Les qualificatifs ne suffisent sûrement pas pour décrire le parcours sportif du monument du sport algérien, Mustapha Larfaoui. Du talent sportif où il a su allier la pratique du basket-ball et le water-polo, il a réussi sa reconversion de dirigeant sportif pour arriver à la tête des instances internationales. Il a notamment été président de la Fédération internationale de natation (FINA) de 1988 à 2009, président de la Confédération africaine de natation (CANA) de 1974 à 2012. Il a aussi été membre du Comité international olympique (CIO) de 1995 à 2009. Il est à ce jour membre d’honneur de cette grande institution sportive, et ce, depuis 2009. Dans cet entretien, Mustapha Larfaoui revient sur plus d’un demi-siècle au service du sport.
- Comment M. Mustapha Larfaoui juge-t-il aujourd’hui son parcours sportif avec plus de 50 ans passés dans l’univers du sport algérien, africain et mondial ?
Il faut savoir qu’en plus de mes activités professionnelles dans la santé publique, j’ai passé effectivement un demi-siècle dans le milieu sportif international, où je n’ai obtenu que de très grandes satisfactions.
- Quel est le secret de cette longévité à la tête des structures internationales et aussi le fait que vous soyez le premier Africain et Arabe au plus haut des structures internationales ?
Il n’y a absolument aucun secret pour cette longévité, peut-être que le seul que l’on puisse évoquer est celui du sérieux et de l’action. Vous m’offrez là l’occasion d’évoquer le cas de la FINA. Tout d’abord lorsque j’ai été sollicité par mon ancien dirigeant le regretté Mahmoud Abdoun, mon maître en matière de gestion du sport, à l’effet de créer la Fédération algérienne de natation, j’ai immédiatement entrepris cette tâche en voyant l’avenir de la discipline à l’échelon local bien sûr, puis régional (1963 : Union maghrébine), puis continental (1970 avec seulement 10 fédérations, aujourd’hui 53). En 1972, j’ai jugé utile de rejoindre la composante du bureau de la FINA afin de faire reconnaître et valoir notre organisation continentale.
A l’époque, l’Afrique était représentée par un Egyptien et un Sud-Africain que je voulais remplacer (mon objectif étant de faire exclure les Fédérations sud-africaine et rhodésienne en raison de leur politique d’apartheid). La mission s’est compliquée par les évènements qui se sont produits à Munich pendant les Jeux olympiques de 1972, mais l’Egyptien et moi-même avons finalement été élus membres du Bureau lors du congrès de la FINA, qui s’est tenu la même année à Munich.
Durant la 1re réunion du Bureau, je n’ai fait qu’écouter pour m’informer et surtout acquérir de nouvelles connaissances. En 1973 à Belgrade, j’ai soulevé les problèmes de l’apartheid en m’appuyant sur des arguments qui m’avaient été fournis par mon ami Sam Ramsamy, en sa qualité de président de South African Non Racial Olympic Committee (SANROC) et de la Fédération de natation qui en relevait. J’ai rencontré des oppositions et notamment du président. J’ai proposé alors la constitution d’une commission de trois membres (président, un membre mexicain et l’Égyptien) à l’effet de se rendre en Afrique du Sud et de faire les constats nécessaires en la matière et nous les rapporter.
Ce qui fut fait et le rapport mentionnait que l’apartheid était bien réel et c’est alors qu’il a été décidé de suspendre les deux fédérations (Afrique du Sud et Rhodésie) et de soumettre leur exclusion de la FINA au Congrès de Montréal en 1976. Ce qui fut fait sans aucun problème. C’est aussi à Montréal que j’ai eu l’honneur d’être proposé par certains collègues à la vice-présidence et mon élection à ce poste a été unanime.
Pour moi, j’avais atteint le sommet. J’ai donc poursuivi mon action et contribué à élever notre Fédération à un niveau international de qualité et étions passé à près de190 fédérations, et ce, après avoir poussé à la création de nouvelles fédérations. En 1986, nous étions à Madrid pour les championnats du monde et un jour, le président en activité, M. Robert Helmick (Etats-Unis) que j’ai fortement soutenu pour son élection m’a convié à un dîner. Il m’avait bien expliqué qu’il lui serait impossible de prétendre à un second mandat, même en cas de modification des statuts à cause de sa profession d’avocat et ses charges de président du Comité olympique des Etats-Unis.
