Pour Mohamed Amokrane Nouad, expert-consultant en agroéconomie, le conflit russo-ukrainien a accéléré les tendances déjà engagées sur le cours des matières premières, notamment alimentaires, déjà mis à mal par deux ans de pandémie de Covid-19. Il estime que la situation fait craindre un risque de pénurie mondiale pour de nombreuses denrées alimentaires. Pour le cas de l’Algérie, soulignant que cette crise rappelle celle de 2008, il notera que les enseignements n’ont pas été tirés. Il est temps, selon notre expert, d’anticiper et de développer les produits stratégiques.
- Avec la persistance du conflit russo-ukrainien, comment se présentent les perspectives pour le marché des matières premières alimentaires pour les prochains mois ?
La guerre en Ukraine pourrait plonger le monde dans une crise d’approvisionnement en matières premières alimentaires. Le couple Russie-Ukraine influe énormément sur le secteur agricole et agroalimentaire :
- 30% des importations d’engrais de l’UE sont d’origine russe ;
- Russie et Ukraine sont premier et deuxième exportateurs mondiaux de blé
- La Russie et l’Ukraine fournissent également 79% des exportations mondiales en huile de tournesol
- L’Ukraine est le troisième exportateur de maïs
- La Russie est le premier exportateur d’engrais azotés
- Russie et Biélorussie sont les premiers exportateurs d’engrais potassiques.
La persistance du conflit armé laisse craindre une pénurie en engrais et une baisse de l’offre céréalière globale sur le marché mondial.
Le manque potentiel d’engrais azotés inquiète, globalement, les pays producteurs, contraints d’importer leurs fertilisants. Pour assurer leur souveraineté alimentaire, certains pays suspendent leurs exportations de grains, d’autres envisagent d’acheter une partie, voire la totalité de leur production agricole nationale.
Les produits à base de tournesol commencent à manquer en Europe, suite au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les raffineries de l’UE reçoivent entre 35 et 45% des huiles de tournesol qu’elles traitent d’Ukraine. Les réserves actuelles n’atteindraient qu’entre 4 et 6 semaines de consommation.
La problématique de la souveraineté alimentaire revient en surface et plusieurs pays ont annoncé mettre en place des mesures financières pour être en mesure d’acheter à leurs propres producteurs les récoltes à venir, notamment en blé, et éviter ainsi qu’une partie de la production ne parte à l’exportation et renforcent ainsi une partie de leur souveraineté alimentaire.
Du fait du conflit armé russo-ukrainien, certains grands pays importateurs de céréales commencent à éprouver quelques difficultés. L’impact du conflit russo-ukrainien sur les filières agricoles et agroalimentaires (animales et végétales) est devenu une des préoccupations majeures des Etats.
Ce conflit a accéléré les tendances déjà engagées sur le cours des matières premières, notamment alimentaires, déjà mis à mal par deux ans de pandémie de Covid-19 et de nouveaux records historiques ont ainsi été atteints sur les marchés.
Des coûts qui explosent pour les matières premières et qui font craindre un risque de pénurie mondiale pour de nombreuses denrées alimentaires.
Conséquence directe, ce conflit a déjà fait bondir le cours du blé et du maïs (l’Ukraine est le 3e exportateur mondial de maïs ; le pays fournit 45% du marché européen). Le maïs, céréale la plus cultivée dans le monde, a vu son cours augmenter de 100 euros en une semaine.
Quant au cours du blé, celui-ci atteignait près de 400 euros la tonne, contre 284 euros au mois de novembre 2021. Les analystes préviennent que l’impact de la guerre sur la production des céréales pourrait faire doubler les prix internationaux du blé.
Cela pourrait affecter gravement plusieurs pays qui dépendent des importations de céréales en provenance de la région (Turquie et Egypte).
La guerre russo-ukrainienne aura des répercussions économiques et politiques dans les années à venir.
