D’où je suis ? Je suis de mon enfance comme d’un pays.» La citation est de l’écrivain-pilote, Antoine de Saint-Exupéry. Pour l’auteur de Vol de nuit, tout renvoie l’individu à cette période magique de la vie. Les amitiés nouées à cet âge restent fortes, même si la vie finit parfois par séparer les complices innocents.
C’est encore plus vrai lorsque les circonstances d’une rencontre sont tragiques. Pilote professionnel racé, Nadjib Laraba livre dans L’oiseau jaune (Rafar) le récit exceptionnel d’une vie, celle d’un enfant, Nadjib, et d’un pilote français, le capitaine Michou. La guerre d’Algérie n’a pas empêché qu’une amitié se tisse entre un enfant du fier pays chaoui et un officier d’origine basque. Tout en rebondissements, le récit raconte la rencontre exceptionnelle avec un homme tourmenté, qui a perdu, «dans un accident de chasse au sanglier dans les montagnes basques, son enfant», précise M. Laraba dans l’avant-propos de son récit. Au contact du militaire, l’enfant apprendra un métier : l’art de diriger un aéronef. Mais pas uniquement.
Le jeune héros du récit «fera la connaissance de ce lui qui changera sa vie. Un capitaine à l’écoute, un humaniste qui fera de l’enfant, un pilote. Il lui donnera des racines et des ailes. L’enfant apprendra auprès de lui, l’amour de la vie». La rencontre imprévue a également marqué la vie du pilote, qui a décidé de ne plus tuer et trouver «absurde d’ôter la vie à quelqu’un sans défense». Nadjib Larab, qui assume la part autobiographique de son récit, adopte une stratégie qui lui permet de mêler histoire et fiction.
Plantant le décor du roman dans son douar natal, Gosbat, situé entre Aïn Azel et N’Gaous (Batna), l’auteur évoque une enfance difficile, la sienne, à travers les faits et gestes d’un enfant qui a le même prénom que lui. «Ce roman, assure-t-il, n’est pas le fruit de l’imagination mais d’une réalité vécue avec sa charge émotionnelle, les effets du temps et de la mémoire. C’est un récit empli de cicatrices et de souvenirs parfois drôles, souvent touchants. C’est une histoire incroyable mais vraie qui a pour cadre l’Algérie durant la guerre de Libération.
Le conflit élimine souvent les vies, mais ne peut tuer le rêve et l’espoir.» Mais avant le récit d’une complicité étrange, une chose attirera l’attention du lecteur : l’avion jaune, un Bird Dog, dessiné en couverture de l’ouvrage joliment conçu par l’édition dirigée par l’excellent Bouzid Rachid. Le monomoteur léger de couleur jaune et la traduction en arabe du titre «Tayara Safra» ravivent chez beaucoup d’Algériens des souvenirs douloureux.
Le chant patriotique «Tayara Safra» parle des tourments d’une femme qui loue l’héroïsme des djounoud menés par l’un des héros du Sétifois, Bouragba Laifa (1928-1961). Les traumatismes liés à l’aviation française étaient profonds et le sont restés chez les populations des montagnes, qui subissaient la répression féroce de l’armée coloniale. «Si les mitraillages au sol sont redoutés, le napalm donne à la guerre ses couleurs infernales», note l’historienne Raphaëlle Branche dans une étude sur l’usage du napalm (orientxxi.info). «Après 1962, les forêts calcinées et pétrifiées des massifs montagneux algériens ont porté, pendant des années, le témoignage de cette violence. Quant aux corps réduits à des blocs charbonneux par ces produits incendiaires, leurs images hantent toujours celles et ceux qui les ont vus», relève-t-elle.
Le style léger, une maîtrise parfaite du lexique aéronautique, Nadjib Laraba se distingue dans une littérature algérienne qui ne s’est jamais vraiment intéressée au thème de l’aviation. Natif de la Mitidja, l’écrivain et pilote Jules Roy a laissé à la postérité des récits dont le décor était la Seconde Guerre mondiale : Trois Prières pour des pilotes, Chants et Prières pour des pilotes, Ciel et terre et La Vallée heureuse, couronné par le jury Renaudot. Mais l’enfant de Rovigo (actuellement Bougara), qui a démissionné de l’armée française avec le grade de colonel, appartient-il à la littérature du pays qui l’a vu naître et dont il a défendu l’indépendance?
Né au début de la guerre d’Algérie, Nadjib Laraba, est pilote professionnel. Il est réalisateur et scénariste. Il a à son actif plusieurs téléfilms et documentaires.
Nadir Iddir
Nadjib Laraba, L’Oiseau jaune « tayara safra », roman, Rafar, Alger, 2023