Quittant en 1993 l’OLP, dont il était membre, il désavoue Yasser Arafat et son équipe, pour protester, contre les Accords d’Oslo, jugés trop conciliants. Mon ami Madjid Kaoua, le ciseleur de rimes, l’avait qualifié de «troubadour de la douleur». «Mon peuple est meurtri, je veux une paix, mais une paix juste», Mahmoud Darwich (1941- 2008)
D’entrée, Mustapha annonce la couleur, le défi qu’il a engagé. Qui se décline comme une belle histoire de militance, de fidélité et de persévérance. Résister avec l’espoir de sonner, un jour, l’hallali de toutes les oppressions et les répressions. Mustapha aura traversé ce dernier demi-siècle de façon irréprochable, vibrant de ses espoirs, de ses erreurs, de ses talents et de ses aveuglements, de ses fulgurances et de ses générosités aussi. Mustapha a toujours été joyeux, mais aussi anxieux parfois, et souvent sentimental. Perfectionniste, il aime passionnément son métier, j’allais dire son sacerdoce, qu’il porte comme un pari sur lui même, sur la vie, voire comme un défi. Pour cela, il ne faut pas se faire de souci, car notre artiste est un militant engagé aux convictions inébranlables, son cœur ouvert aux autres et sa main toujours prête à entraîner quelque naufragé de la vie. S’il a réussi à toucher autant, à séduire, c’est qu’il trimbale avec lui, pour nous, notre mémoire, nos nostalgies, nos complaisances, mais aussi nos rêves. Mustapha, l’enfant de La Glacière, quartier populaire d’El Harrach, est parti assez jeune, Outre-Méditerranée, pour imposer son talent, lui qui avait fait ses preuves à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, à un âge, où il n’avait d’autre solidarité que celle de la famille et de son entourage, et d’autre engagement politique qu’en la conviction en des principes et des idéaux de justice, de liberté et de lutte contre toutes les oppressions.
Globalement, ses œuvres sont des collages à partir de bouts de papier arrachés à des magazines, que l’artiste transforme en portraits de femmes et d’hommes qui se sont battus pour la liberté, la justice, la dignité et qui, malgré toutes les contrariétés, ont résisté avec bonheur et honneur. Et Mustapha de préciser : «Pour mes collages, je n’utilise, que les magazines de la presse bourgeoise, que je déchire. Le concept, c’est déchirer le mensonge, et le réinterpréter par des portraits engagés. Je tente de faire connaître les opprimés, les insoumis, les révoltés, tous ceux qu’on stigmatise.» Dans sa démarche, l’artiste a choisi sept séries, qu’il a scindé en thèmes tout aussi prégnants les uns que les autres «America basta», «Black is toujours beautiful», «Femmes d’Alger», «Insurgés», «les Poètes», «Sous les pavés», «les Gitans», «Contre images» et bien sûr «Résistances», thème de son exposition actuelle à Alger.
Alger Mecque ses Révolutionnaires «Résistances», l’intitulé de l’exposition qui se tient au palais de la culture Moufdi Zakaria, est une mosaïque de portraits divers, de personnalités qui nous ont marqués par leur engagement progressiste, leur héroïsme, leur sacrifice. Parmi les «auréolés» de Boutadjine, certains avaient magnifié notre lutte de libération, d’autres s’étaient manifestés par leur attachement aux valeurs humanistes, par leur combat constant contre les injustices et les inégalités.
De quoi s’agit-il, en fait ?
D’une ode, d’un dessin, d’un destin, d’un dessein qui fouettent nos émotions et titillent notre fierté, particulièrement les gens de notre génération, quand Alger était la Mecque des Révolutionnaires. C’était lors de la fiévreuse décennie 1970, qui venait juste de rendre un émouvant hommage solennel au Festival Panafricain abrité par Alger en liesse des jours durant. Il y avait Eldreage Cleaver, Angela Davis, Nina Simone, Myriam Makeba qui a chanté les paroles de Mustapha Toumi (Ana Horra fil Djazaïr), Archee Shep, les Palestiniens, l’ANC de Mandela, ceux d’Angola, du Portugal, futurs artisans de la révolution des œillets et tombeurs du dictateur Salazar, les Blacks Panthers, Che Guevara... La Cinémathèque, lieu culte, s’animait avec les films et les débats menés par les Costa Gavras, Chahine , Trintignant, Pontecorvo, Arcadi et les autres. Toute cette épopée, Mustapha a su, avec brio nous la transmettre à travers des tableaux aux couleurs chatoyantes , pour nous rappeler aussi comme Aragon «que rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force ni sa faiblesse».
S’il en parle avec ferveur, c’est que cette période, l’artiste l’a vécue pleinement, intensément passionnément. «L’Algérie se remettait à peine de la guerre et accueillait un bon nombre de progressistes venus de partout et des membres des mouvements de libération du monde entier, notamment les Blacks Panthers dont a fait partie Mumia Abou Djamal. J’ai connu personnellement Eldridje Cleaver à Alger où on pouvait le voir déambuler parmi le peuple à la rue Didouche Mourad. J’ai fait des affiches pour son mouvement ainsi que pour d’autres ‘‘révoltés’’, comme les Basques, le FLNC et toute l’Amérique latine.»