Selon les simulations de l’Ocde, le conflit russo-ukrainien pourrait faire perdre 1 point de croissance au niveau mondial et augmenter l’inflation de près de 2,5 points si les chocs observés sur les marchés financiers et ceux des matières premières lors des deux premières semaines du conflit persistent pendant au moins un an.
La croissance mondiale ralentirait à 3,0% en 2022 et 2,4% en 2023, contre respectivement 4,1% et 3,0% dans les prévisions de décembre, soit une révision de -1,7 point sur deux ans (dont 1 point en raison de la chute de la production en Russie et en Ukraine).
La hausse des prix due au conflit en Ukraine pourrait avoir un impact catastrophique sur les nations les plus pauvres.
- Quel serait l’impact sur les industries agroalimentaires dépendante des importations ?
La Russie et l’Ukraine sont toutes deux de grands exportateurs de produits alimentaires. Les deux pays, connus comme étant le «grenier de l’Europe», représentent 30% des exportations mondiales de blé et 20% de celles de maïs.
L’Ukraine est le premier producteur mondial d’huile de tournesol et la Russie occupe la deuxième place, ensemble, les deux pays représentent 60% de la production mondiale.
Le blé et l’huile de tournesol sont des matières premières importantes, utilisées dans de nombreux produits alimentaires. Si la récolte ou la transformation sont endommagées, ou si les exportations sont interrompues, les nations importatrices peuvent subir un impact non négligeable et doivent trouver des moyens de remplacement de leur approvisionnement.
La Russie et l’Ukraine jouent toutes deux un rôle stratégique sur les marchés internationaux des matières premières. Toutes deux sont de grands exportateurs de produits, tels que le blé et les céréales, le pétrole, le gaz naturel, le charbon, l’or et d’autres métaux précieux.
Plusieurs grands groupes agroalimentaires pourraient subir les conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine par leurs implantations locales, l’industrie laitière, les céréales et les semences sont les plus exposées aux conséquences du conflit En Ukraine.
Le risque d’une pénurie alimentaire persiste et le conflit aura des répercussions sur les cours du blé, de l’énergie, mais aussi sur la disponibilité en semences ou en engrais.
Il y aura d’importantes conséquences sur les coûts des aliments du fait de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières.
Les prix mondiaux des céréales, du maïs, du colza, soja, engrais ou encore du gaz ont d’ores et déjà connu une flambée dès l’invasion. Ces hausses se répercuteront tôt ou tard sur notre sécurité alimentaire, ou plus, sur notre souveraineté nationale.
La vraie préoccupation concerne l’huile de tournesol où l’Ukraine représente 50% et la Russie 30% des parts de marché de ce produit, soit 80% au total.
Il y a donc une vraie dépendance des industries agroalimentaires à ces importations, et un danger de pénurie. La situation est d’autant plus préoccupante que les unités de trituration sont à l’arrêt en Ukraine.
Des solutions de substitution par les huiles de colza ou palme peuvent être envisagées, mais ces marchés sont également déjà en tension.
Une situation qui inquiète également est la production animale, car les hausses des prix du blé, du maïs et des tourteaux se répercuteront inévitablement sur les aliments de bétail, qui vont impacter lourdement les prix du lait et des produits laitiers, les viandes rouges et blanches et les œufs.
La hausse des prix combinée aux perturbations d’exportations menace les pays fortement dépendants du blé ukrainien ou russe.
C’est notamment le cas de l’Egypte, premier importateur mondial de blé, en 2021, 50% de ce blé provenaient de Russie et 30% d’Ukraine. L’Ukraine fournit également 90% du blé consommé au Liban.
- Quelles sont les filières relevant des IAA les plus touchées par cette crise actuellement ?
Les filières des industries agroalimentaires qui seront les plus touchées sont celles des céréales et dérivés, le lait et produits laitiers, les huiles végétales, notamment à base de tournesol, et l’aliment de bétail utilisatrices des céréales et les tourteaux.
