Dans l’entretien à El Watan, Mustapha Hadj Ali parle de son roman L’Evadé de Cayenne consacré à un bagnard algérien installé au Venezuela. «L’histoire fabuleuse de Salhi Amar m’avait tellement subjugué, que l’occasion qui m’était offerte de l’écrire était un privilège. Je l’ai fait donc avec un grand plaisir, d’autant que l’histoire des Algériens au bagne de Guyane ne m’est pas étrangère», affirme l’auteur. Le roman paru aux éditions El Amel est retenu pour le concours du meilleur roman par l’instance organisatrice de la Journée du manuscrit francophones (JDMF), édition 2023.
Propos recueillis par Nadir Iddir
-Votre dernier livre L’Evadé de Cayenne raconte l’histoire de Salhi Amar, un Kabyle d’Aït Laâziz (Bouira), que la colonisation a condamné aux travaux forcés. Après son évasion avec neuf autres forçats du chantier forestier de Godebert, il s’installe au Venezuela où il fonda une famille. Comment est né le récit de ce bagnard de la première moitié du siècle dernier ?
Les descendants de Salhi Amar, résidants, l’un en France, l’autre à Bouira, m’avaient approché pour éventuellement écrire l’histoire de leur ancêtre. S’ils m’ont contacté, c’est parce qu’ils savent que je suis auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire des déportés, dont ceux de Guyane. J’ai donc recueilli leur témoignage ; ensuite, ils m’ont mis en contact avec des vieux avec lesquels il passait son temps au marché et dans les cafés à Bouira, auxquels il avait raconté son aventure, comme ils l’ont fait aussi avec ses descendants au Venezuela qui m’ont raconté toute son histoire là-bas. Sur ce, je n’ai pas hésité un instant, tellement le récit est palpitant.
-L’histoire d’un autre bagnard, Henri Charrière, alias Papillon, dont vous reprenez une citation au début de votre roman, a dû vous inspirer…
Tout à fait ! D’ailleurs, j’y ai tout de suite pensé, car l’histoire de Papillon reste une référence à travers le monde. J’ai lu le roman (un best-seller) et vu le film dont les acteurs étaient célèbres (Dustin Hoffman et Steve McQueen). Aussi, j’ai déduit que l’histoire de Salhi Amar n’a rien à envier à celle d’Henri Charrière.
Pourquoi le choix de la fiction (roman), alors que vos autres textes empruntent beaucoup à l’écriture historique ?
C’est vrai que j’ai beaucoup écrit sur l’histoire des Algériens et Algériennes déportés(es) à toutes les époques de la domination française vers les bagnes coloniaux d’outre-mer (Guyane française, Nouvelle-Calédonie, Obock), les pénitenciers agricoles corses, les centres d’internement pour prisonniers de guerre en métropole.
L’histoire fabuleuse de Salhi Amar m’avait tellement subjugué, que l’occasion qui m’était offerte de l’écrire était un privilège. Je l’ai fait donc avec un grand plaisir, d’autant plus que l’histoire des Algériens au bagne de Guyane ne m’est pas étrangère.
-L’ex-bagnard d’Aït Laâziz, qui fonda une famille dans la lointaine Amérique latine, revenait régulièrement chez lui. Il y meurt presque centenaire. Qu’est-ce qui motive son retour à la terre des ancêtres après 41 ans d’exil ?
Amar Salhi avait vécu dans l’aisance avec sa famille fondée au Venezuela pendant une quarantaine d’années, mais il était sans cesse rongé par l’amour de sa patrie, l’Algérie qu’il n’a jamais oubliée tout le long de son exil. Ce fut en partie une des raisons qui l’avaient poussé au retour dans sa Kabylie natale.
Toutefois, il y avait d’autres raisons, comme le fait d’être éloigné de force, donc malgré lui, mais aussi, le fait d’avoir laissé une famille en Algérie.
-L’histoire des exilés et bagnards de la colonisation n’a pas intéressé l’historiographie nationale. Il existe quelques travaux pionniers (Mehdi Lalloui, Mélica Ouennoughi ) et même un documentaire qui a eu le succès public que l’on sait (S. Eulmi). Pourquoi ce désintérêt selon vous ?
A mon avis, ce désintérêt vient du fait que ce pan de l’histoire de l’Algérie n’est pas enseigné dans les écoles. J’ai eu dernièrement une longue entrevue avec un haut fonctionnaire de l’Etat et la discussion portait sur ce sujet tant crucial. Je reste convaincu que cette question sera discutée entre les instances concernées de l’Etat et que le projet aboutisse un jour. Ce n’est qu’une question de temps.
-Comment faire pour vulgariser l’histoire oubliée des déportés algériens parmi les jeunes générations ?
Je pense qu’une partie de la réponse à cette question est donnée plus haut. Néanmoins, il y a lieu d’ajouter que les écrits sur ce sujet ne manquent pas, mais la traduction en arabe fait toujours défaut, sachant que les jeunes Algériens maîtrisent mieux la langue arabe.
Les auteurs ne peuvent pas faire face au prix trop élevé de la traduction en arabe d’une œuvre écrite dans une autre langue. Puisse l’Etat nous venir en aide, en nous déchargeant de ce fardeau !
Bio-Express
Né le 15 octobre 1951 à Aït Bouaddou (Tizi Ouzou), Hadj Ali Mustapha est un chercheur passionné d’histoire. A son actif, plusieurs ouvrages consacrés aux Algériens condamnés à l’exil dans les centres d’internement de la colonisation : Les Algériens en Nouvelle-Calédonie, l’insurrection de 1871, Les bagnards algériens de Cayenne, Des révoltes populaires aux déportations.