La «crise migratoire» continue à servir de carte à jouer en Europe et à déterminer les positionnements politiques, aussi bien à l’échelle des Etats qu’au niveau de l’UE. La question posée dans l’aigu depuis des décennies, non seulement se maintient comme priorité brûlante dans la région mais semble peser dans les débats davantage chaque année.
Le solde migratoire, soit la différence entre le nombre d'entrées et de sorties du continent, affiche en moyenne annuelle près d’un million de nouveaux arrivants depuis 2000, selon le décompte de la même UE. Et sur la durée, les Européens se plaignent que cela fait beaucoup trop.
Les dispositifs politiques et techniques pour endiguer les flux migratoires en provenance de l’Afrique, sans doute l’un des plus grands pourvoyeurs de migrants clandestins dans le monde, n’ont manifestement pas eu les effets escomptés.
Restrictions à la circulation des personnes, création de l’agence Frontex censée «aider» les Etats à contenir l’immigration aux frontières extérieures de l’UE, incitations au retour «volontaire» des migrants dans leurs pays d’origine via des accords signés avec les Etats concernés… Autant de mécanismes qui, au bilan, ne sont pas parvenus à faire infléchir la tendance et calmer les inquiétudes européennes.
Le coût humain est, quant à lui, extrêmement exorbitant et inflige à la problématique le sinistre caractère de tragédie permanente. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) déplore 25 000 personnes décédées ou disparues en tentant de traverser la Méditerranée depuis 2014, selon un bilan arrêté en 2022. Une moyenne de plus de 3000 personnes qui périssent chaque année en tentant le pari suicidaire de traverser clandestinement la mer.
Les politiques de lutte adoptées par les Etats de l’UE ont, par ailleurs, le fâcheux inconvénient de mettre la pression sur les Etats d’Afrique du Nord, territoires de transit déjà confrontés aux mouvements en provenance de l’Afrique subsaharienne et eux-mêmes fournisseurs de contingents domestiques de migrants clandestins séduits par l’irrésistible attrait du rêve européen.
Le 21 février dernier, à l’issue d’un «Conseil national de sécurité», entièrement consacré au sujet, le président tunisien a provoqué un grand émoi, en Afrique notamment, en assumant un discours abrupt et menaçant sur les migrants subsahariens avec, en prime, de forts accents puisés dans la rhétorique hostile de l’extrême droite en Europe.
La Présidence et le gouvernement tunisiens ont dû passer les jours suivants à démentir les élans «haineux» que des ONG et des pans de l’opinion, y compris en Tunisie, ont dénoncé dans le discours de Kaïs Saïed.
Selon des militants des droits de l’homme, la Présidence tunisienne, fragilisée par une très pénible conjoncture financière et économique, et faisant face à une fronde interne de plus en plus entreprenante, a cédé en l’occurrence, et ce jusqu’à endosser un discours inhabituel au palais de Carthage, à la pression venue de l’autre côté de la Méditerranée.
La Tunisie, expliquent les mêmes sources, est aussi terre de refoulement de migrants que les autorités italiennes refusent d’accueillir sur leur territoire.
L’Italie, qui a vu débarquer sur ses côtes près de 17 000 clandestins depuis le début de l’année, et dont le gouvernement d’extrême droite se plaint ouvertement du manque de solidarité de ses partenaires européens dans l’accueil des migrants, ne peut que transférer une grosse part de la pression subie sur son voisin du Sud.
Les vagues de migrants devraient encore s’accroître, selon des analyses prédictives sérieuses qui d’ailleurs relativisent le lien de causalité directe entre la persistance des écarts socioéconomiques qui départagent nettement le Nord et le Sud, et le maintien des tendances migratoires en vigueur depuis des décennies.
Les mouvements humains s’inscrivent dans une logique structurelle mondiale, avec certes des pics de crise selon les contextes et les régions, et appellent donc un traitement plus solidaire et apaisé, prévient-on.