Il voyait en moi son digne successeur. Je lui avais répondu: «Je viens d’Afrique, et tu sais quel est le niveau de la natation dans ce continent et qu’en plus il y avait un candidat européen qui voulait se présenter.» Il m’avait répondu qu’il garantissait mon élection après consultation de nombreuses fédérations. Je lui ai également dit que je ne pouvais rien décider sans la consultation de mes responsables du ministère de la Santé publique ainsi que celui du ministère de la Jeunesse et des Sports, car j’étais un fonctionnaire.
Après avoir officialisé ma candidature, j’ai été sollicité par l’autre candidat, qui m’a conseillé de renoncer en m’affirmant que je n’avais aucune chance, surtout avec le niveau de la natation africaine en me conseillant de me porter candidat pour le mandat suivant avec la règle d’un seul mandat. J’ai maintenu ma candidature et j’ai crée une confédération méditerranéenne de natation en août 1988, soit un mois avant le Congrès, et ce, pour prétendre bénéficier d’autres voix.
Ce qui fut fait. C’est ainsi que j’ai remporté l’élection avec 130 voix contre 31. Mon concurrent ne m’a jamais félicité, mais il m’a tout de même sollicité afin de me demander s’il pouvait postuler pour la poursuite de sa mission de trésorier.
Je lui ai répondu que cela ne me gênait pas et que cela dépendait du vote du congrès. Il a été élu à ce poste puisqu’il était le seul candidat. C’est ainsi que je me suis retrouvé à être le premier Arabe et Africain à être élu président d’une Fédération internationale sportive, et de plus, celle de la natation. En quelque sorte, j’ai ouvert la porte pour que 8 ans plus tard arrivent M. Lamine Diack en athlétisme et puis M. Hassen Moustapha au handball.
- Comment êtes-vous arrivé à faire le consensus autour de vous à la tête de la FINA ?
Je n’ignorais pas que je venais d’être élu, conformément aux statuts, pour un seul et unique mandat qui se terminerait aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992. Notre première réunion s’est donc tenue pour un premier contact avec la présence du président Robert Helmick (USA) et le secrétaire général (Canada) qui siègeront, conformément aux statuts, en qualité de membres du bureau pour un mandat, mais sans droit de vote.
(Pour la continuité). J’ai alors présenté mon programme qui comportait notamment la création de nouvelles compétitions, la révision du calendrier en expliquant la nécessité d’augmenter nos recettes en impliquant davantage de sponsors, la télévision pour les retransmissions et, pour ce faire, inscrire plus de compétitions, coupes, championnats de juniors, etc.
Ce qui a été accepté sans difficulté surtout lorsque j’ai fait part aux membres de mon projet de faire prendre en charge par la FINA, le plus tôt possible, tous les frais (voyage et séjour) des participants à nos championnats du monde. Au cours de la réunion du Bureau exécutif, M. Helmick proposa alors de modifier la règle concernant le mandat unique et le porter à un maximum de deux. Cette proposition a été faite au Congrès qui l’a adoptée à l’unanimité et qui m’a réélu pour un second mandat (1992-1996)
- Lors de votre passage au Comité olympique international (CIO), dont vous êtes actuellement membre d’honneur depuis 2009 à ce jour, quels sont les œuvres auxquelles vous avez participé ?
Le défunt président Juan Antonio Samaranch m’a proposé en 1994 d’entrer au CIO en qualité de membre en raison de ma position de président de Fédération internationale. Je lui ai fait part que mes fonctions de président de la FINA et celle de directeur d’hôpital en Algérie me prenaient beaucoup de temps. Il fut surpris par ma réponse et m’a répondu que la FINA était une discipline très importante pour les Jeux et que ma présence au CIO était nécessaire. J’ai donc accepté et me suis retrouvé en 1995 membre du CIO avec mon compatriote et aîné le regretté Colonel Zerguini.
J’étais déjà membre des commissions suivantes : anti-apartheid (1991,1992), mouvement olympique (1991-1999), évaluation des jeux de la XXVIIe olympiade 2000 (1993), puis il m’a désigné pour les commission de coordination des Jeux de Sydney 2000 (1995-2000), femme et sport (1996-2002), CIO 2000(1999), étude des Jeux olympiques (2002-2006) marketing (2003-2010), évaluation des Jeux de la XXXe Olympiade 2012 (2004-2005), coordination des Jeux olympiques de Londres 2012 (2005-2012), candidatures (2006-2010). Je dois reconnaître que ces commissions m’ont permis d’enrichir mes connaissances sur tous les plans et j’en profite pour dire toute ma reconnaissance.
La règle portant limitation à 2 mandats fut abrogée au Congrès de 1996 pour me permettre d’effectuer un troisième mandat pour lequel j’étais seul candidat. Cette disposition m’a permis d’effectuer un quatrième et cinquième mandat sans concurrent. (à suivre…)