Musique : Jugulator ravive les flammes du «metal» à Oran

22/07/2023 mis à jour: 00:34
1345
Jugulator à Oran - Photo : D. R.

Le «metal» et ses variantes, voici un genre musical qui n’a en général pas bonne presse et c’est plus précisément le cas en Algérie où il a quand même des fans (en général de la classe moyenne instruite) mais surtout des groupes qui le représentent.

Jugulator d’Alger est de ces exceptions-là mais qui, qu’on le veuille ou non, qu’on tienne compte ou pas du fait que le courant soit importé font partie du paysage musical local. Il s’est produit à Oran dans le cadre d’une petite tournée (comprenant aussi Annaba, Constantine, Alger et  Tlemcen) que l’Institut français lui a organisé pour enflammer un public majoritairement jeune (mais pas que) et qui s’est déplacé spécialement pour l’occasion.

La prestation du groupe algérois ne se mesure pas seulement au niveau de décibels émis car les musiciens font aussi preuve de beaucoup de maîtrise, une qualité rehaussée par le fait que ce soient leurs propres morceaux qu’ils proposent au public. Des chansons de leur précédent album Under the verdict mais aussi et pour le bonheur de leurs fans, car il y en avait, du prochain album prévu pour bientôt.

Dans le spectacle, il n’y avait, il est vrai, pas assez de monde pour tenter le «crowd surfing» mais assez pour créer de l’ambiance avec le  «crowd jumping» et le signe des cornes, un des clichés qui caractérisent le genre. A cela s’ajoutent, comme signe d’appartenance à une communauté, les tee-shirts portés, chacun son goût, à l’effigie d’une multitude de groupes lointainement apparentés comme AC-DC (hard rock) ou proches du genre mais sans l’être réellement tel l’orageux Nirvana (grunge) mais évidemment aussi l’emblématique Metallica (trash, heavy et speed Metal), groupe américain parti de la scène underground pour atteindre ensuite l’hyper commercialisation à partir des années 1990.

On remarque même un autre à l’effigie de Hellfest, un Festival annuel français dédié au genre. Les musiciens aussi en portent à l’instar de celui du chanteur et guitariste Ramzi Abbas, peut être Let’em burn du groupe texan (USA) Nothing More ou alors Lelahell (algérien) porté par le bassiste Ziri Abes. L’ambiance est très particulière et il faut avoir les tympans assez solides pour supporter les distorsions du son des guitares mais surtout le jeu puissant de la batterie. N’empêche, au-delà de ce qui apparait comme un bruit infernal et un chant inhabituel se cache tout le travail musical et rythmique ainsi que le choix des arrangements qu’il y a en amont.

Derrière les prouesses techniques transparait également bien la cohésion du groupe qui cumule près d’une dizaine d’années de travail. Les deux guitares, quand elles ne sont pas en phase pour jouer les mêmes riffs, alternent des petits solos qui confèrent plus de richesse aux compositions. Toutes proportions gardées, en termes de référence dans la cohésion, l’usage de deux guitares est porté parfois à des niveaux subliminaux avec des solos exécutés en harmonie par des groupes comme le britannique «Iron Maiden», un des «mastodonte» du genre heavy Metal mais dont s’inspire également le trash. Les influences, inévitables, transparaissent de temps à autre et certaines remontent à très loin.

Un petit passage de batterie de Abderrazak Yahimi évoque, à ne pas s’y méprendre, un des chefs d’œuvre de l’un des pionniers du hard rock, Deep Purple (Child in Time). Peut-être un clin d’œil à tous ces  ancêtres du hard rock dont les influences continuent d’irriguer le genre à l’instar de l’incontournable Black Sabbath dont l’album Paranoid  remonte à 1970.

Des influences qui subsistent  malgré la profusion des genres et des sous genres qui ont émergé très vite au fil du temps pour aboutir au trash dont il est question ici (développé également  par Megadeth, Slayer, Anthrax) mais aussi à toute une flopée de qualificatifs attribués au Metal (doom, death, black, etc.) non sans créer des confusions comme pour le Gothique ou le Symphonique (Nightwish, Within Tempatation, Epica) où les femmes remplacent au chant généralement mélodieux, les voix suraigües des perles rares côté hommes. Il faut toujours garder à l’esprit qu’il s’agit de musique et donc d’art et qu’il n y a aucunement besoin de trouver des liens avec le réel.

