- Comment peut-on définir le tourisme alternatif ? Est-il une mode passagère ou une tendance lourde ?
A mon avis, et cela ne m’engage que moi, ni l’un ni l’autre. Si l’on dit que c’est une mode passagère, cela veut dire que le besoin de mettre en valeur les ressources naturelles, sociales et culturelles des destinations ainsi que celui de découvrir et de préserver la nature, ou encore de veiller que les recettes touristiques participent au développement des économies locales n’a pas d’ancrage socio-économique et culturel. Or, ce besoin, y compris celui de payer les prestataires et salariés locaux au juste prix de leurs efforts répond à une mutation socio-économique et culturelle aussi bien chez le touriste que chez les populations des territoires visités.
C’est une prise de conscience née des mutations socio-économiques et culturelle et, du coup, elle ne peut pas être passagère. Dans le même ordre d’idées, dire que c’est une tendance lourde est un peu trop tôt car cela veut dire que le marché du tourisme alternatif sera à moyen terme aussi important que celui des autres types de tourisme tel que le balnéaire, d’affaire, de santé pour ne citer que ceux-là. A ce niveau d’évolution, je préfère dire que nous sommes en face d’un marché de niche que d’une tendance lourde de comportement. Toutefois, veiller à ce que le tourisme réceptif soit un tourisme responsable, ce qui est un genre de tourisme alternatif, est une nécessité impérieuse et des Etats veillent à en faire une démarche d’éthique.
- Que cherchent les touristes dans ce genre d’escapade ? L’aventure ? La découverte ? L’immersion dans des modes de vies authentiques ?
Avant tout, ils cherchent à répondre à un besoin d’affirmation. Et dans ce type de tourisme, comme au début des années 1980 avec le slogan «ne pas bronzer idiot» pour le tourisme balnéaire, le leitmotiv est de «voyager utile». Que ce soit dans le cadre des séjours de loisirs, de découvertes ou autre, la clientèle potentielle du tourisme alternatif est soucieuse de la préservation de l’environnement, de la découverte de l’autre avec son monde et sa culture. Elle cherche à vivre des moments d’authenticité, de veiller à ce que ses dépenses dans le cadre de son voyage soient justes et aillent à ceux qui les méritent, de laisser sa trace, sa touche et, il faut bien le dire, qu’on lui reconnaisse cet «engagement» car c’en est un. D’ailleurs, c’est pourquoi le message commercial des offreurs de ce type de tourisme fait référence à ces attentes.
- Ce genre de tourisme profite-t-il réellement aux territoires touristiques de l’Algérie ?
Oui, mais c’est relatif à la taille de ce marché. Il y a plus d’une année, avec des amis, on a lancé des voyages organisés en Grande Kabylie, dans des villages de la région de Tigzirt et Azra avec un hébergement chez l’habitant, une restauration locale, un transporteur issu de la localité et une participation physique et/ou pécuniaire aux activités citoyennes d’un village. Mais restons lucides car avant de tirer les premières conclusions il nous faut des audits qui répondent aux questions du genre quelle est la place des acteurs économiques et sociaux locaux retenus par le voyagiste, que nous étions, sur l’économie locale. Si nos efforts sont allés financer une économie informelle, c’est que des réglages sont à apporter. Et pour être méthodique, nous devons passer par des chartes à même d’encadrer ce type de tourisme comportant des critères d’évaluation des différents impacts.
- Qui est appelé à élaborer et à adopter ces chartes ?
Les collectivités locales, à travers des offices de tourisme réformés, en concert avec les acteurs socio-économiques locaux concernés par ce type de tourisme. Les collectivités locales doivent être au cœur des politiques touristiques et leurs outils d’intervention sont les offices de tourisme. Or, et pour le moment, c’est l’un des maillons faible de notre chaine de valeurs touristiques.
- Le tourisme alternatif est-il une forme de concurrence pour les agences de tourisme ?
Pas du tout. Le tourisme alternatif cherche, entre autres, à rémunérer à sa juste valeur les efforts de chaque acteur de la chaine, y compris l’agence de voyages locale si elle est sollicitée. Mieux, le tourisme alternatif est à la fois un nouveau marché pour elles et qui est très porteur en matière de communication. Par contre, si vous faites allusion aux groupes des médias sociaux, aux associations et autres structures non agréées qui organisent des voyages avec une thématique du genre tourisme rural, éco tourisme, tourisme durable…, ces «fraudeurs» portent la négation même du tourisme alternatif.
On ne peut pas se prévaloir faire du tourisme alternatif alors qu’on est dans l’informel, qu’on ne paie pas l’impôt dont une partie revient à la collectivité locale, on ne crée même pas les emplois chez les locaux, on négocie les prix à la baisse chez les producteurs locaux de service et la liste est longue. Dormir à la belle étoile ou juste passer la journée, rapporter avec soi et de chez soi nourriture et boissons, recourir au transporteur cousin issu de la grande ville émettrice n’est même pas du tourisme pour chercher à le caser dans tel ou tel type.
- Le tourisme est un vecteur de transmissions d’effets positifs transversaux (aux sociétés et à l’environnement), mais il peut aussi être celui de pressions susceptibles de détruire ses propres ressources si on le développe sans se soucier de sa durabilité. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement. Et, le tourisme responsable ou, disons la démarche tourisme responsable, est l’un des outils de prévention.
On parle beaucoup des effets sur l’éco-système, sur la biodiversité, sur l’environnement quand on parle de tourisme responsable et on oublie un élément important qu’est l’effet économique et financier. A travers un tourisme responsable, nous devons veiller à ce que le tourisme, notamment international, ne soit pas une source de fuites de capitaux, ne soit pas un havre de corruption et un paradis de blanchiment d’argent. Avec des confrères de l’association française des experts et scientifiques du tourisme et ceux de l’association mondiale pour la formation hôtelière et touristique, j’ai travaillé sur ce sujet en 2013 au lendemain des sanglants attentats ciblant le secteur du tourisme, sur une demande du ministère tunisien du Tourisme. La conclusion est qu’on ne peut pas se passer d’un tourisme responsable si l’on veut que l’activité soit au service de l’économie national et des économies locales.
- C’est-à-dire ?
Que c’est beau de dire que le tourisme rapporte telle recette en devises pour tel pays mais le plus beau est de situer la part de ces recettes qui rentrent réellement au pays. Quand 85% de facture que paye le touriste reste dans son pays émetteur et que les 15% qui rentrent permettent aux hôteliers de vendre juste aux coûts, il faut être prudents car, et comme vous le dites bien, il y a risque de destruction des propres ressources du pays réceptif.K.
Propos recueillis par Kamel Benelkadi