L'écrivain Milan Kundera nous a quittés à Paris le mardi 11 juillet, à l'âge de 94 ans, selon l'annonce de la télévision tchèque, suivie de celle des éditions Gallimard le mercredi matin.
Anna Mrazova, porte-parole de la Milan Kundera Library dans sa ville natale de Brno, a précisé à l'AFP : « Malheureusement, je peux vous confirmer que M. Milan Kundera est décédé (...) à la suite d'une longue maladie ». Célèbre dans le monde entier pour son œuvre traduite dans une quarantaine de langues, Kundera était un écrivain en grande partie mystérieux. Il se limitait à déclarer brièvement : « Milan Kundera est né en Tchécoslovaquie. En 1975, il s'installe en France ». Cependant, le diariste Matthieu Galey nous a laissé un portrait plus détaillé de Kundera : « Son accent lui confère un charme infini, et ses yeux bleus, profondément enfoncés dans leurs orbites, rappellent à la fois un boxeur et le pape. Chaleureux et protecteur, il inspire confiance physiquement. Le contraire de ses livres ».
Né le 1er avril 1929 à Brno en Tchécoslovaquie, fils d'un musicologue et pianiste, Milan Kundera a commencé sa carrière en tant que poète avant de devenir romancier. Sa vie d'écrivain est étroitement liée à la littérature, mais aussi à l'histoire d'un siècle marqué par l'effondrement du communisme, qui avait dominé les consciences d'une grande partie de l'intelligentsia européenne. Ce drame a profondément influencé la vocation de Milan Kundera, qui a publié en 1967 son premier roman, La Plaisanterie. Salué par Louis Aragon, qui en a écrit la préface lors de sa publication en France en 1968 en le qualifiant d'œuvre majeure, ce roman puissant au style baroque et entraînant explore, à travers les destins de personnages masculins et féminins, l'une des thématiques fondamentales de l'œuvre de Kundera : la confrontation à la fois dramatique et comique entre la vie intime de l'individu, son caractère insaisissable et aléatoire, et la fiction d'une idéologie collective, en l'occurrence le communisme stalinien. C'est un déchirement que l'auteur a vécu de l'intérieur et qui a en quelque sorte façonné sa vie.
Communiste enthousiaste depuis l'âge de 18 ans, lorsque le parti a pris le pouvoir en Tchécoslovaquie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Milan Kundera a rapidement réalisé la supercherie du socialisme d'État, qui entrave les consciences, en particulier celles des écrivains et des intellectuels, en les forçant à écrire dans une langue morte. Il s'agit d'un régime autoritaire et nivelant que Kundera qualifiera plus tard de kitsch, en raison de son enthousiasme lourd et de sa bêtise tonitruante. Il relate cette désillusion dans La Plaisanterie, où l'un des personnages principaux, le jeune Ludvik, est exclu du parti pour avoir écrit sur une carte postale envoyée à une amie : « L'optimisme est l'opium du genre humain. L'esprit sain pue la connerie. Vive Trotsky ». Pour Kundera, le kitsch, qu'il reprendra comme leitmotiv de la désillusion libératrice dans tous ses romans, est propre à une idéologie spécifique. Il représente la tendance que nous avons tous à embellir la condition humaine et à nier sa dimension tragique pour la rendre supportable. Dans Le Livre du rire et de l'oubli, son premier roman publié en France en 1979, il écrit : « Moi aussi, j'ai fait partie de cette ronde. C'était en 1948, lorsque les communistes triomphaient dans mon pays, et moi, je tenais la main d'autres étudiants communistes. Puis un jour, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, j'ai été exclu du parti et j'ai dû quitter cette ronde ».
Exclu du parti une première fois en 1956, Kundera sera réintégré avant d'être définitivement exclu en 1970, suite à sa participation active au printemps de Prague en 1968. À l'époque, Kundera était membre de l'Union des écrivains et il s'opposait au régime qui serait finalement normalisé par l'intervention soviétique. Cependant, contrairement au lyrisme pseudo-révolutionnaire à la mode parisienne qui prétendait faire table rase du passé, le mouvement praguois défendait la culture européenne et ses traditions menacées par le matérialisme simpliste de l'idéologie pseudo-scientifique au pouvoir. Après la publication de Risibles amours (1971), La Valse aux adieux (1976) et La vie est ailleurs (1973), qui lui a valu le prix Médicis étranger, Milan Kundera affirme ne plus vouloir écrire. Cependant, ses admirateurs et ses amis le convainquent de continuer et l'invitent en France en 1975. Il enseigne à l'université de Rennes et en 1981, François Mitterrand lui accorde la nationalité française, en même temps que Julio Cortázar. Paris devient ainsi sa « deuxième ville natale ». En 1984, il connaît un grand succès avec L'Insoutenable légèreté de l'être, notamment grâce à son adaptation cinématographique en 1988 réalisée par Philip Kaufman et Jean-Claude Carrière. Ce roman, inspiré par la thématique nietzschéenne du refus du poids de l'existence, explore le conflit qui peut exister en chacun de nous entre le désir d'authenticité et le devoir de lucidité. Comment aimer sans se faire d'illusions, ni sur soi-même ni sur l'autre ?
L'amour et l'érotisme jouent un rôle majeur dans les romans de Milan Kundera depuis La Plaisanterie, car l'amour est une épreuve de vérité qui ne tolère aucune échappatoire. Les personnages kunderiens se lancent ainsi dans une quête de vérité, où le libertinage et le romantisme se disputent leur âme. À travers l'autre, ils cherchent à révéler leur propre vérité et à trouver leur identité. Inspiré par des auteurs tels que Kafka, Robert Musil, Diderot et Witold Gombrowicz, Kundera s'inscrit dans la lignée de ceux qui remettent en question les certitudes métaphysiques.
Pour Kundera, l'amour est une longue conversation entre individus de sexe opposé, marquée par un malentendu perpétuel, mais qui peut être réconciliée par une amitié érotique. Contrairement à un désespoir nihiliste, ses romans sont habités par la crainte de l'insignifiance. Il rappelle que l'amour authentique existe dans ce monde, comme il le souligne dans l'un de ses derniers romans, L'Identité (2003). Cependant, il affirme que cet amour relève d'une ascèse spirituelle et peut être considéré comme une forme d'art.
Bien que saluée par des écrivains étrangers renommés tels que Philip Roth et John Updike, et soutenue en France par Philippe Sollers, Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Levy, l'œuvre de Kundera a également suscité des critiques. Certains estiment que son œuvre a pris un «tournant français» et qu'elle est devenue trop verbeuse et chargée de rhétorique. En réponse à ses détracteurs, Kundera, qui n'avait plus accordé d'interview depuis 1985, soutenait que le roman, en tant qu'art total, pouvait intégrer différentes formes, telles que l'essai, le théâtre ou la digression philosophique. Ainsi, dans son roman L'Immortalité publié en 1990, il fait dialoguer Goethe et Hemingway. Ayant une parfaite maîtrise de la langue française, Kundera choisit désormais d'écrire directement dans cette langue, publiant en 1993 La Lenteur, un roman dans lequel il tourne en dérision l'esprit contemporain fondé sur la vitesse et le culte bruyant de la nouveauté pour la nouveauté.