«La Cour a été soumise à des attaques visant à saper sa légitimité», dénonce la juge Tomoko Akane.
Lors de l’ouverture, à La Haye, des travaux de la 23e session des Etats parties de la Cour pénale internationale (CPI) le 2 décembre dernier, la présidente de cette juridiction, la juge Tomoko Akane, a prononcé un discours glaçant qui a mis en avant les lourdes menaces qui visent l’institution judiciaire, ses membres élus et ses fonctionnaires.
Elle a d’abord rappelé ses engagements au début de son mandat au mois de mars dernier, «à faire de la Cour un environnement sûr où les abus et le harcèlement n'ont pas leur place et où chacun a la possibilité de contribuer à notre mandat tout en réalisant ses aspirations personnelles». Mais, a-t-elle précisé, «les circonstances difficiles qui ont suivi ne font que renforcer notre détermination», avant de lâcher : «Nous ne céderons jamais aux mesures coercitives, aux menaces, au sabotage ou à l’outrage.»
Pour elle, la Cour, qui défend le principe de l’Etat de droit, continuera de «rechercher la justice et de défendre la dignité et les droits des victimes d’atrocités sans crainte ni favoritisme, tout en garantissant le plein respect des normes les plus élevées» en matière de droits de la défense. «Au cours des deux dernières années en particulier, les activités de la Cour ont naturellement attiré une attention politique importante.
La Cour a été soumise à des attaques visant à saper sa légitimité et sa capacité à administrer la justice et à faire respecter le droit international et les droits fondamentaux ; mesures coercitives, menaces, pressions et actes de sabotage», a-t-elle déclaré.
Selon elle, «plusieurs élus sont gravement menacés et font l’objet de mandats d’arrêt de la part d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, simplement pour avoir rempli fidèlement et diligemment leur mandat judiciaire conformément au cadre statutaire et au droit international.
Deux autres mandats d’arrêt ont été récemment émis (…) La Cour est menacée de sanctions économiques draconiennes par trois institutions d’un autre membre permanent du Conseil de sécurité comme s’il s’agissait d’une organisation terroriste». La présidente de la CPI a souligné que «ces mesures saperaient rapidement le fonctionnement de la Cour dans toutes les situations et affaires et mettraient en péril son existence même».
Elle a exprimé son rejet «ferme de toute tentative d’influencer l’indépendance et l’impartialité de la Cour» ainsi que « les efforts visant à politiser notre fonction. Nous nous sommes toujours conformés au droit, et nous le ferons toujours, en toutes circonstances». Mme Tomoko Akane a qualifié de «consternant» que «certains Etats et individus soient scandalisés lorsque les juges indépendants rendent des décisions conformes aux preuves et au droit.
Ce qui compte, ce n’est pas le doigt pointé, mais la lune. Nous nous attendons plutôt à ce que tous les Etats, en premier lieu les Etats parties au Statut de Rome, ainsi que toutes les personnes, soient scandalisés par le fait que des actes criminels, établis selon les normes juridiques requises, aient été commis».
Poursuivant son exposé, la présidente de la CPI a estimé qu’à l’heure «dans toutes les régions du monde, des millions de personnes innocentes sont victimes d’atrocités et de persécutions inimaginables, vivant dans la misère, la violence, la peur et la terreur» tout en rappelant que «toutes les décisions de la Cour sont remplies de souffrances humaines».
La juge a expliqué que «la Cour est un organe judiciaire international. Comme l’a souligné une Chambre dans une décision récente, en exerçant sa compétence sur les violations les plus graves des principes, des valeurs et des lois internationales, elle exerce des fonctions qui correspondent aux intérêts généraux de la communauté internationale dans son ensemble et donc aux intérêts de l’humanité.
Le Statut définit clairement le champ de compétence de la Cour et les règles de procédure». Pour elle, les juges agissent «de manière indépendante et impartiale» puis rendu hommage au personnel de la Cour, avant d’évoquer «la politique de zéro tolérance, à l'égard de toute forme de harcèlement et de mauvaise conduite» adoptée par la Cour. «Toutes les allégations contre les juges ont été prises très au sérieux et traitées de manière appropriée dans le cadre juridique pertinent.»
«La CPI continuera de remplir son mandat»
La présidente a également évoqué la question des ressources sans lesquelles la Cour «ne sera pas en mesure de mener ses procédures au niveau préliminaire du procès et des appels, ni de faire face aux menaces et aux interférences qui sont devenues monnaie courante» et mis en avant le problème de sécurité et déclaré : «Nous avons fait savoir de manière transparente et respectueuse, à plusieurs reprises, que nous considérons que les garanties de sécurité actuelles pour certains fonctionnaires et nous appelons à ce que les mesures de sécurité préventives soient considérablement renforcées de toute urgence.
(...) Dans le même temps, nous soulignons que la charge de protéger la Cour, politiquement et physiquement, doit être partagée par tous les Etats parties. Nous sommes gravement préoccupés par le fait que toute réduction des ressources demandées à des fins de sécurité aurait des répercussions dangereuses sur notre capacité à assurer des opérations sûres et cohérentes.» Elle a rappelé qu’en vertu du Statut, les Etats «ont l’obligation juridique de coopérer avec la Cour.
Arrêter et remettre les personnes est l’un des principaux moyens de donner effet à ce devoir des Etats et de permettre à la Cour de s’acquitter de son mandat». Pour la juge, «le nombre de mandats d’arrêt en attente d’exécution continue d’augmenter.
Cela est préoccupant. Certains Etats parties accueillent sur leur territoire des individus recherchés par la Cour. D’autres n’ont pas coopéré avec la Cour». Elle a exhorté les Etats parties à s’acquitter de leurs obligations statutaires conformément aux engagements pris lors de la signature du Statut de Rome.
«Le Statut prévoit des moyens pour les Etats de dialoguer avec la Cour lorsqu’ils ont des préoccupations liées à la coopération (…) Nous attendons des Etats parties qu’ils respectent la prérogative de la Cour, en tant qu’institution judiciaire, d’interpréter le droit et qu’ils le fassent systématiquement dans toutes les situations.»
Concernant les Etats qui se rebellent contre les décisions de la CPI, la présidente a déclaré : «Les appels publics au non-respect de nos décisions et de nos interprétations juridiques risquent d’affaiblir la légitimité et la crédibilité de la Cour et, en fin de compte, votre propre intérêt à ce que le droit international soit respecté et que les atrocités soient prévenues et punies (…) le droit international et la justice internationale sont menacés. L’avenir de l’humanité l’est aussi.
La Cour pénale internationale continuera de remplir son mandat légitime, de manière indépendante et impartiale, sans céder à aucune ingérence extérieure (…) Nous sommes conscients de l’énorme responsabilité qui nous incombe, celle de faire respecter les principes du Statut de Rome et les règles du droit international criminalisant les violations graves des normes.»