L’équation ne sera pas simple à résoudre dans les mois qui viennent, les filières agricoles vont être mises à l’épreuve, notamment à travers de la semence et des engrais qui auront des impacts sur la productivité et les rendements pouvant augmenter la famine, où plus de 13 millions de personnes vont rejoindre le cercle de la famine.
Les craintes des céréaliers et des producteurs de grandes cultures se cristallisent sur la flambée du prix de l’énergie, en particulier du gaz, à la suite du conflit armé.
Elle se traduit par une explosion du prix des engrais, sachant que la crise pose également la question de leur disponibilité.
La Russie «représente 24% des exportations mondiales d’ammoniac» et «40% des exportations mondiales de nitrate d’ammonium» – substances principales des engrais de synthèse.
Les prix risquent dans tous les cas d’augmenter dans le secteur agro-alimentaire. Le prix du gaz va impacter la production agricole, notamment le coût de production des céréales.
- Qu’en sera-t-il dans ce cas pour l’Algérie dépendante des matières premières laitières et céréalières ?
Cette crise va certes augmenter le coût des matières premières, comme les céréales ou d’autres produits de large consommation que l’Algérie importe, mais en parallèle, les recettes de l’Etat vont largement augmenter.
L’Algérie n’est pas mieux prémunie puisque les prix des hydrocarbures ont augmenté, mais étant net importateur des denrées alimentaires qui eux aussi ont subi une flambée des prix et avec la pénurie aidant, même avec de l’argent on risque de ne pas pouvoir acheter.
C’est une crise qui nous rappelle celle de 2008, où on n’a pas bien pris les enseignements alors qu’il est temps d’anticiper pour développer chez nous les produits stratégiques qui, certes, vont servir notre sécurité alimentaire même plus aujourd’hui car il s’agit de la souveraineté d’un pays.
L’Algérie reste très dépendante des importations. Il s’agit donc ici d’un aspect très vulnérable de l’économie algérienne et, surtout, fortement exposée aux menaces de la crise actuelle.
- Quelle seront les conséquences des dernières décisions annoncées concernant l’interdiction d’exportation de certains produits alimentaires sur les entreprises du secteur ?
Le président de la République avait ordonné, il y a quelques jours, «d’interdire l’exportation des produits de consommation importés par l’Algérie, à l’instar du sucre, des pâtes, de l’huile, de la semoule et de tous les dérivés du blé», chargeant le ministre de la Justice d’élaborer un projet de loi «pénalisant» l’exportation de produits non produits localement, car étant «un acte de sabotage de l’économie nationale».
En liant cette décision au conflit actuel russo-ukrainien, celle-ci est souveraine et c’est une stratégie que plusieurs pays ont adopté pour constituer et préserver leur stock de sécurité et garantir leur sécurité alimentaire, voire plus, leur souveraineté.
Mais en dehors de ce contexte, cette pratique est louable si elle génère une plus value en devises pour le pays en important un produit brut et exportant un produit élaboré à forte valeur ajoutée.
Pour ce qui concerne le projet de loi «pénalisant» l’exportation de produits non produits localement : là, il faut être intransigeant pour les produits importés et subventionnés par l’Etat.
Mais il y a lieu également d’encourager la substitution aux importations et la promotion et le développement des exportations hors hydrocarbures pour réduire notre déficit en balance alimentaire (autour de 10 milliards d’importation et que 400 millions de dollars d’exportations).
Ceci peut se faire par un flux commercial : importation des produits bruts et exporter des produits rafinés et élaborés.
On aurait pu suspendre et dire satisfaisons d’abord nos besoins, constituons des stocks et voyons après l’exportation avec une plus-value, parce qu’il y a toujours une plus-value à l’export.
Aujourd’hui, on est dans une conjoncture complexe et on achète des produits qui devraient nous permettre de constituer un stock de sécurité, parce que demain, même avec notre argent, on ne pourra pas acheter.