Une des raisons et des amalgames de la marginalisation. Le genre est né de la jonction entre le rock forcément américain et le classicisme européen teinté à l’origine d’un peu de fiction occultiste du 19ème siècle pour proliférer dans le monde occidental notamment aux USA et en Grande-Bretagne puis dans le reste de l’ Europe, surtout dans les pays nordiques, en premier lieu la Finlande (le plus grand nombre de groupes par million d’habitants) mais aussi en Allemagne (comme avec Accept et l’album Metal Heart des années 1980) et, dans une moindre mesure, ailleurs dans le monde comme au Bresil (Sepultura) et même en Asie notamment au Japon.  Malgré l’existence de soupçons de contestation sociale chez certains, les références mais seulement dans l’esthétique, à la mort, à l’enfer, etc. sont prédominantes avec parfois un vocal caverneux pratiqué par des groupes qui semblent être nés directement dans le Styx.

Ce n’est que de l’art, admis ou pas, et les visions cauchemardesques privilégiées par certains n’ont pas de traduction dans la réalité (preuve en est que la Finlande est le pays le plus paisible de la planète). En revanche certains groupes piochent dans les mythes et légendes à l’instar du groupe «Symphony X» qui revisite l’Odyssée du poète grecque Homère dans The Odyssey, d’autres carrément dans l’histoire, côté épique, comme c’est le cas pour le titre Alexander The Great (Iron Maiden) et d’autres encore privilégient les prouesses technique et artistiques du metal progressif bien représenté par un groupe comme Dream Theater, une des formations phares.

Le style baigne au milieu de toutes ses influences qui s’entremêlent et le groupe algérien, selon les préférences de ces musiciens, en adopte les codes et les thématiques (la guerre, le sang, etc.) en évitant toute forme d’adaptation aux genres locaux, même pas dans la langue comme d’autres l’ont fait.  Jugulator existe depuis 2014, mais on peut très bien commettre un lapsus avec l’année 1997, date de sortie de l’album du même nom de l’un des groupes phares du genre metal dont on s’inspire également, Judas Priest qui a signé 20 ans auparavant, en 1977 Sin after sin, leur premier album crédité en tant que tel même s’il comporte la reprise Diamonds and rust de l’égérie de la folk et du protest song Joan Baez. The evil is back (le diable est de retour) est par contre l’intitulé et le constat de l’un des morceaux du groupe algérien qui a interprété plusieurs titres de son deuxième album sorti en 2021 à l’instar de Crysis.

Au milieu du spectacle, les membres ont demandé au public d’observer une minute de silence en hommage à leur guitariste Abdelwahab Merzouk, décédé tout récemment. «Un exemple de courage», indique à son propos Ramzi Abbes et c’était «pour avoir surmonté sa maladie et continué à performer jusqu’au bout». Il a été remplacé à l’occasion par Lamine Amrane qui semble bien s’intégrer dans la formation.

«Le concert s’est très bien passé, le public était présent, en feu et  il nous a rendu la pareille en nous donnant l’énergie qu’il faut pour être performant et secouer la salle», nous déclare le chanteur à l’issue de la prestation précisant que c’est la première fois que son groupe se  produit en dehors d’Alger  mais que «c’était  partout excellent lors de cette tournée». Vu l’engouement que cela a suscité et  rappelant que le metal existe  depuis une bonne trentaine d’années en Algérie, même si  c’est vrai que c’est plus dynamique à Alger,  il considère au final qu’ «il  n y a pas de raison que cela s’arrête».

En ce qui le concerne, ce n’est certes pas facile d’assumer en même temps la guitare et le chant mais avec une octave au-dessus ou même en dessous, l’enfer n’en aurait été que plus beau. Mais, après tout, comme cela a été demandé au public pour chanter un refrain en chœur, We live in Algeria (Nous vivons en Algérie). C’était l’épilogue du spectacle, juste avant le rappel pour une reprise forcément Metallica. 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.