Notre ami, dramaturge et écrivain, Slimame Benaissa, grand complice de Mustapha a bien disséqué l’œuvre foisonnante de son ami. «La force et la puissance de son art ne se limitent pas à donner vie à un visage par le collage, non, mais à nous raconter l’histoire d’une grande figure : les bouts de papier arrachés à des magazines, qui nous ont menti, se mettent comme par magie, à nous dire subitement la vérité. Mustapha, le magicien, manipule ces bouts de papier comme des déchirures, qui donnent sens à la gravité du vécu du modèle», commente l’auteur de l’inoubliable Boualem zid el gouddam. Ainsi, à bien réfléchir sur le travail de Mustapha, on peut sans hésitation le remercier, non seulement pour son art original mais aussi pour le travail de mémoire, en mettant en évidence des hommes et des femmes qui se sont révoltés pour notre liberté et notre dignité : Larbi Ben M’hidi, Djamila Bouhired, Louisette Ighilahriz, Jacqueline Guerroudj, Djamjla Boupacha, Ourida Meddad, Hassiba Ben Bouali, Djamila Amrane, Baya Elkahla, Ali La Pointe, Raymonde Peschard, Patrice Lumumba, Nelson Mandela, Che Guevara, Frantz Fanon, Hô Chi Minh, Gisèle Halimi, etc.
UN DEVOIR CIVIQUE, UN DEVOIR DE MEMOIRE
Moi, ce que j’ai aimé chez Mustapha au-delà de son don inégalé, c’est sa spontanéité et son franc-parler. Je me souviens de cette répartie de «haute voltige» assenée à un journaliste, quelque peu discourtois, qui s’était hasardé à lancer ce questionnement : «Quel est l’élément qui a déclenché cette envie de mettre en avant des résistants, vous considérant vous-même comme un résistant ?» Quel a été le déclic ? La réponse spontanée a été fulgurante et implacable. «Il n’y a pas eu de déclic, je suis né dans le déclic. Je suis Algérien, c’est dans mes gènes.»
Il est vrai que Mustapha a vu le jour à El Harrach à quelques encablures de la phase prénatale de notre glorieuse Lutte de Libération nationale. Ses héros, Mustapha les a immortalisés dans son art qui est sa flamme, sa conscience et son intelligence. Il a ainsi inlassablement travaillé sa partition, chacun dans le domaine qui est le sien, mais tous mus par le même idéal : la liberté, toujours accompagnée de dignité. Mustapha acquiesce en rappelant que cela est le propre de l’artiste et ne dit-on pas que «c’est le privilège de l’artiste que d’arracher au temps et à la mort des bribes d’éternité».
Modeste, sociable,bien dans sa peau, Mustapha préfère les faits aux effets de style et aux grandes envolées, à l’instar des tonneaux vides qui, comme on le sait, sont ceux qui font le plus de bruit. Pour rien. C’est hélas la posture de bon nombre de nos contemporains qui ont assiégé notre époque pleine d’esbroufe, d’hypocrisie, d’imposture, de trahison et de défis sérieux à nos valeurs bien ancrées.
IMPRESSIONS ÉPARSES
Quelle joie, quelle émotion de visiter ton expo cher Mustapha, l’ami, le frère et le camarade, en ta belle présence et celle des membres de ta famille. Que dire ? Merci, un grand merci pour ce que tu fais. Je suis de toi et de cette belle Algérie d’en bas que tu représentes si bien.
Lazhari Labter, jounaliste, auteur, poète : «Quelle fierté de pouvoir, enfin, admirer toutes ces œuvres dédiées aux résistants dont nos valeureux moudjahidine et moudjahidate. De Larbi Ben M’hidi à Patrice Lumumba, de Simone de Beauvoir à Djamila Boupacha. Le voyage est plein d’émotions. Merci à notre Boutadjine égal à lui-même.»
Nadia Hammouche : «Bravo pour ton exposition et ton engagement. La technique est maîtrisée
J’aurais aimé que tu pousses un peu plus vers l’abstraction, tout en gardant le réalisme.» Djenidi : «C’est avec beaucoup de plaisir que je découvre la technique, éminemment originale. Un talent fou.» «Avec toute mon amitié et mon admiration.» Farid Benyaa. Artiste peintre. Architecte.
Par Hamid Tahri
BIO EXPRESS
Mustapha Boutadjine est né en 1952 à Alger. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris en design. DEA en esthétique et sciences de l’art. Paris 1 Panthéon. Sorbonne. Diplômé de l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger en architecture d’intérieur, ex-maître assistant et chef du département design. Alger, ex-enseignant associé à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. Graphiste et rédacteur au journal l’Humanité pendant 30 ans. Directeur de la galerie d’art Artbribus Paris.