Dans la nuit du 21 au 22 mars 1956, Mostefa Ben Boulaïd, chef historique de la Zone I des Aurès Nememchas, était allongé dans son refuge de la région de Nara (dans l’actuelle commune de Menaâ, à 77 km de Batna), en train d’examiner le poste radio largué dans un colis en parachute par un avion français, quelques jours auparavant.
Il tourne le bouton de la radio et une forte explosion retentit. Mostefa Ben Boulaïd est mort sur le coup avec son secrétaire Abdelhamid Lamrani. Cette fin tragique pour ce patriote hors du commun survenait dans des circonstances qui suscitent encore des questions restées sans réponses décisives jusqu’à ce jour. Si Mostefa, qui avait à peine 39 ans, est tombé en martyr, alors qu’il venait de reprendre les commandes dans la région des Aurès pour réorganiser les troupes au maquis, après son évasion spectaculaire de la prison du Coudiat à Constantine le 10 novembre 1955.
Il avait passé neuf mois suite à son arrestation très médiatisée par la presse coloniale à l’époque, au sud de la Tunisie le 11 février 1955, puis sa condamnation à la peine de mort le 22 juin 1955 par le tribunal militaire de Constantine. Il était parti le 23 janvier 1955 depuis le maquis pour un long voyage à pied jusqu’à la Tunisie afin de ramener des armes et des munitions acheminées depuis l’Égypte à travers la Libye.
Il faudra des livres et plusieurs documentaires pour raconter à la jeune génération le parcours riche et exceptionnel, ainsi que l’immense travail accompli par ce brave homme afin de mettre la Révolution sur les rails. Issu d’une famille chaouie de la tribu des Touaba, très connue dans la région d’Arris, où il était né le 5 février 1917, il avait fréquenté l’école française à Batna et réussit à obtenir son certificat d'études primaires.
Ce qui explique son bon niveau d’instruction et sa parfaite maîtrise de la langue française. Ceci reste exceptionnel pour la génération de son époque. Héritant les activités commerciales de son père, il était président de la corporation des commerçants de tissu dans les Aurès, et propriétaire de bus assurant la ligne Arris-Batna.
Depuis son retour en 1945 du front italien où il s’était distingué dans la célèbre bataille de Monte Cassino durant la Seconde Guerre mondiale, il connaîtra une carrière politique remarquable avec son adhésion au PPA-MTLD en 1946, avant de participer en 1948 aux élections de l’Assemblée algérienne où il avait pu récolter un nombre important de voix, mais l’administration française décidera de les annuler pour installer un caïd pro-colonial.
Cette expérience renforcera encore sa conviction quant à l’unique voie de l’insurrection pour libérer le peuple algérien du joug du colonialisme. En parfait stratège, Ben Boulaïd avait travaillé durant des mois dans le secret total, sans éveiller les soupçons autour de son action de la part de l’administration française, surtout qu’il était surveillé par la police et la gendarmerie, en donnant l’impression qu’il avait abandonné la politique après les élections falsifiées de 1948.
Fin stratège et homme de consensus
Devenu l’un des responsables de l’Organisation spéciale (OS), branche armée du PPA-MTLD, dans la région des Aurès, il avait commencé à acheter auprès des commerçants et avec son propre argent des armes abandonnées en Libye par les forces italiennes et allemandes après leur défaite face aux alliés, parvenant à constituer un important stock. Ce sont ces armes bien conservées et cachées qui serviront plus tard lors du déclenchement de la Révolution.
Étant un défenseur acharné du recours à la lutte armée, dont il voulait déclencher à tout prix, et homme infatigable, il multipliait inlassablement les réunions et la mobilisation des militants pour cette date décisive. D’où la création en mars 1954 du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), dont il avait été l’un des fondateurs, et qui sera le précurseur du Front de libération nationale (FLN).
Après avoir présidé la «Réunion des 22» du 25 juin 1954, il sera parmi les six personnalités historiques qui décideront du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954. Sans faire dans l’adulation, et de l’avis de nombreux historiens au vu de son rôle capital, Ben Boulaïd avait été incontestablement l’un des pères de cette insurrection et le principal acteur, ayant servi de véritable noyau qui a montré la voie aux autres.
Personnalité de consensus, dotée d’un charisme exceptionnel, Si Mostef avait réussi à rassembler les tribus de la région des Aurès Nememchas, dont il sera le chef historique pour mener la Révolution tout en étant un parfait organisateur et meneur d’hommes au maquis. Dans la nuit du dimanche 31 octobre 1954, il supervise personnellement la distribution des armes et des munitions à 340 combattants pour mener le combat libérateur. Il dirige les opérations du 1er Novembre 1954 dans l’Aurès, signant le début de l’une des plus grandes révolutions du XXe siècle, et qui finira par changer le cours de l’histoire en Algérie.