avant d’arroser l’Irak.
Le fleuve et le lac souffrent «d’une pénurie de déversements en eau des pays situés en amont, la Turquie et la Syrie», explique M. Samir. Et de pointer du doigt le rôle des barrages construits par la Turquie. Selon les autorités irakiennes, ces ouvrages sont les principaux responsables de la réduction drastique du débit de l’Euphrate et du Tigre.
Résultat : «Le lac a décliné» et «la fréquentation touristique est vraiment très, très faible», se désole Sada’a Saleh Mohammed, directeur du département d’audit de la station balnéaire depuis 25 ans. «Le lac est devenu une mare d’eau stagnante, impropre à la consommation et à la baignade.» Aujourd’hui, il faut attendre le crépuscule et une légère baisse des températures pour voir une poignée de familles préparer un barbecue sur la plage.
A l’image de Qassem Lafta, venu en famille de la ville de Falloujah toute proche. «Autrefois, c’était bien mieux, l’eau était plus haute», dit ce commerçant de 45 ans. Et il appelle l’Etat irakien à prendre soin du lac, car «c’est le seul endroit où les gens d’Al-Anbar, du sud de l’Irak et de Baghdad peuvent venir pour se relaxer».