Mouloud Benabdi. Biologiste, spécialiste de la conservation des espèces et habitats marins : La protection des sites algériens est un maillon prioritaire pour la conservation de la tortue caouane en Méditerranée

21/04/2022 mis à jour: 04:01
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  • La littérature scientifique et autres écrits font état de sites de nidification d’au moins deux espèces de tortues marines sur le littoral algérien, existent-ils toujours ? 

Sept espèces de tortues marines appartenant à deux familles (Cheloniidae et Dermochelyidae) sont les seules vivantes de ce qui a été autrefois, un grand et diversifié groupe de tortues marines. Elles peuplent nos océans depuis plus de 150 millions d’années. Six d’entre elles sont classées par la liste rouge de l’UICN comme menacées ou gravement menacées. Trois espèces fréquentent la mer Méditerranée : la tortue caouanne (Caretta caretta), la tortue verte (Chelonia mydas) et la tortue luth (Dermochelys coriacea). Seules les deux premières s’y reproduisent. 

La présence de tortues marines sur toute la côte algérienne a été fréquemment signalée depuis la fin du dix-huitième siècle. Le bassin algérien et la mer d’Alboran sont considérés comme une aire d’alimentation importante pour les tortues caouannes, ainsi que pour la tortue Luth. Quant à la tortue verte, elle est principalement confinée dans le bassin oriental et sa présence n’est qu’accidentelle en Méditerranée occidentale.

Les tortues marines fréquentent les eaux algériennes mais sont rarement observées à cause de leur caractère solitaire. Elles interagissent rarement entre elles en dehors de la période d’accouplement, ce qui accentue la difficulté de leur étude. Leurs échouages fréquents constituent cependant la plus importante source d’information. Aucune nidification récente n’a été confirmée avant 2017 où un nid de Caouanne a été découvert à Collo (Skikda) par des membres du Réseau National de Conservation des Tortues Marines (ALSNet). Une découverte qui a ouvert de nouvelles perspectives d’étude en Algérie.

Par ailleurs, la découverte depuis 2016 de plus en plus de nids à Chatt Ezouarea en Tunisie, à moins de 20 km de la frontière algéro-tunisienne, confirme les potentialités de la côte algérienne, notamment à l’est.

  • Selon vous, la disparition des zones de nidification est-elle irréversible ou y a-t-il un moyen de les réhabiliter et de les protéger rigoureusement ?

Les connaissances actuelles font état depuis 2018 de plus en plus de nidification de la tortue caouanne dans le bassin occidental de la Méditerranée et les scientifiques estiment qu’il s’agit d’une nouvelle colonisation due au changement climatique qui influencent la migration et la reproduction. Cette hypothèse est corroborée par des modèles de prédictibilité des côtes abritant des habitats favorables à la nidification des tortues caouanes en Méditerranée. Nous estimons que la côte algérienne devrait abriter un nombre plus important de nids qui ne sont pas détectés à par l’absence de monitoring.

De ce fait, la protection des sites de pontes le long de la côte algérienne constitue un maillon très important et prioritaire pour la conservation de cette espèce en Méditerranée.

  • L’Union internationale de la Conservation de la nature a lancé un appel en direction des décideurs politiques et des gestionnaires d’aires protégées pour la conservation des tortues marines de Méditerranée. Y a-t-il, à votre connaissance, des projets dans ce sens ?

L’Algérie dispose d’une série de textes réglementaires protégeant directement ou indirectement les tortues marines et leurs habitats marins et terrestres. 

Depuis 2018, le ministère de l’Environnement en collaboration avec le Centre des activités régionales des aires spécialement protégées (SPA/RAC) a initié un Programme national pour la conservation des tortues marines en Algérie avec la mise en œuvre d’actions intégrées à un projet régional «Conservation des tortues marines en Méditerranée».

Soutenu financièrement par la Fondation MAVA, le projet concerne l’amélioration des connaissances sur les tortues marines le long de la côte algérienne, le renforcement des capacités des acteurs de la conservation, la sensibilisation sur la vulnérabilité de ces espèces et la mobilisation des financements.

Le programme est mis en œuvre par ALSTN et (Algerian Sea Turtles Network), le Réseau algérien pour la conservation des tortues marines créé depuis 2019 par la sous-direction du littoral du ministère de l’Environnement. Il comprend des spécialistes algériens de la conservation des tortues marines et des acteurs institutionnels et associatifs. Le Dr Mouloud Benabdi en assure la coordination.

Propos recueillis par  Slim Sadki

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